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qui le reçurent par le droit de l'élection ou par celui de la naissance, en abusèrent après lui, et les riches le leur ôtèrent. Ainsi l'oligarchie remplaça la monarchie. Les riches n'abusèrent pas d'abord du pouvoir, dans la crainte de le perdre; mais ce furent les enfants des riches, nés dans la richesse et corrompus par l'orgueil, qui en abusèrent. Alors le peuple, dégoûté et des riches et des rois, se gouverna lui-même, et au gouvernement oligarchique succéda le gouvernement démocratique : mais ce gouvernement dégénéra bientôt en anarchie, parce que le peuple abusant de sa force voulut opprimer les riches; et ce fut pour échapper à l'anarchie, que les riches et les pauvres eurent recours aux gouvernements mixtes qui, en garantissant les droits des uns et des autres, rétablirent la paix entre tous.

D'abord on mêla tout à la fois la monarchie, l'oligarchie et la démocratie, et l'on forma ces royautés guerrières qui jetèrent tant d'éclat dans les temps héroïques de la Grèce; puis on ne mêla plus que l'oligarchie et la démocratie, et l'on forma tour à tour ces aristocraties orgueilleuses et ces républiques turbulentes, qui se disputèrent avec tant d'acharnement l'empire de la Grèce, et qui finirent toutes par aller s'engloutir dans l'empire romain,

CHAPITRE IV.

De la bonté relative des différentes formes de gouvernement.

TELLES furent les différentes formes de gouvernement qui parurent successivement sur la terre, et qui, ayant toutes commencé par la monarchie, finirent toutes par aller se perdre dans la monarchie.

Mais quelle est la meilleure de ces formes? Cette question, qui paraît d'abord très-simple, est cependant très-compliquée, parce qu'aucune forme n'a une bonté absolue, et qu'elles ont toutes une bonté relative à l'état de la société à laquelle elles sont données. Il faut donc bien connaître l'état de cette société, pour juger de leur bonté relative.

Les différentes formes de gouvernement n'ont été instituées que pour garantir aux hommes leurs droits. La meilleure est donc celle qui les leur garantit le mieux. Mais la forme qui est propre à garantir aux hommes leurs droits dans une société déterminée, n'est pas également propre à les leur garantir dans une autre, parce que chaque société est composée d'éléments divers et

que la forme du gouvernement doit être relative à la nature de ces éléments.

Dans les sociétés où la propriété est également répartie, il est facile de concilier les droits des riches et ceux des pauvres, en les faisant arbitrer par les gens aisés, qui y sont ordinairement les plus nombreux. Il faut donc dans ces sociétés établir la république.

Mais dans les sociétés où la propriété est inégalement répartie, on ne peut faire arbitrer les droits des riches et ceux des pauvres par les gens aisés, parce que les gens aisés y sont ordinairement moins nombreux que les pauvres. Il faut donc dans ces sociétés donner aux riches le voir, afin que le pouvoir qui n'est pas garanti par la force, soit garanti par le droit. Il faut donc y établir l'aristocratie.

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Dans les sociétés agricoles, les pauvres, dispersés dans les campagnes et occupés de travaux champêtres, sont en général paisibles; mais dans les sociétés manufacturières et commerçantes, les pauvres, agglomérés dans les villes et inquiets sur leur subsistance, sont ordinairement turbulents. Il faut donc, pour maintenir la paix dans ces sociétés, y renforcer l'aristocratie; et, pour renforcer l'aristocratie, y établir la royauté.

La république convient donc mieux aux états purement agricoles, parce que dans ces états la

propriété principale étant fixée dans les terres et par conséquent immobile, on peut aisément la limiter dans les mains des uns, pour la disperser dans celles des autres; mais l'aristocratie convient mieux aux états qui sont à la fois agricoles, manufacturiers et commerçants, parce que dans ces états la propriété principale étant mobile et flottante, échappe à l'action des lois et ne peut pas être limitée.

Dans les états purement agricoles, les prolétaires sont ordinairement peu nombreux, et vivent dispersés au milieu d'une infinité de petits propriétaires, qui ont tous quelque chose, les uns un champ, les autres un jardin, les plus pauvres une chaumière et quelques animaux domestiques; en sorte que les intérêts des uns se trouvent confondus avec ceux des autres, et ne peuvent pas en être séparés. Il n'est donc pas nécessaire dans ces états d'appeler les riches plutôt que les pauvres à la défense de la propriété, puisque les uns et les autres sont également intéressés à la défendre.

Mais dans les états qui sont à la fois agricoles, manufacturiers et commerçants, il y a une infinité de prolétaires qui n'ont d'autres biens que leurs bras, et qui ne peuvent vivre sans se mettre au service des propriétaires. Les premiers ont donc des intérêts distincts des seconds; mais ils n'en

ont pas d'opposés, puisqu'on peut toujours concilier les intérêts des uns avec ceux des autres, et que les prolétaires, comme les propriétaires, sont également intéressés à défendre la propriété, les uns pour pouvoir l'acquérir, et les autres pour pouvoir la conserver. Quoi qu'il en soit, les pauvres, souvent aigris par leur misère, sont presque toujours envieux des riches. Il faut donc dans ces états appeler les riches plutôt que les pauvres à la défense de la propriété; mais comme les riches forment partout le petit nombre, et que le petit nombre n'a pas la force pour lui, il faut lui donner le droit.

Il ya, dans toutes les sociétés politiques, une lutte sourde et continue entre les pauvres et les riches, parce que les uns veulent acquérir ce qui leur manque, et les autres conserver ce qu'ils ont acquis. Si les pauvres l'emportent, ils dépouillent les riches de leurs biens; si ce sont les riches, ils dépouillent les pauvres de leurs droits. Il faut donc chercher à concilier ces deux classes d'hommes, et on ne peut les concilier qu'en établissant entre eux un arbitre. Dans les sociétés agricoles et tranquilles, où il n'y a pas trop d'inégalité dans les richesses, on a cherché cet arbitre dans la classe moyenne, et l'on y a établi tantôt la république, tantôt l'aristocratie, en donnant dans l'une le pouvoir à la classe moyenne

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