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style il a trop peu de sentimens et beaucoup trop d'esprit. On voit que la douleur ne saurait passer de son ame jusque dans son style, et l'on croirait qu'il s'amuse de ses plaintes et de

ses vers.

Ovide né avec un génie facile et abondant, une imagination riante et voluptueuse, et comme a dit M. Marmontel :

Enfant gâté des Muses et des Grâces,
De leurs trésors brillant dissipateur,
Et des Plaisirs savant législateur.

Ovide était bien plus fait pour être le peintre des voluptés que le chantre du malheur. Ses trois livres des Amours, ouvrage de sa jeunesse, ont tout l'éclat, toute la fraîcheur de l'âge où il les composa il est impossible d'avoir plus d'esprit et d'agrément. Il n'a, je l'avoue, ni la sensibilité, ni l'élégance, ni la précision de Tibulle: il est moins passionné que Properce. On peut lui reprocher l'abus de la facilité, de fréquentes répétitions d'idées et quelquefois du mauvais goût; mais quelle foule d'idées ingénieuses et de détails charmans! Quelle vérité d'images gracieuses et de mouvemens toujours aimables! Comme il aime franchement le plaisir ! C'est là ce qui manque 3

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tant d'auteurs qui ont voulu l'imiter. On voit trop
que c'est un air qu'ils se donnent, et qu'ils sont
beaucoup plus sages qu'ils ne voudraient nous le
faire croire. Ils n'ont pas ce ton de vérité, sans
lequel on ne persuade jamais. Ils oublient qu'on
n'a jamais bonne grace à vouloir être ce qu'on n'est
pas. Boileau a si bien dit!

Chacun pris dans son air, est agréable en soi.
Ce n'est que l'air d'autrui qui peut déplaire en moi.

Et malheureusement cet air-là s'aperçoit tout de
suite. Il en est des livres comme de la société :
dans l'un et dans l'autre il ne faut point avoir
d'autre caractere que le sien. Ovide ne cherche pas
à en imposer et n'en impose point. Lorsque dans
la troisieme élégie de son livre des Amours, il
promet à sa maîtresse de n'aimer jamais qu'elle, et
assure que de son naturel il n'est point inconstant,
on en a déjà vu assez pour être bien sûr qu'il pro-
met plus qu'il ne peut tenir, qu'il ne la trompe pas,
mais qu'il se trompe lui-même. Aussi ne tarde-t-il
pas à confesser qu'il aime toutes les femmes, et
qu'il n'est pas en lui de ne pas les aimer toutes.
Il ne manque pas d'en donner de très-bonnes rai-
sons, et cette confession, qui n'est pas très-édi-
fiante, est au moins une de ses plus jolies pieces.

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Il se plaint de cette malheureuse disposition à aimer, avec un sérieux qui est très-amusant. On juge bien qu'il ne songe pas à intéresser par le. tableau d'une belle passion. L'on ne peut pas être moins scrupuleux en amour. Il ne traite pas mieux que les autres cette beauté qu'il rendit si célebre sous le nom de Corinne, et qui la premiere avait éveillé son génie. Il eut la discrétion de se servir d'un nom feint, parce que c'était une dame romaine; au lieu que Délie, Néera, Némésis et autres, célébrées par Tibulle et Properce, étaient des courtisanes. Quelques-uns ont cru que cette Corinne n'était autre que Julie, fille d'Auguste, et que cette liaison découverte fut la véritable cause de sa disgrace. Sidonius Apollinaris l'a écrit expressément; mais cette opinion est destituée de toute vraisemblance. S'il eût eu à se reprocher cette faute, aurait-il osé dire sans cesse à Auguste qu'il ne l'avait offensé que par une erreur involontaire ? Il paraît par ses écrits, que cette Corinne l'aima passionnément, et que si elle finit par lui être infidelle, c'est qu'il lui en avait donné l'exemple. Il se plaint amérement de sa jalousie continuelle dans une de ses élégies, et surtout de ce qu'elle le soupçonne d'une intrigue avec sa femme-dechambre. Il faut voir quel pathétique il met dans

ses plaintes, que de protestations, de sermens: on serait tenté d'en être la dupe. Mais il n'a pas envie qu'on le soit; car la piece qui suit immédiatement, et qui peut-être partit avec l'autre, est adressée à cette même femme-de-chambre, qui était, à ce qu'il nous apprend lui-même, une brune très-piquante. Il l'accuse d'avoir donné lieu par quelque indiscrétion aux soupçons de sa maîtresse; il lui reproche d'avoir rougi comme un enfant, lorsqu'elle l'a regardée; il lui rappelle avec quel sang-froid il a su mentir, lui, avec quelle intrépidité il s'est parjuré quand il a été question de se justifier, et finit par lui demander un rendezvous. Il y a là de quoi décréditer à jamais tous les sermens des poëtes. Voilà les amours de celui qui a fait l'Art d'aimer. Mais il ne faut pas s'y tromper : le titre latin ne présente pas tout à fait l'idée que nous attachons à ce mot aimer. Ce titre Artis amatoria, signifie proprement l'Art de faire l'amour, et en cela le poëte a raison; car l'un ne s'apprend pas, et et l'autre peut en effet se réduire en art.

:

Là division seule du poëme suffit pour prouver le but de l'auteur dans le premier livre il traite du choix d'une maîtresse; dans le second, des moyens de lui plaire et de se l'attacher long-tems. C'est à peu près le plan qu'a suivi Bernard, et

*

l'on voit déjà le premier et le plus grand défaut dans l'Art

que

commun aux deux ouvrages, c'est d'aimer, tant latin que français, on trouve tout, excepté de l'amour. On me dira qu'il ne pouvait guere s'y trouver : c'est donc un sujet mal choisi, On ne s'accoutume point à entendre parler si longtems d'amour, sans que le cœur y soit pour rien, L'imagination est trompée, et par conséquent refroidie. Je ne parlerai point ici du poëme de Bernard, si ce n'est pour dire qu'il est infiniment supérieur à celui d'Ovide par le mérite de l'exécution. De plus, Ovide est ici bien inférieur à lui-même. Ce poëte si agréable dans ses Amours, est en général médiocre et froid dans l'Art d'aimer. Aussi est-il infiniment moins difficile de réussir dans des pieces détachées que dans un poëme régulier, où il faut avoir un plan et aller à un but. Dès le premier livre, le lecteur sent trop que l'ouvrage n'aura rien d'attachant. Qu'est-ce qu'un millier de vers, pour vous apprendre à chercher une maîtresse ? Le cœur répond d'abord qu'on la trouve sans la chercher, et que cet arrangement ne se fait pas comme dans la tête du poëte. Ovide vous envoie courir les places publiques, les temples, les spectacles, la ville, la campagne, les eaux de Baies, pour trouver celle à qui vous puissiez dire

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