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dès qu'il n'est pas chrétien. Je vous dis là le grand mot de la secte, le mot de ralliement; et quoiqu'il n'y en ait peut-être pas deux de la même opinion, il n'y en a pas un qui, en parlant pour tous, parle jamais autrement qu'au nom de la raison et de la vérité. Cela peut paraître incompréhensible; mais cela est exact. Mais il suffit donc, pour être philosophe, de n'être pas chrétien?- Précisément. Cette fois vous êtes dans le vrai, le vrai rigoureux, et qui n'admet point d'exception. J'en ai connu bon nombre, et avant la révolution, qui certainement ne savaient pas plus de philosophie que je ne sais de géométrie (et je n'en sais pas un mot), et qui étaient philosophes, et le sont encore, si jamais il en fut. Les lettres de Voltaire en font mention honorable à tout moment, et j'en citerai, à son article, un exemple, qui vous tiendra lieu de tout le reste. Vous voilà, messieurs, bien avertis, et assez, je crois, pour ne leur reprocher jamais les contradictions, les variations, la versatilité; ils crieraient à la calomnie. La philosophie n'est point versatile, et par une raison péremptoire, c'est que jamais un philosophe ne dit qu'il s'est mépris, si ce n'est dans les occasions de peu de conséquence et pour un grand bien; et les exemples en sont très-rares. Or, tant qu'on n'avoue point qu'on a été dans l'erreur, on est toujours dans la vérité, on est toujours ce qu'on était, cela est clair. Mais

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voulez-vous savoir ce que c'est que d'être versatile? C'est, par exemple, celui qui s'en viendrait dire « Je vous avoue que je me suis trompé, >> faute d'avoir examiné. L'examen m'a détrompé, » et voici mes raisons vous en jugerez. » Oh! celui-là est vraiment l'homme versatile1; il est de plus indigne de toute croyance, car il avoue qu'il a eu tort. Comment pourrait-il jamais avoir raison? Il est de plus hypocrite, car il se déclare pour une cause proscrite et persécutée, sans aucune espèce de défense ni d'appui. Il est de plus un láche, car il attaque des hommes qui ont en main tous les genres de pouvoir et tous les moyens d'oppression. Voilà, messieurs, en peu de mots, mais très-fidèlement, la logique de nos illustres adversaires, de ceux à qui nos séances font jeter les hauts cris. Je viens de mettre sous vos yeux la substance de vingt libelles, et si j'ai cru devoir vous en parler ainsi une fois en passant, c'est afin de vous convaincre que des ennemis que je ne crois pas même pouvoir ici traiter d'un ton plus sérieux,

1 Tout ce qui est marqué en italique, jusqu'à la fin du paragraphe, avait été imprimé contre l'auteur dans une foule de pamphlets philosophiques. Tout cet article de Diderot, prononcé tel à peu près qu'il est ici, excita beaucoup de clameur dans les journaux, et ce n'est pas ce qui peut surprendre; mais ce qui est plus extraordinaire, c'est qu'on ait pu, à Paris, parler ainsi en public' pendant six mois.

ne m'empêcheront jamais de dire la vérité tant que vous voudrez bien l'entendre, et tant qu'on ne m'ôtera pas les moyens de la dire. Revenons.

Si Diderot veut ici un Dieu, il ne veut pas de culte, et c'est une inconséquence qui, tout étrange et toute grossière qu'elle est, a eu de nos jours des suites si horribles, qu'elle vaut la peine d'être combattue à part elle le sera dans un autre ouvrage1, où cette discussion est naturellement placée, et da nstoute son étendue. Diderot l'énergumène s'écrie: « Les hommes ont banni la Di» vinité d'entre eux; ils l'ont reléguée dans un >> sanctuaire; les murs d'un temple bornent sa » vue; elle n'existe point au delà. Insensés que » vous êtes! détruisez ces enceintes qui rétrécis>> sent vos idées; élargissez Dieu. >>

était réservé à notre siècle de prendre pour des principes ces déclamations à la fois puériles et forcenées, où l'on ne fait qu'abuser scandaleusement des vérités anciennes et communes, qui, dans leur juste mesure, avaient fourni aux anciens de belles pensées et de beaux vers. Ainsi dans Lucain, lorsque l'on veut que Caton aille chercher un oracle dans le temple de Jupiter Ammon, le poëte lui fait dire fort à propos que les dieux sont partout:

Ont-ils choisi ces bords pour leur asile unique,
Caché la vérité dans les sables d'Afrique?

1 Dans l'Apologie.

Nous sommes entourés de la divinité :

Les dieux n'ont qu'un seul temple, et c'est l'immensité;
Ils n'ont qu'un sanctuaire, et c'est le cœur du juste 1.

Caton parle en philosophe, et les vers sont d'un poëte. On se serait moqué de l'un et de l'autre, s'ils avaient dit que les temples anéantissaient la Divinité. On les eût regardés comme des fous furieux, s'ils avaient dit : Détruisez les temples, parce que Dieu est partout. Mais de nos jours on a trouvé sublime cette saillie de rhéteur : Elargissez Dieu. Je dirais à Diderot : Insensé toi-même, toi qui appelles les autres insensés, et qui t'appelles philosophe, réponds. Où as-tu vu un peuple, un homme assez sot pour croire que le temple bornát la divinité qui l'habite? Qui jamais a dit, hors toi, que des murs bornaient sa vue? A qui en as-tu? Qui jamais a pu ignorer, hors toi, que le temple est pour l'homme et non pour l'Eternel2? On te l'a dit cent fois dans toutes les langues; pourquoi feins-tu de l'oublier?

1 On peut choisir entre cette traduction et les deux vers de Brébeuf, souvent cités, qui peut-être valent mieux, quoique la fin du premier m'ait toujours paru une cheville; mais le second est d'une précision admirable :

Est-il d'autre séjour, pour ce monarque auguste,
Que les cieux, que la terre, et que le cœur du juste!

2 Paroles tirées d'un mandement de l'évêque de Lescar, l'un de ses écrits où la religion a été le plus éloquente.

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Où as-tu pris que, pour ceux qui ont des temples, Dieu n'existe pas au delà? C'est calomnier stupidement le paysan le plus stupide. En veux-tu la preuve sensible? Ne t'es-tu jamais trouvé, dans nos campagnes, à ces cérémonies si touchantes dans leur agreste simplicité1, quand les habitans des bourgs, des villages, des hameaux, précédés de leur pasteur, marchaient à travers les plaines cultivées par leurs mains, élevant avec lui leurs chants religieux vers le ciel, vers le Dieu qui nous a donné la terre, et lui donne la fécondité? Tu as pu voir tous les ans ce beau spectacle, beau, non pas seulement pour un chrétien, mais pour tout vrai philosophe, pour quiconque a une âme; mais les sophistes et les charlatans n'en ont pas. Il est vrai que tu ne le verrais plus aujourd'hui, cet attendrissant appareil, ce commerce sublime de la nature avec son auteur, et des enfans avec leur père, à qui leurs voix demandent la nourriture. Tu ne le verrais plus dans la France, cet hommage solennel au dispensateur suprême de tous les biens; et s'il osait s'y reproduire, des bandes d'assassins stipendiés marcheraient, avec le fer et le feu, contre ce paisible et religieux concours, qui ne se nomme plus parmi nous que le fanatisme. Mais s'il ne se montre plus dans la France, tu le retrouverais dans l'Europe et dans

1 Les Rogations.

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