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seules dans l'état populaire. Qu'aucun de vous n'ignore donc, mais qu'au contraire chacun sache avec une entière certitude que le jour qu'il monte au tribunal pour discuter une accusation sur le violement des lois, ce même jour il va prononcer sur sa propre indépendance. Aussi le législateur, convaincu qu'un état libre ne peut se maintenir qu'autant que la majesté des lois y domine, prescrit avant toutes choses aux juges cette formule de serment: Je jugerai selon les lois. Il faut donc que ce souvenir, profondément gravé dans vos esprits, vous inspire une juste horreur pour quiconque ose par de téméraires décrets les transgresser; et que, loin de vous figurer jamais une pareille transgression comme une faute légère, vous la regardiez toujours comme un forfait énorme et capital. Ne permettez donc point que sur un tel principe personne vous ébranle... Mais ainsi qu'à l'armée chacun de vous rougirait de quitter le poste où l'aurait placé le général, que pareillement chacun de vous rougisse aujourd'hui d'abandonner dans le sein de la république le poste où la loi vous place. Quel poste? Celui de protecteurs du gouvernement. »>

Cette comparaison, fort belle et fort noble par ellemême, a ici une grace particulière, en ce qu'elle présente comme deux faces. Car, au même temps qu'elle intéresse les juges, elle pique vivement la poltronnerie de Démosthène, contre qui elle renferme un trait d'autant plus délicat et plus malin, qu'il paraît plus éloigné de toute affectation. On sait qu'à la bataille de Chéronée cet orateur avait abandonné son poste et pris la fuite. Cette judicieuse observation est de M. de Tourreil.

<< Faut-il en votre personne (il s'adresse à Démosthène) couronner l'auteur des calamités publiques, ou l'exterminer? En effet, quelles révolutions imprévues, quelles catastrophes inopinées n'avons-nous pas vues arriver de notre temps !... Le roi de Perse, ce roi qui s'ouvrit un passage au travers du mont Athos, qui enchaîna l'Hellespont, qui manda impérieusement aux Grecs qu'ils eussent à le reconnaître pour souverain de la terre et de la mer, qui dans ses dépêches osait se qualifier le maître du monde depuis le couchant jusqu'à l'aurore, combat aujourd'hui, non pour dominer sur le reste des humains, mais pour sauver sa propre personne. Ne voyons-nous pas revêtus et de la gloire dont brillait autrefois ce roi puissant, et du titre de chefs des Grecs contre lui, ceux-là mêmes qui signalèrent leur zèle à secourir le temple de Delphes? Quant à Thèbes, qui confine avec l'Attique, ne l'avons-nous pas vue en un seul jour disparaître du sein de la Grèce ?... Quant aux malheureux Lacédémoniens, pour avoir d'abord touché légèrement au pillage du temple, eux qui s'arrogeaient jadis la prééminence dans la Grèce, ne vont-ils pas maintenant envoyer à la cour d'Alexandre des ambassadeurs traîner le nom d'ôtages à sa suite, et, devenus un spectacle de misère, fléchir les genoux devant le monarque, se mettre à sa discrétion eux et leur patrie, et subir la loi telle qu'un vainqueur, et un vainqueur qu'ils ont attaqué les premiers, voudra leur prescrire? Athènes elle-même, le commun asyle des Grecs; Athènes, autrefois peuplée d'ambassadeurs qui venaient en foule réclamer sa protection toute-puissante, n'est-elle pas réduite à combattre aujourd'hui, non pour la prééminence sur les Grecs, mais pour

la

conservation de ses foyers? Tels sont les malheurs où nous a plongés Démosthène, depuis qu'il s'est mêlé du gouvernement...

