Imagens da página
PDF
ePub

» il arrive quelquefois dans ces belles péroraisons qui toucheraient les cœurs les plus insensibles,

[ocr errors]
[ocr errors]

l'arrêt n'est-il pas déjà prononcé? Que l'orateur » tourne donc tous ses efforts de ce côté, et qu'il » s'attache particuliérement à cette partie de l'art sans laquelle tout le reste est faible et stérile : le pathétique est l'ame du plaidoyer. »

39

Les extrêmes se touchent, et Quintilien passe tout de suite à un moyen tout opposé, le rire et la plaisanterie. Il sent combien ce ressort est délicat à manier : il y faut la plus grande finesse de tact et la connaissance la plus juste de l'à-propos; il semble même que ce moyen soit en quelque sorte étranger à l'éloquence. Mais l'expérience prouve tout ce qu'il peut produire, et souvent une plaisanterie bien placée a fait tomber le plus grand appareil oratoire. « On a remarqué, dit-il, » que cette espece de talent a manqué à Démos

[ocr errors]

thene, et que Cicéron en a abusé.» Quintilien, tout admirateur qu'il est de ce grand-homme, avoue qu'il a trop aimé la raillerie, au barreau comme dans la conversation; mais il soutient que la plaisanterie de Cicéron est toujours celle des honnêtes gens et des gens de goût, qu'il avait soin de ne la placer ordinairement que dans l'interrogation des témoins, et dans cette partie de la plaidoierie

qu'on appelait altercation, c'est-à-dire, lorsque les deux avocats dialoguaient contradictoirement. Si l'on veut d'ailleurs s'assurer de la mesure parfaite qu'il savait garder lorsqu'il le fallait, il n'y a qu'à lire l'oraison pour Muréna, où il plaidait contre Caton. Il fallait affaiblir l'autorité de ce redoutable censeur sans blesser la vénération qu'il inspirait; il devait de plus garder lui-même la dignité de sa place, puisqu'alors il était consul. Il prit le parti de jeter sur le rigorisme des principes stoïques de Caton, une teinte de ridicule si légere et si douce, qu'il fit rire les auditeurs et les juges, sans que Caton fût en droit de se fâcher.

Il avait d'ailleurs des reparties qui portaient coup, celle, par exemple, qu'il fit à Hortensius, qui, plaidant pour Verrès, dit à propos d'une question que Cicéron faisait à un témoin: Je n'entends. pas les énigmes. Je m'en étonne, répliqua Cicéron, vous avez chez vous le sphinx. Remarquez qu'Hortensius avait reçu de Verrès un sphinx d'airain, estimé comme un morceau précieux. La réplique, comme on voit, n'était pas un simple jeu de mots.

Je dirai encore en passant, que ce mot sur une femme qui prétendait n'avoir que trente ans, je le crois; car il y en a vingt que je le lui entends dire; ce mot qu'on a cité cent fois comme moderne, est de Cicéron.

Quintilien a classé et examiné les trois genres du discours oratoire : or, tout discours est composé de deux choses, les pensées et les mots. Les pensées dépendent de l'invention et de la disposition des parties, et il en a traité en parlant de tous les moyens que peut employer l'orateur, et de la maniere dont il doit les distribuer. Les mots dépendent de l'élocution, et c'est ce dont il lui reste à s'occuper; car l'orateur a trois devoirs à remplir, d'instruire, de toucher, de plaire. Il instruit par le raisonnement; il touche par le pathétique; il plaît par l'élocution : « c'est, continue Quintilien, » de ces trois choses la plus difficile, au jugement » même des orateurs. En effet, Antoine, l'aïeul

du triumvir, disait qu'il avait vu bien des gens » diserts et pas un homme éloquent. Il appelait » disert celui qui disait sur un sujet ce qu'il fallair » dire il entendait par éloquent celui qui disait » comme il fallait dire. Depuis lui, Cicéron nous » a dit aussi que savoir inventer et disposer est » d'un homme de sens, mais que savoir exprimer » est d'un orateur. En conséquence il s'est particu» liérement étudié à bien enseigner cette partie de » la rhétorique. Le mot même d'éloquence fait » assez voir qu'il a raison; car être éloquent, à » proprement parler, n'est autre chose que de pouvoir produire au dehors toutes ses pensées,

[ocr errors]
[ocr errors]

» toutes ses conceptions, tous ses sentimens et les communiquer aux autres; et sans cette faculté, »tout ce que nous avons enseigné jusqu'ici devient » inutile. Or, si l'expression ne donne pas à la » pensée toute la force dont elle est susceptible,

vous n'aurez rien fait qu'à demi. Voilà donc sur» tout ce qu'il faut apprendre, et à quoi l'art est » absolument nécessaire, voilà quel doit être l'objet de nos soins, de nos exercices, de notre imitation; voilà l'étude de toute la vie, voilà ce qui fait qu'un orateur l'emporte sur un autre orateur,

دو

et qu'un style est plus parfait qu'un autre; car » les écrivains asiatiques et ceux des Romains dont » le goût est corrompu, n'ont pas toujours péché

dans l'invention ou la disposition, mais les uns, » trop enflés, ont manqué de mesure dans la diction, et les autres, ou secs ou affectés, ont manqué de force dans le style.

[ocr errors]
[ocr errors]

دو

Qu'on n'aille pas en conclure néanmoins qu'il » ne faut s'occuper que des mots. Je me hâte d'aller " au devant de cet abus que quelques personnes

دو

دو

دو

pourraient faire de ce que je viens de dire. Il faut » les arrêter tout court, et me déclarer d'abord contre ces gens qui se consument vainement à agencer des paroles sans se mettre en peine des » choses, qui sont pourtant les nerfs du discours. » Ils cherchent l'élégance, qui est charmante en

[ocr errors]

دو

» elle-même il est vrai, mais quand elle est » naturelle, et non pas quand elle est affectée. »

Quintilien se sert ici d'une comparaison dont la justesse est frappante, et très - propre à faire comprendre comment une qualité nécessaire pour faire valoir toutes les autres, ne produit pourtant rien par elle-même si elle est seule. « Ne voyons» nous pas que ces corps robustes que l'exercice a

[ocr errors]

fortifiés, et qui ont un air de santé, tirent leur » beauté des mêmes choses qui font leur force? » Tous leurs membres sont bien attachés, bien

دو

[ocr errors]

دو

[ocr errors]

Je

proportionnés; ils n'ont ni trop ni trop peu d'embonpoint: leur chair est à la fois ferme et vermeille; mais qu'ils se montrent à nous, peints de » vermillon et couverts de fard, ils perdront à nos >> yeux toute la beauté que leur force leur donnait. veux donc que l'on pense aux mots, mais que » l'on soit encore plus occupé des choses; car » d'ordinaire les meilleures expressions tiennent à » la pensée même, mais par malheur nous les cherchons, nous les poursuivons comme si elles » voulaient se dérober à nous. Nous ne croyons jamais que ce qu'il faut dire soit si près, et » comme à notre portée; nous voulons le faire » venir de loin, nous faisons violence à notre génie. » C'est cette recherche qui nuit au discours; car » les termes qui plaisent le plus aux esprits sensés,

[ocr errors]

دو

« AnteriorContinuar »