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Excités par la voix des prêtres sanguinaires,

Invoquaient le Seigneur en égorgeant leurs freres,

Et le bras tout souillé du sang des innocens,
Osaient offrir à Dieu cet exécrable encens.

La réticence mérite aussi qu'on en fasse mention. C'est une figure très-adroite, en ce qu'elle fait entendre, non-seulement ce qu'on ne veut pas dire, mais souvent beaucoup plus qu'on ne dirait. Telle est celle-ci dans le rôle d'Agrippine:

J'appelai de l'exil, je tirai de l'armée,

Et ce même Séneque, et ce même Burrhus,
Qui depuis..... Rome alors estimait leurs vertus.

Voltaire l'a imitée dans la Henriade,

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Et Biron, jeune encore, ardent, impétueux, Qui depuis..... mais alors il était vertueux. L'imitation même est si frappante, qu'elle pourrait passer pour une espèce de larcin. Mais Voltaire était si riche de son fonds, qu'il ne se faisait pas scrupule de prendre sur celui d'autrui.

Une autre réticence encore plus belle, parce qu'elle uent à une situation théâtrale, c'est celle d'Aricie dans la tragédie de Phedre.

Prenez garde, Seigneur : vos invincibles mains
Ont de monstres sans nombre affranchi les humains.
Mais tout n'est pas détruit, et vous en laissez vivre
Un..... Votre fils, Seigneur, me défend de poursuivre.

Cette interruption subite doit épouvanter Thésée; aussi commence-t-il dès ce moment à sentir de vives inquiétudes et à se reprocher son empor

tement.

La malignité et la haine ont bien connu tout ce que pouvait la réticence, par le chemin qu'elle fait faire à l'imagination: aussi n'ont-elles point d'armes plus afilées ni de traits plus empoisonnés. C'est la combinaison la plus profonde de la méchanceté, de savoir retenir ses coups et de les porter par la main d'autrui, et malheureusement c'est aussi la plus facile. Rien n'est si aisé et si commun que de calomnier à demi-mot, et rien n'est si difficile que de repousser cette espece de calomnie; car comment répondre à ce qui n'a pas été énoncé ? Deviner l'accusation, c'est avouer en quelque sorte qu'elle n'est pas sans fondement : aussi le seul parti qu'il y ait à prendre, c'est de porter un défi public à l'accusateur timide et lâche, et l'innocence alors peut lever la tête quand il cache la sienne dans les ténebres.

C'en est assez sur les figures, dont j'ai marqué les principales et les plus connues. Je n'ai point suivi pas à pas Quintilien dans cette partie comme dans beaucoup d'autres, c'est un instituteur qui parle à des disciples, et dont le but n'est le mien. Si j'ai choisi beaucoup de mes exem

pas

ples dans les poëtes, c'est qu'il fallait faire voir que les mêmes figures appartiennent d'ordinaire à la poésie comme à l'éloquence; que d'ailleurs, les passages des poëtes sont plus présens à la mémoire, plus généralement connus, plus faciles à retenir, et qu'enfin les beaux vers sont comme des lieux de repos et de délassement, où l'esprit aime à s'arrêter dans la route aride et épineuse des préceptes.

Quintilien emploie un chapitre à traiter de ce qu'on nomme des pensées; car c'est ainsi qu'on appelle, comme par excellence, celles qui sont énoncées dans une forme précise et sentencieuse. Elles donnent de l'éclat au discours; mais c'est un des genres d'ornement qui ont le plus d'inconvé-, niens et de dangers, si l'on n'a pas soin d'en être sobre. Les pensées, les maximes, les sentences, ont un air d'autorité qui peut donner du poids au discours si l'on y met de la réserve, mais qui autrement montre l'art à découvert, Elles sont voisines de la froideur, parce qu'elles supposent communément un esprit tranquille; aussi convientil que l'orateur, et encore plus le poëte, les tourne en sentimens le plus qu'il est possible. Il est plus facile de communiquer ce qu'on sent, que de persuader ce qu'on pense. De plus, ces sortes de pensées ont un brillant qui leur est propre, et si

elles reviennent fréquemment, elles détournent trop l'attention du but principal, et paraissent en quelque sorte détachées du reste de l'ouvrage. Or, l'orateur et le poëte doivent toujours songer à l'effet total. C'est à quoi ne pensent pas ceux qui ont la dangereuse prétention de tourner toutes leurs phrases en maximes. Plus cette forme est imposante, plus il faut la réserver pour ce qui mérite d'en être revêtu. Celui qui cherche trop les pensées, risque de s'en permettre beaucoup de communes, de forcées, de fausses même; car rien n'est si près de l'erreur que les généralités. D'ailleurs, on ne peut pas avoir, dit fort bien Quintilien, autant de traits saillans qu'il y a de fins de phrases, et quand on veut les terminer toutes d'une maniere piquante, on s'expose à des chutes puériles. Ajoutez que cette maniere d'écrire coupe et hache en

en petites parties le discours, qui, surtout dans l'éloquence, doit former un tissu plus ou moins suivi; que ces traits répétés éclairent moins qu'ils n'éblouissent, parce qu'ils ressemblent plus aux étincelles qu'à la lumiere, et qu'enfin plus ils sont agréables en euxmêmes, plus la profusion en est à craindre, parce que les impressions vives sont plus près que les autres de la satiété...

Quintilien traite ensuite de l'arrangement des mots, du nombre, de l'harmonie périodique; mais

tout ce qu'il dit se rapporte en grande partie à la langue latine. Quant à ce qu'il prescrit sur la convenance du style, sur les bienséances oratoires, sur la nécessité d'exercer sa mémoire et de former sa prononciation, sur cette partie si importante pour l'orateur, qu'on appelle action; sur l'habitude d'écrire, sur les moyens de se mettre en état de parler sur le champ quand il en est besoin, sur les avantages qu'on retire de l'étude des grands modeles, tous ces différens objets rentrent particuliérement dans le dessein général de l'ouvrage, qui est de former l'orateur du barreau, et même, à plusieurs égards, sont plus applicacles aux tribunaux romains qu'aux nôtres, quoiqu'il y ait. toujours beaucoup à profiter pour quiconque se destine à la noble profession d'avocat.

Il faut terminer ce précis, peut-être déjà trop long je crains toujours de trop m'arrêter sur les ouvrages didactiques. Nous avons encore à analyser ceux de Cicéron sur le même sujet, et nous passerons ensuite aux orateurs grecs et romains, avec d'autant plus d'empressement, que les modeles sont toujours plus intéressans que les préceptes.

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