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l'apostrophe, qui doit être le mouvement d'une imagination fortement ébranlée ou d'une ame puissamment affectée, comme dans cette exclamation de Bossuet : Glaive du Seigneur! quel coup vous venez de frapper! toute la Terre en est étonnée. Comme dans ces vers si touchans d'Andromaque :

Non, nous n'espérons plus de vous revoir é cor,
Sacrés murs que n'a pu conserver mon Hector.

On sent que cette apostrophe aux murs de Troye est l'accent naturel de la douleur et du regret, et c'est ainsi que les figures sont bien placées. La prosopopée, personnification qui fait parler les morts et les choses inanimées, est d'un usage plus rare. Plus cette figure est hardie, plus elle a besoin d'être amenée. Fléchier s'en est servi très-noblement dans l'oraison funebre de Montausier. « Oserai-je, dans » ce discours, employer la fiction et le mensonge? » Ce tombeau s'ouvrirait, ces ossemens se rejoin» draient, et se ranimeraient pour me dire : Pourquoi viens-tu mentir pour moi, qui ne mentis

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jamais pour personne? Ne me rends pas un hon» neur que je n'ai pas mérité, à moi qui n'en ai » voulu rendre qu'au vrai mérite. Laisse-moi repo» ser dans le sein de la vérité, et ne viens pas trou»bler ma paix par la flatterie que j'ai haïe. »

La suspension et la prétermission sont fréquem

ment employées dans l'éloquence et dans la poésie, et lorsqu'elles le sont bien, elles ont un très-grand pouvoir. La suspension consiste à faire attendre ce que l'on va dire, à l'annoncer de loin, afin de forcer l'esprit à s'y arrêter davantage. On conçoit bien. qu'il faut que la chose en vaille la peine, sans quoi l'artifice retomberait sur celui qui s'en servirait si mal-adroitement; mais quand on est sûr de frapper un grand coup, il y a de l'art à le suspendre. L'orateur ressemble alors au gladiateur qui éleve le fer le plus haut qu'il peut pour porter un coup plus terrible, ou bien au sauteur qui prend son élan de très-loin pour le rendre plus rapide. Le grand Corneille a bien su tirer parti de cette figure dans cette scene immortelle d'Auguste avec Cinna, lorsqu'après l'énumération de ses bienfaits, l'empereur poursuit ainsi :

Tu t'en souviens, Cinna: tant d'heur et tant de gloire Ne peuvent pas sitôt sortir de ta mémoire.

Mais ce qu'on ne pourrait jamais imaginer,

Cinna, tu t'en souviens, et veux m'assassiner.

Si, retranchant les trois premiers vers, il eût dit d'abord le dernier qui suffisait pour le sens, l'effet serait beaucoup moins grand. Mais la suspension l'augmente au point qu'au moment où l'on entend le dernier héinistiche, il est presqu'impossible de

ne pas

faire le même mouvement et de ne pas

jeter le même cri que

laquelle on semble

Cinna.

La prétermission est une autre sorte d'artifice : il consiste dans une forme de phrase négative, par on semble ne pas vouloir dire ce que pourtant on dit en effet : Je ne vous dirai point, je ne vous rappellerai point, je ne vous reprocherai point telle, telle, telle chose; mais, etc. L'on appuie alors sur la seule que l'on énonce positivement. Cette figure a un a un double avantage; elle ne diminue en rien la valeur des choses que l'on a l'air d'écarter, et fortifie beaucoup celle sur laquelle on insiste, comme on va le voir par des exemples. Alzire, obligée d'avouer à Zamore qu'elle vient d'épouser Gusman, et qu'elle a quitté sa religion pour celle des Chrétiens, Alzire aime avec trop de passion pour se trouver elle-même excusable, mais pourtant elle ne veut pas que son amant ignore tout ce qui peut l'excuser. Elle se garde bien de lui dire : « Vois

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quelle était ma situation : je t'ai cru mort; un » pere ordonnait ; je m'immolais au salut de ma patrie! Tout cela est très - vrai, et pourtant serait très-froid dans la bouche d'une amante. Il faut donc qu'elle s'excuse sans paraître vouloir s'excuser. C'est ce que fait la prétermission.

Je pourrais t'alléguer, pour affaiblir mon crime,
De mon pese sur moi le pouvoir légitime,

L'erreur

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L'erreur où nous étions, mes regrets, mes combats,

Les pleurs que j'ai trois ans donnés à ton trépas ;

Que des Chrétiens vainqueurs esclave infortunée,

La douleur de ta perté à leur dieu m'a donnée;
Que je t'aimai toujours, que mon cœur éperdu
A détesté tes dieux qui t'ont mal défendu.

Mais je ne cherche point, je ne veux point d'excuse;
Il n'en est point pour moi lorsque l'amour m'accuse.
Tu vis: il me suffit : je t'ai manqué de foi :

Tranche mes jours affreux, qui ne sont plus pour toi, etc;

Voilà bien la véritable éloquence, qui n'est jamais que l'expression juste d'un sentiment vrai. Assurément on ne peut donner de meilleures raisons; cependant elles ne sont bonnes aux yeux de Zamore, que parce qu'elle-même les trouve insuffisantes du moment où elle l'a revu. Aussi lorsqu'elle ajoute tout de suite:

Quoi ! tu ne me vois point d'un œil impitoyable!

Il répond, comme tout le monde répondrait pour lui:

Non, si je suis aimé, non, tu n'es point coupable. Sans doute ce n'est pas parce que cette forme de discours s'appelle une prétermission, que ce passage est si beau; mais cependant il n'est pas inutile que la rhétorique ait développé l'art de cette figure: Cours de littér. Tome II,

Y

c'est un avertissement de s'en servir au besoin, et

faire usage.

ceux qui l'auront bien saisie, sauront mieux en usage. C'est surtout un secours pour les jeunes gens, et il faut bien que les leçons aident la faiblesse et suppléent l'expérience, que l'imitation vienne au secours du talent et facilite ses progrès.

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Je citerai encore un autre exemple de la prétermission, tiré du second chant de la Henriade, où Henri IV fait à la reine Élisabeth le récit de l'horrible journée de la Saint-Barthélemy,

Je ne vous peindrai point le tumulte et les cris,
Le sang de tous côtés ruisselant dans Paris,

Le fils assassiné sur le corps de son pere,

,,,

Le frere avec la sœur, la fille avec la mere,

Les époux expirans sous leurs toits embrâsés,
Les enfans au berceau sur la pierre écrasés.

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Des fureurs des humains c'est ce qu'on doit attendre.

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Que sera donc ce qui va suivre, puisque celui qui trace cet épouvantable tableau, semble lui-même n'en être pas étonné! Tel est l'artifice de la prétermission: sans affaiblir l'horreur de cette peinture, elle va rendre plus frappante celle qui suit.

Mais ce que l'avenir aura peine à comprendre,

Ce

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que vous-même encore à peine vous croirez, Ces monstres furieux, de carnage altérés,

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