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versel dans les écoles. Mais pour les Pères, c'est en rhétorique seulement qu'on peut les lire, et seulement par extrait. Je ne puis d'ailleurs qu'applaudir à l'éloge qu'il fait de ces illustres écrivains du christianisme : « Les Pères ont assurément au>> tant d'esprit que les plus beaux génies d'Athè» nes et de Rome. » Je le crois, quoiqu'ils n'aient pas toujours autant de goût. Ne soyez pas surpris, au reste, que Diderot s'exprime ainsi, sans crainte d'être appelé capucin. Songez qu'il écrivait avant les beaux-esprits de la révolution, dont la plupart ne savent pas même l'orthographe', et qui font un si grand usage de ces mots de capucin et de capucinade. S'ils se souvenaient du proverbe, qu'il ne faut pourtant pas prendre à la lettre 2, ignorant comme un capucin, ils ne prononceraient jamais ce nom-là de peur des applications.

↑ Cela est vrai à la lettre. L'un d'eux qui a imprimé une vingtaine de volumes, m'écrivit en 1792 deux ou trois lettres de sa main, dont l'orthographe aurait pu être celle d'une blanchisseuse. Comme je pris la liberté de m'en moquer un peu, il eut recours à un de ses secrétaires (car il en avait alors), apparemment un peu plus fort que lui en cette partie, et me fit une réponse où il y avait encore des fautes, mais moins grossières. Quand ces auteurs-là font imprimer, c'est le prote qui corrige leurs manuscrits.

2 C'est chez les capucins que s'est formée de nos jours une société d'Hébraïsans, qui ont donné sur les textes originaux de nos livres saints des ouvrages universellement estimés.

Mais sur l'étude du latin, Diderot ne pouvait manquer de répéter les anathèmes si étourdiment lancés, dans ce siècle de réforme, par ceux qui, blamant tout et réfléchissant fort peu, se croyaient en état de tout remplacer.. « Je n'ai ja

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mais compris que l'on pût travailler sérieuse>>ment à enseigner à des enfans les délices et les » élégances d'une langue morte qu'ils n'enten>> dent pas encore, et qu'ils ne sentiront jamais. » bien. Ne dirait-on pas que l'ancienne Rome va » renaître de ses ruines, et qu'au sortir du col

lége ils vont haranguer le peuple à la tribune, » ou réciter des poëmes à Auguste? Il s'agit d'en» tendre le latin, non pas pour le latin même, >> mais pour les choses utiles écrites en cette lan» gue, et de le parler, non pour devenir préteur » ou consul, mais pour se faire entendre à des étrangers qui ne veulent que nous entendre: >> aussi est-il à propos d'exercer dès lors et d'obli>> ger les écoliers à parler latin entre eux et avec >> leurs maîtres. »

>>

Pure déclamation, amas de contradictions et de puérilités, dont il faut bien faire justice une fois, afin qu'on ne les répète plus. J'ai prouvé ailleurs que nous avions sur la diction latine des

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Ce sont les titres de quelques livres de classes.

2 Dans le Cours de Littérature, tome I, chapitre De la langue française comparée aux langues anciennes.

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connaissances beaucoup plus assurées et plus étendues que ne le croient ceux qui ne l'ont que superficiellement étudiée. Je me réfère à ce que j'ai répondu à ceux qui interdisent aux modernes tout jugement sur le style des auteurs anciens, sous prétexte qu'ils n'en peuvent savoir là-dessus autant que Cicéron, Denys d'Halicarnasse et Quintilien, comme si l'on ne pouvait rien savoir parce qu'on ne sait pas tout; comme si une science n'existait plus parce qu'elle a ses incertitudes et ses bornes! Si l'on n'apprend pas le latin pour le latin même, cela ne peut signifier autre chose, si ce n'est, comme le dit ingénieusement Diderot, que l'on ne songe pas à devenir préteur ou consul; car d'ailleurs pourquoi donc ne l'apprendrait-on pas pour le plaisir de savoir une très-belle langue, dans laquelle on a écrit de très-belles choses? Et dès qu'on apprend, il faut apprendre le mieux possible tout ce qu'on veut savoir, il faut le savoir bien. Diderot veut qu'on ne sache le latin que pour le parler; c'est d'ordinaire l'usage qu'on en fait le moins, hors en voyageant dans quelques contrées de l'Europe où il est plus familier que le français. C'est encore, ajoute-t-il, pour les choses utiles écrites en cette langue, et il ne s'agit que de l'entendre. Mais pour entendre une langue, il faut, ce me semble, que l'on vous ait enseigné la propriété des termes, leurs différentes acceptions, la valeur des constructions, la dif

férence et la variété des tournures, et les finesses d'expression. Or, qu'est-ce que tout cela, si ce n'est pas l'élégance proprement dite? Et c'est pourtant ce que l'auteur ne comprend pas qu'on enseigne sérieusement. Il oublie donc que, sans cet enseignement indispensable, et qui ne lui paraît que ridicule, on ne parviendrait jamais à cette simple intelligence du sens des auteurs, à laquelle il veut borner l'instruction; il oublie, il ignore qu'à cette même élégance d'expression et de phrase, dont il veut qu'on ne tienne aucun compte, est attachée le plus souvent, dans les orateurs, dans les historiens, dans les poëtes, cette même intelligence du sens qu'il reconnaît nécessaire. Est-il permis de se contredire à ce point, ou de s'entendre si peu ? Quoi! c'est à un savant (car il l'était) qu'il faut rappeler qu'il y a dans toutes les langues une grande distance entre le style familier et le style soutenu, et que c'est précisément cette différence qui constitue ce qu'on appelle élégance! Qu'est-ce qui arrête un commençant quand il arrive à la lecture des grands écrivains de Rome? Sont-ce les mots? il les trouve dans le dictionnaire; les constructions ordinaires ? elles sont dans la syntaxe. Mais ce qui l'embarrasse, et qu'il faut absolument lui enseigner, parce que cela ne se devine pas, c'est la multitude des tropes, des mots détournés de leur sens et métaphoriquement employés, des figures de diction, des ellipses, des

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tournures empruntées du grec, dont les poëtes surtout sont remplis. Pourquoi alors est-il dérouté à chaque pas? C'est qu'il ne connaît encore, pour chaque chose, que l'expression commune. Et comment lui fera-t-on entendre ces auteurs-là, si ce n'est en lui enseignant que telle chose, qui se dit ainsi dans l'usage commun, se dit élégamment de telle ou telle autre manière? Plus il y a de ces tournures dans une langue, grâces au génie de ses écrivains, plus elle est belle et riche; et c'est l'éloge du grec et du latin. Diderot voudrait-il nous défendre de faire entrer pour quelque chose dans l'étude du latin le plaisir de lire des écrivains supérieurs, dont le talent devient pour nous la récompense de notre travail? Vous ne le sentirez jamais bien. Non pas comme Varron et Asconius, je l'avoue; mais serait-il possible que luimême n'eût jamais rien senti en lisant Horace et Virgile, Tacite et Cicéron, et qu'il n'eût fait que les comprendre? Je ne crois pas qu'il en convînt, et il démentirait ce que lui-même en a dit. Mais ce qu'il y a de décisif, c'est que j'ai prouvé qu'il était impossible de parvenir à les comprendre sans apprendre en même temps à les sentir, autant du moins qu'il est permis à ceux qui n'ont pas été leurs concitoyens.

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Est quadam prodire tenùs, si non datur ultrà.
(HOR., epist. I.)

Et sans aller à tout, on va jusqu'où l'on peut.

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