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J'oserais croire au contraire (et cette opinion est fondée sur la nature même et sur l'expérience) que si nous sommes assez heureux pour être de quelque utilité, elle doit être ici plus certaine et plus étendue que partout ailleurs. Je connais tous les avantages de la lecture particuliere, surtout dans les matieres abstraites qui exigent beaucoup de méditation ; mais pour celles que nous traitons ici, qui généralement ont plus besoin d'être bien saisies que long-tems approfondies, qui sont plus faites pour donner du mouvement à l'esprit que pour le condamner au travail, cette forme des assemblées publiques et cette habitude des mêmes exercices me paraît préférable à toutes les autres. En ce genre l'oreille vaut mieux que l'œil, pour retenir et arrêter la pensée. Les sensations sont plus vives quand elles ne sont pas solitaires; elles sont plus sûres quand elles paraissent confirmées par tout ce qui nous environne; l'attention de chacun est soutenue par celle des autres; ce qu'on a senti en commun laisse une trace plus profonde. Chacun remporte des idées acquises, qu'il compare à loisir avec les siennes; et il se fait en quelque sorte un travail général et simultané de tous les esprits, qui tourne tout entier au profit de la raison et de la vérité.

Quintilien fait passer son éleve par tous les

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genres d'instruction qui doivent occuper les premieres années et précéder l'étude de l'éloquence. Il le met d'abord entre les mains du grammairien, qui doit lui apprendre à parler, à écrire correctement sa langue, à lire les poëtes grecs et latins, à connaître les regles de la versification, à sentir le charme de la poésie, à prendre une idée générale de l'histoire. Il veut de plus qu'il ne soit pas étranger à la musique ni à la géométrie, afin que l'une lui forme l'oreille et lui donne le sentiment de l'harmonie, et que l'autre l'accoutume à la justesse et à la méthode. Il sent bien qu'on sera étonné de tout ce qu'il demande de l'éleve qu'il veut préparer à l'éloquence. Mais il ne fait en cela que répéter ce que recommande Cicéron dans son Traité de l'Orateur, et se justifie comme lui en disant qu'il ne se regle sur aucun de ceux qu'il connaît, mais qu'il veut tracer le modele idéal d'un orateur accompli, tel qu'il l'a conçu : dût-il ne jamais exister, chacun du moins en prendra ce dont il sera capable, et ira jusqu'où il peut aller. On s'attend bien qu'il n'omet pas la politique ni la jurisprudence, sans lesquelles on ne peut traiter ni les affaires de l'État ni celles des particuliers. Il prévoit qu'on se récrieta sur la multitude des connaissances qu'il exige. Il faut voir les raisons et les exemples dont il s'appuie, et dont le détail nous

menetait trop loin de notre objet. Mais l'espece de péroraison qui termine ce morceau et finit son premier livre, vous fera d'autant plus de plaisir, que vous verrez combien l'auteur était pénétré de cêt amour des arts et de ce noble enthousiasme sans lequel il est impossible d'y exceller ni de les faire aimer aux autres.

«Avotons que nous grossissons les difficultés » pour excuser notre indolence. Ce n'est pas l'art » que nous aimons : nous ne voyons pas dans » l'éloquence telle que je l'ai conçue, c'est-à-dire,

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inséparable de la vertu, nous n'y voyons pas » la plus belle, la plus honorable des choses hu» maines; nous n'y cherchons qu'un vil et sordide » trafic. Eh bien ! que sans tous les talens que je » demande, on se fasse écouter au barreau, qu'on puisse même s'y enrichir, j'y consens; mais celui qui aura devant les yeux cette image divine de l'éloquence, qu'Euripide a si bien nommée la » Souveraine des ames, celui-là n'en verta pas l'avantage et le fruit dans un salaire abject, mais » dans l'élévation de ses pensées, dans les jouis»sances de son ame, jouissances continuelles et indépendantes de la fortune, Il donnera volontiers » aux arts et aux sciences le tems que l'on perd » dans l'oisiveté, dans les jeux, les spectacles, les » conversations frivoles, le sommeil et les festins,

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» et trouvera plus de douceur dans les études de » l'homme de lettres, que dans tous les plaisirs

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de l'ignorance; car une providence bienfaisante » a voulu que nos occupations les plus honnêtes » fussent aussi les plus satisfaisantes et les plus »douces. »

gens

A l'égard des auteurs qu'il faut mettre les premiers entre les mains des jeunes gens, c'est une question qui ne lui paraît pas difficile à résoudre. Ce n'est pas que de son tems il n'y eût des qui prétendaient que les auteurs les plus médiocres étaient ceux qu'il convenait de faire lire les premiers, et cette opinion a été renouvelée de nos jours (1). Le prétexte de ce frivole paradoxe, c'est que la premiere jeunesse n'est pas à portée de sentir toutes les beautés des écrivains supérieurs. Non, mais elle est très-susceptible de se laisser séduire par le mauvais goût avant de connaître le bon; et pourquoi l'exposer à ces impressions trompeuses qu'on n'est pas toujours sûr d'effacer? Le précepte de Quintilien est fort simple et n'en est pas moins bon.

Mon avis est qu'il faut lire les meilleurs auteurs » dès le commencement et toujours. » Mais il donne d'abord la préférence à ceux qui ont écrit

(1) Dans le livre intitulé Adele et Théodore, ou Lettres sur l'éducation. Il en sera parlé ailleurs.

avec le plus de netteté. Il préfere, par exemple, Tite-Live à Salluste; mais il place avant tout Cicéron, et après lui ceux qui s'en rapprocheront le plus. Il ajoute : « Il est deux excès opposés dont » il faut également se garder. Ne souffrons pas » que le maître, par une admiration aveugle de » nos antiquités, laisse les enfans se rouiller dans la lecture de nos vieux auteurs, rels que les

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Gracches, Caton et autres du même tems: ils » y prendraient une maniere d'écrire dure, seche » et barbare. Trop faibles pour atteindre à la force » des pensées et à la noblesse des sentimens, ils » s'attacheraient à l'expression, qui sans doute » était bonne alors, mais qui ne l'est plus aujour

d'hui; et contens d'imiter ce qu'il y a de défec» tueux dans ces grands-hommes, ils seront assez 32 sots pour croire qu'ils leur ressemblent, D'un » autre côté, il faut prendre garde qu'ils ne se pas"sionnent pour les Modernes, au point de mépriser les Anciens et d'aimer dans les écrivains » de nos jours jusqu'à leurs défauts, jusqu'à cette profusion d'ornemens qui énerve le style. Gar» dons-nous qu'ils ne se laissent séduire par certe "sorte de luxe et de mollesse qui les flatte d'autant

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plus, qu'elle a plus de rapport avec la faiblesse de leur âge et de leur jugement. Quand ils auront » le goût formé, et qu'ils seront capables de s'en

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