« O vous, de tous les mortels le moins propre à vous distinguer par de grandes et de mémorables actions, mais en même temps le plus propre à vous-signaler par de téméraires discours, oserez-vous bien, à la vue de cette auguste assemblée, soutenir qu'en vous on doive payer d'une couronne l'auteur de la désolation publique! Et cet homme, s'il l'ose, le souffrirez-vous, messieurs? et la mémoire de ces grands hommes qui sont morts en combattant pour la patrie mourra-t-elle avec eux? Ah! de grace, pour quelques moments transportez-vous, en idée, du tribunal au théâtre, et imaginezvous voir le héraut qui s'avance, et qui proclame la couronne décernée à Démosthène. Sur quoi croyez-vous que les proches de ces citoyens qui donnèrent leur sang pour vous, doivent plus verser de larmes? ou sur les tragiques aventures des héros qu'ensuite l'on représentera, ou sur l'énorme ingratitude d'Athènes?... Ne rouvrez pas les plaies profondes et incurables des malheureux Thébains, par lui fugitifs, et recueillis par vous dans Athènes... Mais, puisque vous n'avez point assisté en personne à leur catastrophe, tâchez au moins de vous en former une image, et figurez-vous une ville prise, des murailles rasées, des maisons réduites en cendre, des mères et des enfants traînés en esclavage, de vieux hommes et de vieilles femmes réduits sur la fin de leur vie à servir, fondant en larmes, implorant votre justice; éclatant en reproches, non contre les exécuteurs, mais contre les auteurs de la barbare vengeance qu'ils ont éprouvée; vous demandant avec in

stance que, loin de couronner en aucune façon le destructeur de la Grèce, vous vous gardiez de la malédiction et de la fatalité inséparablement attachées à sa personne...

« Vous donc, messieurs, lorsqu'à la fin de sa harangue Péroraison. il invitera les confidents et les complices de sa lâche perfidie à se ranger autour de lui, vous, de votre côté, messieurs, figurez-vous voir autour de cette tribune où je parle les anciens bienfaiteurs de la république rangés en ordre de bataille pour repousser cette troupe audacieuse. Imaginez-vous entendre Solon, qui par tant d'excellentes lois prit soin de munir le gouvernement populaire, ce philosophe, ce législateur incomparable, vous conjurer avec une douceur et une modestie dignes de son caractère, que vous gardiez bien d'estimer plus les phrases de Démosthène que vos serments et vos lois. Imaginez-vous entendre Aristide, qui sut avec tant d'ordre et de justesse répartir les contributions imposées aux Grecs pour la cause commune; ce sage dispensateur, lequel en mourant ne transmit à ses filles d'autre succession que la reconnaissance publique qui les dota; imaginez-vous, dis-je, l'entendre déplorer amèrement l'outrageuse façon dont nous foulons aux pieds la justice, et vous adresser la parole en ces termes : Eh quoi! parce qu'Arthmius de Zélie, cet Asiatique qui passait par Athènes, où il jouissait même du droit d'hospitalité, avait apporté de l'or des Mèdes dans la Grèce, vos pères se portèrent presque à l'envoyer au dernier supplice, et du moins le bannirent, non de la seule enceinte de leur ville, mais de toute l'étendue des terres de leur obéissance : et vous, à Démosthène, qui véritablement n'a pas apporté ici de l'or des Mèdes,

Exorde.

mais qui de toutes parts a touché tant d'or pour vous trahir, et qui maintenant jouit encore du fruit de ses forfaits; vous, dis-je, vous ne rougirez point d'adjuger à Démosthène une couronne d'or? Pensez-vous que Thémistocle et les héros qui moururent aux batailles de Marathon et de Platée, pensez-vous que les tombeaux même de vos ancêtres n'éclatent point en gémissements, si vous couronnez un homme qui, de son propre aveu, n'a cessé de conspirer avec les Barbares à la ruine des Grecs?

<< Pour moi, ô terre! ô soleil! ô vertu! et vous, sources du juste discernement, lumières naturelles et acquises, par où nous démêlons le bien d'avec le mal, je vous en atteste, j'ai de mon mieux secouru l'état, et de mon mieux plaidé sa cause. J'aurais souhaité que mon discours eût pu répondre à la grandeur et à l'importance de l'affaire. Du moins je puis me flatter d'avoir rempli mon ministère selon mes forces, si je n'ai pu le faire selon mes desirs. Vous, messieurs, et sur les raisons que vous venez d'entendre, et sur celles que suppléera votre sagesse, prononcez en faveur de la patrie un jugement tel que l'exacte justice le prescrit et que l'utilité publique le demande. »>

III. Extraits de la harangue de Démosthène pour
Ctésiphon.

« Je commence par prier tous les dieux et toutes les déesses ensemble, que dans cette cause, messieurs, ils vous inspirent pour moi une bienveillance proportionnée au zèle constant que j'ai toujours eu pour la république en général, et pour chacun de vous en par

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