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bition d'être cardinal. On s'attendait qu'il allait faire son apologie : elle pouvait être embarrassante, et de plus elle éloignait l'objet de la délibération présente, qui était pour le moment un coup de parti. Heureusement ce n'était pas à lui d'opiner, et il eut le tems de se recueillir. Il sentit qu'il fallait payer d'audace, en trouvant quelque moyen d'échapper à la nécessité de se justifier; qu'il fallait revenir promptement au résultat que l'on voulait éviter. Quand ce fut à son tour de parler, il se leva avec confiance, et du ton le plus imposant : « Je » ne puis ni ne dois dans la circonstance présente,

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dit-il, répondre à la calomnie qu'en me rendant » devant vous, Messieurs, le même témoignage » que se rendait l'orateur romain: In difficillimis

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reipublica temporibus urbem nunquàm deserui, in prosperis nihil de publico delibavi, in desperatis » nihil timui. » Dans les tems les plus orageux de la république, je n'ai jamais abandonné la patrie: dans ses prospérités, je ne lui ai rien demandé pour moi, et dans ses momens les plus désespérés je n'ai rien redouté. Il observe lui-même que ce passage avait en latin une grace et une force qu'on ne saurait rendre en français. Quoi qu'il en soit, il fit un assez grand effet pour l'enhardir à passer sur le champ à l'objet principal de la délibération, et à rejeter loin de lui toute apologie,

avec autant de hauteur que Scipion montant au capitole. Il fit ce jour-là tout ce qu'il voulut. En sortant de l'assemblée, tout le monde alla chercher dans Cicéron le passage qui avait paru si beau. On l'aurait cherché long-tems: il n'y en a pas un mot. Tout ce latin-là était de lui ; et cette aventure est assez plaisante pour qu'on se permette de dire qu'il ne perdit pas son latin.

SECTION II.

Des trois genres d'Éloquence, le démonstratif, le délibératif et le judiciaire.

Quintilien considere la matiere qu'il traite sous trois rapports principaux qui la partagent, l'art, l'artiste et l'ouvrage. Les divisions subséquentes sont formées des différentes parties qui sont propres à chacune de ces trois choses. Il examine (et c'est peut-être trop de complaisance qu'il eut pour les rhéteurs et les sophistes de son tems) si la rhétorique doit s'appeler un art, une science, une force, une puissance, une vertu. Toutes ces questions, à peu près aussi frivoles que subtiles, étaient fort à la mode dans les écoles grecques et romaines, et il fallait bien ne pas paraître les ignorer. Heureusement nous sommes dispensés d'en savoir

tant,

et nous nous entendons assez quand nous disons que l'éloquence est l'art de persuader, et que la rhétorique est une science qui contient les préceptes de cet art. Sans vouloir prétendre à la précision rigoureuse des définitions, qui n'est pas nécessaire hors des matieres philosophiques, on peut cependant établir cette différence générale entre une science et un art, que l'une se borne à la spéculation, et que l'autre produit un ouvrage. Ainsi l'on est astronome physicien, chimiste sans faire autre chose qu'étudier la nature; mais on n'est poëte qu'en faisant des vers, orateur qu'en faisant un discours, peintre qu'en faisant un tableau, etc.

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Quintilien définit la rhétorique la science de bien dire, et cette définition est peut-être meilleure en latin qu'en français, d'abord parce que le mot dicere a une toute autre force dans une des deux

langues que dans l'autre ; dans l'autre ; ensuite parce que l'auteur entend par bien dire, non-seulement parler éloquemment, mais ne rien dire que d'honnête et de moral, ce que le latin peut comporter, mais ce que les mots français correspondans ne présentent pas. Au reste, Quintilien est conséquent ; car il n'accorde le nom d'orateur qu'à celui qui est en même tems éloquent et vertueux. Il serait à souhaiter que cela fût vrai; mais je crains bien que

l'amour qu'il avait pour son art ne le lui ait fait voir sous un jour un peu trop avantageux. César, de l'aveu de Cicéron, était un très-grand orateur, et n'était pas un homme vertueux.

J'approuve encore moins Quintilien lorsqu'il condamne par des raisons assez frivoles cette définition de l'éloquence assez généralement adoptée, l'art de persuader. Il objecte que ce n'est pas la seule chose qui persuade; que la beauté, que les larmes, les supplications muettes persuadent aussi. Mais n'est-ce pas abuser du mot de persuader, qui en latin comme en français entraîne sans qu'on le dise, l'idée de la persuasion opérée par la parole? A proprement parler, la beauté charme, les pleurs attendrissent, mais l'éloquence persuade. Les exemples mêmes qu'il cite, viennent à l'appui de cette distinction très - fondée. Lorsqu'Antoine l'orateur, plaidant pour Aquilius, déchira tout à » coup l'habit de l'accusé et fit voir les blessures » qu'il avait reçues en combattant pour la patrie, » se fia-t-il à la force de ses raisons? Non, mais » il arracha des larmes au peuple romain, qui ne » put résister à un spectacle si touchant, et ren» voya le criminel absous. » Je réponds à Quintilien : Donc de votre aveu, le peuple romain ne pas persuadé; il fut touché.

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fut

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Mais tout le monde sera de son avis, lorsque

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se plaisant à relever l'excellence de l'art de parler, il nous dit : « Si le Créateur nous a distingués du » reste des animaux, c'est surtout par le don de » la parole. Ils nous surpassent en force, en pa» tience, en grandeur de corps, en durée, en vîtesse, en mille autres avantages, et surtout en » celui de se passer mieux que nous de tous secours étrangers. Guidés seulement par la nature, ils » apprennent bientôt et d'eux-mêmes, à marcher, » à se nourrir, à nager. Ils portent avec eux de quoi se défendre contre le froid; ils ont des » armes qui leur sont naturelles ; ils trouvent leur >> nourriture sous leurs pas; et pour toutes ces » choses, que n'en coûte-t-il pas aux hommes ? » La raison est notre partage et semble nous associer aux immortels; mais combien elle se»rait faible sans la faculté d'exprimer nos pen»sées par la parole, qui en est l'interprete fidele? » C'est là ce qui manque aux animaux, bien plus » que l'intelligence dont on ne saurait dire qu'ils » soient absolument dépourvus..... Donc si nous » n'avons rien reçu de meilleur que l'usage de » la parole, qu'y a-t-il que nous devions perfec» tionner davantage? Et quel objet plus digne ›› d'ambition, que de s'élever au dessus des autres hommes, par cette faculté unique qui les éleve >> eux-mêmes au dessus des bêtes. »

دو

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