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nous que transplantée; que dans les gouvernemens libres, l'habitude de parler en public et la nécessité de bien dire donnaient à l'orateur un ressort et une facilité dont nous n'avons pu long-tems avoir d'idée ; que l'ame, qui est le premier mobile de toute éloquence, était chez eux remuée sans cesse par tout ce qui les environnait, aiguillonnée par les plus pressans motifs, échauffée par les plus puissans intérêts, exaltée par les plus grands spectacles. C'est alors, c'est avec cette réunion d'encouragemens et de secours que l'homme s'éleve au dessus de lui-même.

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Si le talent est rare, il est plus rare encore qu'il soit placé de maniere à produire tout ce qu'il peut. Il ne connaît lui-même toute sa force que lorsqu'il lui est permis de la déployer. Nul ne trouve tout en lui-même, et le génie, comme tout le reste veut avoir sa place pour avoir toute sa valeur. Ouvrez devant lui une carriere immense, qu'il voie toujours au-delà de son essor, et cet essor sera sans bornes. L'exercice continuel de ses forces sera en proportion de l'espace qu'il aura à parcourir, et c'est cet exercice qui jusqu'ici nous a manqué. Nous ne concevons rien aux prodiges des athletes; mais sommes-nous élevés et nourris comme eux ? et qui de nous pourrait se flatter de comprendre comment Cicéron a pu faire en un moment un

si beau discours, à moins d'avoir été accoutumé comme lui, à parler dans le sénat de Rome?

Un autre exemple non moins frappant de cette facilité qui n'est étonnante que pour nous, et dont nous ne voyons pas que les Anciens aient jamais été surpris, parce qu'ils en voyaient tous les jours des exemples, c'est la premiere Catilinaire ; c'est cette harangue foudroyante qui terrassa l'audace de ce fameux scélérat, lorsqu'il osa se présenter dans le sénat romain au moment même où Cicéron allait y rendre compte de tous les détails de la conjuration qu'il venait de découvrir. Cette harangue si célebre est de l'autre espece de genre démonstratif, opposée à celle dont je viens de parler. Cette seconde espece s'étend sur le blâme, comme l'autre sur la louange. Elle est dictée par l'indignation, par la haine, par le mépris, comme l'autre par l'admiration, la reconnaissance, l'amitié : elle est aussi regardée comme la plus facile, parce que les passions violentes sont celles qui nous dominent et nous entraînent avec le plus d'impétuosité, et que généralement les hommes entendent plus volontiers le blâme que la louange il faut leur apprêter celle-ci avec plus d'art, et l'on peut risquer l'autre avec moins de précaution. C'est par la même raison que dans le genre judiciaire Quintilien remarque que l'accusation est plus aisée

que la défense. « J'ai vu, dit-il, de médio"cres avocats se tirer assez bien de l'une; mais

» il n'y a qu'un orateur qui puisse réussir dans

>> l'autre. >>

La seconde Philippique de Cicéron est encore un monument mémorable dans le même genre. C'est le tableau de tous les vices, de tous les crimes de Marc-Antoine, peint des plus effrayantes couleurs. On sait qu'elle coûta la vie à son auteur. Il ne l'avait pas prononcée; mais elle avait été publiée à Rome et lue dans tout l'Empire. Antoine ne la pardonna pas, et devenu triumvir, il se vengea par un arrêt de proscription, c'est-à-dire, comme un brigand se vengerait d'un magistrat s'il avait des bourreaux à ses ordres.

Parmi nous le genre démonstratif comprend, outre l'oraison funebre, les sermons dont l'objet est de détourner du vice et de prêcher la vertu, les discours prononcés dans les académies ou devant les corps de magistrature, et depuis environ trente ans, l'éloge des grands - hommes. Cette nouvelle branche ajoutée à l'éloquence française, n'est pas celle qui a fleuriavec le moins d'éclat ni le moins fructifié pour l'utilité générale.

Dans le genre délibératif proprement dit, dont l'objet est de délibérer sur les affaires publiques,

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sur la guerre, sur la paix, sur les négociations, sur les intérêts politiques, sur tous les points généraux de législation ou de gouvernement, nous n'avions ni ne pouvions rien avoir avant la révolution de 1789, à opposer aux Grecs et aux Romains, et l'on sent assez que ce genre, qui est le triomphe de l'éloquence républicaine, ne trouve point de place dans les gouvernemens monarchiques. Mais nous avons des ouvrages qui tiennent en partie de ce genre et du genre démonstratif. Tels sont ceux où l'on traite particuliérement quelque question importante de morale ou de politique, ou de législation, comme le Livre sur les opinions religieuses, le discours Sur le préjugé des peines infamantes, et un très-petit nombre d'autres qui ont pour but de faire voir ce qu'il faut admettre et ce qu'il faut rejeter.

L'éloquence délibérative tient une très-grande place dans les historiens de l'antiquité, et fait un des principaux ornemens de leurs ouvrages; elle n'en tient presqu'aucune dans nos histoires modernes, et cette différence est encore une suite nécessaire de la différence des mœurs et des gouvernemens. Thucydide, Xénophon, Tite-Live, Salluste, Tacite, n'ont nullement choqué la vraişemblance en prêtant de fort beaux discours à des hommes

hommes d'État reconnus pour très-éloquens, et dont plusieurs même avaient laissé des recueils manuscrits des harangues qu'ils avaient prononcées en diverses occasions, dans le sénat ou devant le peuple, lorsqu'on y délibérait des affaires de la république. Mais comme parmi nous les délibérations qui influent sur le sort des peuples, n'avaient pas la même forme, et qu'un homme d'État n'était nullement obligé d'être orateur, un historien ne se croyait pas non plus obligé de l'être, et c'est encore une des raisons de la sécheresse de nos histoires.

C'est dans les ouvrages de Démosthene et de Cicéron qu'on trouve les modeles de cette espece d'éloquence, la plus auguste de toutes et la plus imposante. Les Philippiques de l'orateur grec ont été souvent citées avec de justes éloges, et personne n'est plus disposé que moi à les confirmer, quoique Démosthene me paraisse avoir été encore au-delà quand il a parlé pour lui-même. A l'égard de Cicéron, l'on peut citer surtout le discours pour la loi Manilia, et ceux où il combattit la loi agraire. Il y remplit les deux objets du genre délibératif, de persuader et de dissuader. Le tribun Manilius proposait au peuple de donner à Pompée, par commission extraordinaire, le Cours de littér. Tome II.

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