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soit pas trop longue, sinon l'auditeur en est fatigué, il reprend sa tranquillité, et revenu de » la pitié passagere qui l'avait saisi, il retrouve toute sa raison. Ne laissons donc pas refroidir le sentiment ; et quand nous l'avons porté jusqu'où »› il peut aller, arrêtons-nous, et n'espérons pas » que l'ame soit long-tems sensible à des douleurs

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qui lui sont étrangeres. Là plus qu'ailleurs il faut » que le discours, non-seulement se soutienne, » mais qu'il aille toujours en croissant; tout ce qui » n'ajoute pas à ce qu'on a dit, ne sert qu'à l'affai blir, et le sentiment s'éteint dès qu'il languit.

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Un autre avertissement qu'il donne, c'est de ne pas essayer le pathétique si l'on ne se sent pas tout le talent nécessaire pour le bien manier. « Comme il n'y a point d'impression plus puis» sante lorsqu'on parvient à la produire, il n'y en » a point qui refroidisse davantage si l'effet est manqué. Il vaudrait cent fois mieux alors laisser » les juges à leurs propres dispositions; car en ce » genre les grands mouvemens, les grands efforts sont tout près du ridicule, et ce qui ne fait pas pleurer, fait rire. »

Les objets sensibles ont aussi beaucoup de pouvoir dans cette partie, comme la vue des cicatrices, les blessures, les habits teints de sang, les enfans Cours de littér. Tome II,

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en larmes, les femmes en deuil, les vieillards en cheveux blancs. On en vit un exemple terrible, lorsqu'Antoine mit sous les yeux du peuple romain la robe sanglante de César. « On savait qu'il était » tué; son corps était déjà mis sur le bûcher; cependant ce vêtement ensanglanté offrit une image si vive du meurtre, qu'il sembla qu'en » ce moment même on frappait encore César. » N'oublions plus ce qui a été si ridiculement et si malheureusement oublié parmi nous, qu'il est de la nature de l'homme d'être mené par des objets sensibles, et qu'il n'y a que des sots ou des monstres qui puissent se croire plus forts que la nature

humaine.

Nous apprenons de Quintilien, que les avocats de son tems faisaient d'autant plus d'usage de ces moyens, que tout les favorisait au barreau, et que d'ailleurs ils ne demandaient pas beaucoup d'imagination. Mais aussi il en fait voir le danger lorsqu'on n'a pas apporté assez d'attention à s'assurer de toutes les circonstances du moment, et à prévoir tous les inconvéniens. «< Souvent, dit-il, l'igno»rance et la grossiéreté des cliens contredit trop » ouvertement les paroles et les mouvemens de » l'orateur. Ils paraissent insensibles quand il les

peint le plus affectés, et rient même quelquefois

lorsqu'il les représente tout en pleurs. pleurs.» Il raconte à ce sujet un tour assez plaisant qu'il joua luimême à un avocat qui plaidait contre lui, pour une jeune fille que son frere, disait-elle, refusait de reconnaître. Au moment de la péroraison, l'avocat ne manqua pas de prendre la jeune personne dans ses bras, et sortant de sòn banc, il la porta dans le banc opposé où il avait vu ce frere, comme pour la lui remettre malgré lui, et la déposer dans le sein fraternel. Mais Quintilien, qui avait vu de loin arriver cette figure de rhétorique, avertit d'avance son client de s'évader dans la foule, en sorte que l'avocat qui avait apporté cette enfant avec des cris et des mouvemens très-violens, ne trouva plus personne à qui la présenter ; et déconcerté par ce contre-tems imprévu, n'imagina rien de mieux que de la reporter très-tranquillement, et de la remettre où il l'avait prise.

« Un autre, plaidant pour une jeune femme qui » avait perdu son mari, crut faire merveille en » exposant le portrait de cet époux misérablement » assassiné. Mais ceux à qui il avait dit de montrer »ce portrait aux juges au moment de la péroraison, » ne sachant pas ce que c'était qu'une péroraison, chaque fois que l'orateur jetait les de leur

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yeux

→ côté, ne manquaient pas d'avancer le portrait;

» que

» et enfin quand on vint à le considérer, on vit celui que la veuve pleurait tant, était un » vieillard décrépit. On en rit si fort, qu'on ne » pensa plus au plaidoyer.

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« On sait ce qui arriva à Glycon. Il avait amené » à l'audience un enfant, dans la pensée que ses » cris et ses larmes pourraient attendrir les juges, » et son précepteur était auprès de lui

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pour l'avertir quand il faudrait pleurer. Glycon, plein de con

» fiance, lui adresse la parole, et lui demande

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pourquoi il pleure: c'est que mon précepteur me » pince. » On a souvent conté ce fait comme étant de nos jours: on voit qu'il est de vieille date, comme tant d'autres contes.

Quintilien, pour achever de faire voir le vice de tous ces moyens factices que les jeunes gens apportaient de l'école des rhéteurs, raconte la leçon aussi piquante qu'ingénieuse que donna Cassius Severus, l'un des meilleurs avocats de son tems, à un jeune orateur qui s'avisa de lui dire en l'apostrophant tout à coup : Pourquoi me regardez-vous avec cet air farouche? Moi! dit Cassius, je n'y pensais seulement pas. Mais apparemment que cela est écrit dans votre cahier, et je vais vous regarder comme vous le voulez; et en même tems il lui lança un regard épouvantable.

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Mais si Quintilien marque les écueils du pathétique, c'est pour en relever davantage le mérite et la puissance quand il est heureusement mis en œuvre. Bien des gens savent trouver des raisons

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et déduire des preuves; mais enlever les juges à » eux-mêmes, leur donner telle disposition que » l'on veut, les enflammer de colere ou les atten» drir jusqu'aux larmes, voilà ce qui est rare, voilà le véritable empire que l'éloquence a sur » les cœurs. Les argumens naissent d'ordinaire du » fond de la cause, et le bon droit n'en manque » pas; de sorte que celui qui gagne sa cause par leur

» moyen, peut croire qu'il n'avait besoin que d'un

» avocat. Mais quand il s'agit de faire une sorte de » violence aux juges, c'est ce que les cliens ne peu

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» vent nous apprendre, et ce qui ne se trouve point » dans leurs mémoires. Les preuves font penser » aux juges que notre cause est la meilleure; mais » les sentimens que nous leur inspirons, leur font

souhaiter qu'elle le soit, et notre affaire devient » la leur. Aussi l'effet des argumens et des témoi» gnages ne se manifeste que quand ils portent » leur arrêt. Mais lorsqu'on vient à bout de les » émouvoir, on sait, avant qu'ils soient levés de » leur siége, quel sera leur jugement. Quand on » les voit tout à coup fondre en larmes, comme

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