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je l'imprime aujourd'hui, comme un ouvrage encore informe, il est vrai, mais propre à faire naître à quelque homme généreux l'idée de le perfectionner et d'en faire un meilleur.

On trouvera dans celui-ci plus d'idées pratiques que d'idées théoriques, parce que j'ai appris de bonne heure dans le tumulte des affaires à me défier des plus belles théories, quand elles n'ont pas été éprouvées par l'expérience. On peut avec de l'imagination se créer un monde idéal, et l'embellir à son gré; mais perfectionner le monde réel ou les sociétés humaines au milieu desquelles on vit, est un ouvrage très-difficile et cependant le seul digne d'occuper sérieusement les hommes qui se sont voués au service des autres.

La science des gouvernements est en effet la plus utile de toutes, parce que c'est celle qui contribue le plus au bonheur des hommes; mais elle est encore peu perfectionnée, parce qu'elle ne peut l'être que par les progrès de toutes les autres.

Cette science apprend aux hommes à vivre heureux dans la société: elle est donc une partie nécessaire et comme le complément de la morale.

Aristote, qui avait enseigné aux Grecs presque toutes les sciences, leur avait aussi enseigné celle des gouvernements; mais les gouvernements anciens étant moins compliqués

les nôtres et fondés sur d'autres mœurs, que la doctrine de ce philosophe n'est plus applicable aux gouvernements modernes. Il faut donc aujourd'hui faire d'autres combinaisons politiques, puisqu'on a d'autres éléments: mais, quoique les combinaisons soient différentes, elles doivent toujours avoir la même fin, qui est le bonheur des hommes; et, comme les hommes ne peuvent parvenir au bonheur que par la vertu, la vertu doit être la fin de toutes les combinaisons politiques ou de tous les gouvernements.

Mais tous les gouvernements sont imparfaits, puisqu'ils sont tous l'ouvrage de l'homme.

Il faut donc travailler sans cesse à les perfectionner. Or, on ne peut perfectionner les gouvernements qu'en perfectionnant les mœurs, qui en sont les éléments, parce que plus les éléments d'un ouvrage sont beaux, plus l'ouvrage est parfait.

C'est donc à perfectionner les mœurs des hommes que doivent tendre tous les législateurs, parce que ce n'est qu'après avoir perfectionné les mœurs, qu'ils peuvent perfectionner les gouvernements.

par

On perfectionne les mœurs par l'éducation,

la législation, et surtout par une bonne administration. Les bons administrateurs sont donc les plus grands bienfaiteurs des nations, puisque ce sont eux qui contribuent le plus à perfectionner les mœurs.

Le perfectionnement des mœurs doit donc précéder partout celui des gouvernements. Hercule, soulevant Antée et l'étouffant dans ses bras, après l'avoir détaché de la terre, est l'image de tout législateur imprudent, qui

voudrait changer le gouvernement d'une nation, sans avoir changé ses mœurs, parce qu'un tel gouvernement, n'ayant aucune racine dans les mœurs des hommes, serait renversé au premier souffle de leurs passions. Mais, quand les mœurs d'une nation ont changé, il faut aussi changer son gouvernement, pour mettre le gouvernement en harmonie avec les mœurs. Nul effort humain ne peut alors s'opposer à ce changement; et les administrateurs des nations, qui se refusent à le faire eux-mêmes, sont condamnés à le subir.

Mon dessein n'a donc pas été d'engager aucune nation à changer brusquement les formes de son gouvernement, mais à améliorer ses mœurs par de bonnes institutions et surtout par une bonne administration; et, quand des mœurs meilleures l'ont préparée à des formes de gouvernement plus parfaites, à passer doucement et par degrés des formes anciennes aux nouvelles, parcé que

tout changement brusque l'agiterait trop et pourrait lui devenir funeste.

J'ai voulu surtout asseoir les gouvernements sur leurs véritables bases, qui sont les bonnes mœurs, et les affermir sur ces bases, afin qu'ils ne soient plus le jouet perpétuel des passions humaines.

Ennemi, par mes principes, de toute exagération, et aussi indépendant par ma fortune que par mon caractère, je n'ai eu pour motif en écrivant que le bien de l'humanité. Ceux qui m'en prêteraient d'autres, ne me connaîtraient pas ou me connaîtraient mal; mais comme, avec les intentions les plus pures, on peut s'égarer dans ses opinions, j'espère que, si je me suis égaré dans les miennes, j'aurai au moins montré par mes erreurs même le chemin qui conduit à la vérité.

Je n'ai voulu ni décrier les rois pour flatter les peuples, ni décrier les peuples pour flatter les rois, parce que, content de mon sort, je n'ai jamais ambitionné ni la faveur des uns,

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