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habitude du forum, puisqu'enfin c'est là qu'il lui plaît de borner à peu près les fonctions de l'orateur. Antoine ne peut s'en dispenser; mais la conversation est remise au lendemain, parce qu'il faut aller se reposer pendant la chaleur du jour. Scævola le jurisconsulte témoigne son regret de ne pouvoir entendre Antoine, parce qu'il est invité chez Lælius. « Quoiqu'Antoine ait maltraité la juris

prudence, dit-il en plaisantant, je ne lui en veux » pas tant d'en avoir dit du mal, que je lui sais gré de nous avoir avoué si ingénument qu'il ne » la connaissait pas. »

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Lorsqu'on se rappelle la prédilection qu'avait Cicéron pour la secte des académiciens, qui avait pour principe de discuter beaucoup et d'affirmer peu, et de reconnaître bien plus de choses probables de choses démontrées, on n'est pas que

surpris, dans le second dialogue, où Antoine joue le premier rôle, de le voir, dès son exorde, revenir presqu'entiérement à l'avis de Crassus, et avouer en badinant, qu'il n'a voulu qu'essayer, dans sa réfutation, s'il lui enleverait ses deux jeunes disciples, Sulpitius et Cotta; mais qu'actuellement, devant les nouveaux auditeurs qui leur sont arrivés, il ne songe qu'à dire sincérement ce qu'il pense. Ces auditeurs sont le vieux Catulus, et César, l'oncle du dictateur, tous deux comptés parmi les

meilleurs orateurs de leur tems, Catulus, distingué surtout par la pureté et l'élégance de la diction, César, par le talent de la plaisanterie. Tels sont les nouveaux personnages qu'amene Cicéron à Tusculum pour écouter Antoine, et l'on s'aperçoit bientôt que pour cette fois la doctrine qu'il prêche, est bien selon le cœur de celui qui le fait parler, et que c'est en effet Cicéron qu'on entend. La jurisprudence exceptée, sur laquelle on ne pouvait pas faire re venir Antoine avec vraisemblance, parce qu'il était notoire qu'il n'en avait jamais étudié que ce qui était nécessaire à ses causes, il d'ailleurs en passe revue les différens genres où l'éloquence peut s'exercer, et voici sa conclusion, qui paraît entiérement conforme à ce qu'avait toujours pensé Cicéron. «Je vous dirai le résultat, non pas de ce que j'ai appris, mais (ce qui est plus fort) de ce que j'ai » moi-même éprouvé. Dans toutes les matieres » que je viens de détailler, l'art de bien dire n'est qu'un jeu pour un homme qui a de l'esprit na» ¿turel, de l'habitude et de l'instruction : le grand ouvrage de l'orateur est dans le genre judiciaire, » et je ne sais s'il est quelque chose de plus difficile »parmi les œuvres de l'esprit humain. C'est là que » le plus souvent la multitude ignorante ne juge » du talent de l'avocat que par l'événement; c'est » là qu'on a devant soi un ennemi qu'il faut sans

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» cesse frapper et repousser; c'est là que souvent » celui qui doit décider, est l'ami de votre adver

saire ou votre propre ennemi; qu'il faut ou l'ins» truire, ou le détromper, ou l'exciter, ou le ré» primer, enfin prendre tous les moyens pour le » mettre dans la disposition qu'exige la circons» tance et votre cause; qu'il faut le ramener de » la bienveillance à la haine, et de la haine à » la bienveillance, et avoir pour ainsi dire des » ressorts tout prêts pour le monter, 'suivant le

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besoin, à la sévérité ou à l'indulgence, à la tris

» tesse ou à la joie; qu'il faut mettre en usage le

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poids des sentences et l'énergie des expressions, » et animer tout par une action variée, véhé» mente, pleine de feu, pleine de vie, de vérité, » de sensibilité. »

On reconnaît bien à ce langage un homme accoutumé aux triomphes du barreau, qui a éprouvé tout ce qu'ils avaient de difficile, et senti tout ce qu'ils avaient de glorieux. On ne peut nier non plus que ce ne soit dans ce genre, que l'éloquence antique a produit les plus belles choses, et que Démosthene et Cicéron ont laissé le plus de chefsd'œuvre. Mais pourtant il ne faudrait pas prendre à la lettre ce qu'on vient d'entendre, que tout le reste est un jeu. Ce mot, qui est dans la bouche d'Antoine, est en effet sorti de l'ame de Cicéron.

Ce sont de ces mots qui peignent plutôt l'homme qu'ils n'expriment la chose, qui révelent le secret de ses préférences et de ses affections plus qu'ils n'établissent la mesure précise de ses jugemens, C'est ainsi que j'ai entendu dire cent fois à cet homme, qui avait tout tenté et si souvent réussi, à Voltaire : Il n'y a au monde qu'une chose difficile, c'est de faire une belle tragédie. Il le disait du fond du cœur; mais qu'est-ce que cela prouvait ? qu'en faudrait-il conclure? qu'en effet tout le reste est aisé ? Lui-même ne le croyait pas. Ces expressions exagérées et passionnées prouvaient seulement que de tout ce qu'il avait composé, la tragédie était ce qui lui avait coûté le plus de peine et valu le plus de gloire.

Il faut croire qu'il en était de même de Cicéron. Ses deux Verrines et la Milonienne sont certainement ce qu'il a fait de plus beau, et ce qui dut lui coûter le plus; mais croira-t-on que lui-même regardât comme une chose si facile de faire les Catilinaires, la seconde Philippique, la harangue pour la loi Manilia, le remercîment à César pour Marcellus, tous morceaux admirables et qui ne sont pas dans le genre judiciaire? Et refuseronsnous une juste admiration à ces harangues, qui sont un des principaux ornemens des historiens grecs, et surtout des latins, forts supérieurs en ce genre?

De nos jours on les juge déplacées. J'examinerai, à l'article des historiens, si, en prononçant cette condamnation, l'on n'a pas oublié la différence des mœurs. Mais ce qui suffit pour prouver combien les Anciens différaient de nous sur ce point, c'est qu'Antoine, l'interprete de Cicéron, parmi les genres d'écrire qui exigent de l'éloquence, compte expressément l'histoire; il dit en propres termes : Qu'est-ce qu'un historien qui ne sera pas orateur ?

Mais c'est surtout celui du barreau dont il s'occupe, ainsi que Crassus. Il desire que celui qui annonce un talent naturel pour cette profession, et qui a fait toutes les études qu'elle demande, se propose particuliérement quelqu'excellent modele à imiter; conseil fort sage que l'on a vu suivre de nos jours par plusieurs jeunes avocats, qui s'attachaient volontiers à ceux qui jouissaient déjà d'une réputation méritée. Il exige qu'on ne se charge d'aucune cause sans l'avoir examinée avec l'attention la plus scrupuleuse, et sans la connaître aussi parfaitement qu'il est possible. Cette précaution, trop souvent négligée, lui paraît avec raison de la plus grande importance, et pour la morale et pour le succès. Il rend compte de ce qu'il a coutume de pratiquer dans ces sortes d'occasions, et l'on ne saurait donner une meilleure leçon à ceux qui

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