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comme une feuille d'arbre est plate, mince et légere comme du papier, on a dit feuille de papier, quoique le papier n'ait point de feuilles. D'autres figures ont été inventées pour la variété et l'agrément, et c'est ainsi qu'on a pris la partie pour; le tout, le contenant pour le contenu, la cause pour l'effet, le signe pour la chose signifiée, etc. L'imagination alors s'est portée sur la partie de l'objet qui l'avait le plus frappée, comme lorsqu'on dit une voile pour un vaisseau, le trône l'autorité royale, une excellente plume pour un excellent écrivain. C'est ainsi que se sont formés les tropes ou conversions de mots, c'est-à-dire, les figures de diction, par lesquelles un mot est détourné de sa propre signification pour en prendre une autre. Voilà ce qu'il faudrait dire aux commençans, pour les accoutumer à se rendre compte des expressions dont ils se servent, et les familia riser avec les notions primitives de la formation. des langues. Mais on s'en tient au technique qui les effraie, et qu'ils apprennent sans l'entendre. On leur demande gravement ce que c'est qu'une métonymie, ce qui d'abord leur fait une frayeur horrible; car il faut bien leur pardonner d'être comme Pradon,

Qui croyait ces grands mots des termes de chimie.

BOIL.

Et quand ils sont parvenus à dire ce que c'est, ils n'en sont guere plus avancés: ils oublient bientôt le mot même, parce qu'on ne leur a pas rendu la chose assez sensible, et qu'elle leur a été présentée sous un appareil pédantesque. Il faudrait au contraire leur dire : N'ayez pas peur; les mots grecs n'y font rien; il a bien fallu s'en servir, parce que notre langue n'a pas de mots combinés, et que métonymie est plus court que transposition de nom; mais d'ailleurs c'est la chose la plus simple. On dit une flotte de cent voiles au lieu d'une flotte de cent vaisseaux, et l'on prend ainsi la partie pour le tout: pourquoi ? C'est que la premiere chose qui frappe les yeux dans un grand nombre de navires, ce sont les voiles, et que le moyen le plus court pour dénombrer une flotte, c'est de compter les voiles; ainsi cette métonymie ou transposition de nom n'a été employée que par une suite naturelle de la premiere impression que l'objet faisait sur la vue. Avec cette méthode on habituerait les enfans à penser, et le mot resterait plus aisément dans leur mémoire lorsqu'il serait attaché à une idée.

Cette figure est d'un usage si familier, qu'il n'y a personne qui ne s'en serve à tout moment et sans y penser. Dans l'éloquence et dans la poésie, il y a mille moyens de la varier et d'en tirer des effets

nouveaux; mais le degré de hardiesse qu'on y met et qui en fait tout le prix, doit être mesuré sur les circonstances et sur la nature du sujet. C'est la métonymie qui fait toute la beauté de ces deux vers de l'Orphelin de la Chine:

la

Les vainqueurs ont parlé : l'esclavage en silence
Obéir à leur voix dans cette ville immense.

L'expression est neuve : c'est la premiere fois qu'on s'est servi du mot d'esclavage, qui signifie la condition des esclaves, pour exprimer les esclaves euxmèmes pris collectivement: c'est en cela que consiste la figure mettez à la place les esclaves en silence, et tout l'effet est déttuit. D'où vient cette différence? Ce n'est pas seulement de ce que les esclaves en silence n'aurait rien qui fût au dessus de prose, mais c'est que le poëte, en personnifiant l'esclavage, agrandit le tableau, et par une expression vaste vous montre toute une ville, une ville immense, habitée par l'esclavage seul et par l'esclavage en silence. Ce sont là des traits de maître; mais ôtez cette figure de la place où elle est, ôtez-la d'un sujet où l'imagination est déjà élevée par de magnifiques peintures des exploits de Gengiskan, par l'idée d'un peuple conquérant du Monde, la par pompe du style oriental dont la piece a reçu l'empreinte dès les premiers vers; transpo tez-la dans Mérope

ou dans Oreste, elle y paraîtra trop poétique, elle sera froidement fastueuse et ne peindra rien. Supposons que dans Oreste, l'auteur, voulant peindre la consternation des habitans d'Argos sous la tyrannie d'Égyste, eût fait dire à Pammene :

L'esclavage en silence obéit à sa voix.

:

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C'était un luxe de poésie, déplacé dans la bouche d'un vieillard affligé qui pleure son maître, et les connaisseurs n'auraient remarqué ce vers que pour le critiquer. C'est pourtant, si l'on n'y prend garde, absolument la même idée dans les deux cas il s'agit de représenter un peuple qui tremble, et qui se tait sous une domination étrangere. Mais combien les circonstances doivent changer le caractere du style! Voyez comment l'auteur d'Oresté fait parler Pammene, lorsqu'il se plaint à Oreste de la lâcheté du peuple d'Argos.

Hélas! le citoyen, timidement fidele,

N'oserait en ces lieux imiter ce saint zele.

Dès qu'Égyste paraît, la piété, Seigneur,

Tremble de se montrer et rentre au fond du cœur.

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que

Voilà deux tableaux dont le fond est le même, mais dont la couleur est bien différente : c'est dans l'un, le poëte, en traçant l'épouvante qu'a répandue l'invasion des Tartares dans le plus grand

Empire du Monde, ne veut parler qu'à l'imagination par une peinture qui n'est qu'accessoire, et ne tient pas au fond du sujet : il se permet donc très à propos l'éclat et la hardiesse des expressions.. Mais dans l'autre il veut parler au cœur, parce qu'à cette faiblesse timide du peuple d'Argos, tient le retardement d'une vengeance légitime, qui est précisément le sujet de la piece. Il se sert donc, non pas d'expressions magnifiques, mais d'expressions touchantes, propres à inspirer l'intérêt, la pitié, l'indignation:

La piété, Seigneur,

Tremble de se montrer, et rentre au fond du cœur.

Ce rapport continuel du style au sujet est si important, surtout dans les ouvrages dramatiques, où tout doit tendre au même effet, que, d'un bout à l'autre d'une piece, chaque expression doit être en quelque sorte subordonnée à un caractere et à un but général. Mais ce sentiment si juste des convenances, qui produit la perfection du style, est une espece de magie qui non-seulement n'est donnée qu'à très-peu d'hommes, mais qui même a nécessairement peu de juges : il faut beaucoup de réflexion pour l'apercevoir, et assez volontiers on jouit de son plaisir sans songer à en chercher les causes. Il n'est pas si rare qu'on le croit, d'avoir

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