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pas moins répandue encore aujourd'hui, tànt il est difficile de déraciner les vieux préjugés. Tacite parle d'un Pétrone qui fut consul sous Néron, et l'un des plus intimes favoris de cet empereur. C'était, dit l'historien, un homme d'une délicatessé exquise dans le choix des voluptés, un vrai précepteur de mollesse : c'est à ce titre qu'il était devenu si agréable à Néron, qui en avait fait l'intendant de ses plaisirs, et ne trouvait rien à son goût que ce qui était de celui de Pétrone. Cette faveur dura tant que Néron se contenta d'être voluptueux; mais lorsqu'il tomba dans la débauche grossiere et dans la crapule, il eut honte de lui-même devant le maître dont il n'était plus le disciple: il fallut cacher à Pétrone des infa mies qu'il méprisait, et Néron en était venu au point de rougir devant un voluptueux de bon goût, comme on rougit devant la vertu. Tigellin, le ministre et le flatteur de ses sales débauches profita de cette disposition pour écarter un concurrent qu'il redoutait, et sut bientôt le rendre odieux et suspect au tyran, au point de le faire condamner à la mort. Cette mort est célebre par le sang-froid et l'insouciance qui l'accompa→ gna. Saint-Évremond la préfere à celle de Caton: il oublie qu'il ne fallait pas les comparer. Pétrone, avant de mourir, traça par écrit le détail MA

des nuits infâmes de Néron sous des noms sup posés, et le lui envoya dans un paquet cacheté. C'est ce paquet qui vraisemblablement n'a jamais été connu que de Néron seul, que des savans ont cru être cette satyre mutilée qui nous est parvenue sous le nom de Pétrone. Quand Voltaire s'est moqué de cette ridicule supposition, on n'a paru voir dans ce paradoxe qu'un des traits ordinaires du pyrrhonisme qu'il a porté sur beaucoup d'objets. Mais ce qu'on ne sait pas communément, c'est que cette opinion sur Pétrone est fort antérieure à Voltaire; que Juste-Lipse avait déjà élevé sur cet article des doutes qui approchaient beaucoup de la probabilité, et que le savant Blaëu a démontré clairement qu'il était impossible que l'ouvrage de Pétrone fût la satyre de Néron ni que l'auteur eût été le Pétrone, d'abord favori et ensuite victime du tyran. La licence cynique et les fréquentes lacunes de cet écrit tronqué qui n'a ni commencement ni fin, ne permettent pas d'en faire l'exposé ni d'en apercevoir le plan; mais il est certain que les aventures triviales d'une société de débauchés du dernier ordre ne peuvent ressembler aux nuits de Néron, quelqu'idée qu'on s'en fasse ; qu'un jeune empereur qui avait de l'esprit ne peut pas être représenté dans le personnage de Trimalcion, vieillard chauve, difforme et im

bécille; que les soupers de Néron ne pouvaient pas ressembler au repas ridicule de ce vieil idiot, et que sa femme Fortunata, aussi insipide que lui, n'a rien de commun avec l'impératrice Poppée, l'une des femmes les plus belles et les plus sédui-, santes de son tems. Il est très-probable que cette rapsodiepest de quelqu'éleve de l'école des rhéteurs d'un jeune homme qui n'était pas sans quelque talent, et qui a choisi la forme la plus commode pour joindre ensemble ses ébauches de littérature et de poésie, et le tableau de la mauvaise compagnie où il avait vécu. Il fait une critique fort sensée des déclamateurs de son tems, er son Essai poétique sur les guerres civiles n'est pourtant qu'une déclamation où il y a quelques traits heureux. Plusieurs de ses peintures ont de la vérité, mais dans un genre commun, facile et même bas. Quelques fragmens de poésie et le conte de la Matrone d'Éphese, que Lafontaine a imité d'une maniere-inimitable, sont ce qu'il y a de mieux dans Pétrone. Bussy Rabutin en a traduit presque littéralement l'histoire d'Eumolpe et de Circé, en y substituant des noms de la cour de Louis XIV; et il n'est pas étonnant que dans un ouvrage tel que le sien, il ait choisi un pareil modele. D'ailleurs, les louanges très-exagérées de Saint-Évremond avaient mis Pétrone

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à la mode. Il n'en parle qu'avec enthousiasme, parce qu'il le croyait homme de cour, que ce mot alors en imposait beaucoup, et que Voiture et lui regardaient comme une preuve de bon goût, de ne reconnaître une certaine délicatesse que dans les écrivains qui avaient vécu à la cour. On opposait au pédantisme de l'érudition qui avait régné long-tems, une autre sorte d'abus, la recherché de l'esprit, l'affectation de la galanterie et la prétention à l'urbanité et au ton de courtisan. Moliere contribua beaucoup à faire tomber ce ridicule, accrédité. par des personnes de mérite en plus d'un genre, et faite pour dominer sur l'opinion. Cette époque de notre littérature, considérée sous ce point de vue, ne sera pas un des objets les moins curieux de notre attention lorsqu'il sera tems de le traiter,

SECTION

I I I.

De l'Épigramme et de l'Inscription.

L'épigramme, dans le sens que l'on donne aujourd'hui à ce mot, est de tous les genres de poésie celui qui se rapproche le plus de la satyre, puisqu'il a souvent le même objet, la censure et la raillerie; et même dans le langage usuel, un trait mordant lancé dans la conversation s'appelle une épigramme: mais ce mot s'applique aussi par extension à une pensée ingénieuse, ou même à une naïveté qui fait le sujet d'une petite pięce de vers. Ce terme en lui-même ne signifie qu'inscription, et il garda chez les Grecs, dont nous l'avons emprunté, son acception étymologique. Les épigrammes recueillies par Agathias, Planude, Constantin, Hieroclès et autres qui forment l'Anthologie grecne sont guere que des inscriptions pour des offrandes religieuses, pour des tombeaux, des statues, des monumens: elles sont la plupart d'une extrême simplicité, assez analogue à leur destination; c'est le plus souvent l'exposé d'un fait. Beaucoup sont trop longues, et presque toutes n'ont rien de commun avec ce que nous nommons une épigramme. Voltaire, qui savait cueillir si habilement la fleur de chaque objet, a traduit les seules

que,

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