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tempère celui de l'autre. Enfin ils divisent le pouvoir exécutif en pouvoir administratif, en pouvoir judiciaire et en pouvoir militaire; et pour mettre de l'ensemble dans l'action de ces différents pouvoirs, ils en confient la direction à une magistrature suprême, qui est placée à la tête de toutes les autres. Alors la loi devient la règle de tous les magistrats, et cette règle, qui est l'expression de la volonté générale éclairée par la raison, est substituée à la volonté particulière de l'homme, qui est souvent corrompue par les pas

sions.

Telle est la marche que suivent tous les peuples en se civilisant. Tant que la famille vit isolée, tous les pouvoirs sont concentrés dans le père; mais dès que plusieurs familles se réunissent en groupes, tous les chefs de famille exercent en commun le pouvoir législatif, ou bien ils le confient à ceux qui ont le plus d'aptitude à l'exercer, ici au petit et là au grand nombre, suivant le degré de civilisation auquel ils sont parvenus.

Dans les sociétés où la propriété est également répartie, et où il y a plus de propriétaires que de prolétaires, on peut sans inconvénient donner au grand nombre le pouvoir souverain, soit que ce pouvoir réunisse le pouvoir électoral et le pouvoir législatif, comme chez les nations

anciennes, soit qu'il soit restreint au pouvoir électoral, comme chez les nations modernes, parce que le grand nombre y a l'indépendance nécessaire pour l'exercer. Dans les sociétés, au contraire, où la propriété est inégalement répartie, et où il y a plus de prolétaires que de propriétaires, il faut nécessairement réserver le pouvoir souverain au petit nombre, parce que le petit nombre seul y est indépendant. Mais comme le petit nombre n'a point de mesure fixe, et qu'il peut être réduit jusqu'à l'unité, de là les différentes formes de gouvernement, qui peuvent toutes se réduire à trois formes simples, connues parmi les anciens sous les noms de démocratie, d'oligarchie et de monarchie.

CHAPITRE II.

Des formes simples de gouvernement, ou de la démocratie, de l'oligarchie et de la monarchie.

QUELQUE Société que l'on veuille organiser, et à quelque dégré de civilisation qu'elle soit parvenue, si l'on veut la bien régler, il faut toujours qu'il y ait un ordonnateur suprême: or, cet ordonnateur suprême est un, ou quelques-uns, ou

le grand nombre. Ce qui ne donne jamais que trois formes simples de gouvernement, la monarchie, l'oligarchie et la démocratie.

La démocratie est la forme de gouvernement, où le pouvoir souverain, connu généralement sous le nom de droit de cité, est donné au grand nombre ou à la multitude; l'oligarchie, celle où il est donné au petit nombre ou aux principaux; et la monarchie, celle où il est donné à un seul individu ou à un monarque.

Mais parmi les individus qui peuvent exercer le droit de cité, on ne doit pas compter ceux qui n'ont pas encore une volonté éclairée par la raison, ou qui ont soumis leur volonté à celle d'autrui, tels que les enfants, les femmes, les serviteurs, parce que tous ces individus n'ayant aucun pouvoir naturel dans la société, n'y peuvent exercer aucun droit politique.

Le droit de cité n'est pas, comme celui de propriété, un droit inhérent à la personne, parce qu'il n'est pas nécessaire à l'individu pour se conserver; mais il est inhérent à la société, parce que, sans ce droit, la société ne pourrait pas se gouverner. La société ne peut donc pas l'aliéner; mais elle peut le déléguer à qui elle veut. Or, la meilleure manière de le déléguer est de le donner à ceux à qui la nature l'a donné.

Hors de la société, c'est la force qui donne le

pouvoir; mais la société ayant été établie pour substituer le pouvoir des lois à celui de la force, c'est la raison qui doit donner le pouvoir dans la société.

Si les hommes ne s'étaient réunis en société

que pour se garantir leurs personnes, ils devraient tous avoir part au pouvoir, en raison de leurs qualités personnelles ou de leur mérite: mais les hommes ne se sont pas seulement réunis en société pour se garantir leurs personnes, mais encore leurs propriétés, parce que, sans propriétés, ils ne pourraient pas se conserver. Ils doivent donc tous avoir part au pouvoir, en raison de leur mérite et de leurs propriétés.

Il n'y a donc point sur la terre d'égalité absolue; il n'y a qu'une égalité relative et proportionnelle. Chacun a dans la société une part proportionnée à sa mise. Celui qui n'y apporte que sa personne, n'a droit qu'à la protection de sa personne, et ne doit y jouir que des droits de la personne ou de la liberté. Mais celui qui y apporte encore une propriété, a droit encore à y jouir de sa propriété; et comme il ne peut y jouir de sa propriété ni la conserver qu'avec du pouvoir, il a droit aussi à y jouir du pouvoir ou des droits de la propriété. Égaux en liberté, les hommes sont donc dans la société inégaux en pouvoir. Chacun y a ses droits particuliers;

et tant que chacun se contente d'en jouir, l'ordre, qui n'est que la justice, est dans la société; mais le désordre commence lorsque les uns veulent jouir des droits des autres, parce qu'ils ne peuvent en jouir qu'en les usurpant. Égaux en liberté, les pauvres veulent encore l'égalité en pouvoir. Inégaux en pouvoir, les riches veulent encore l'inégalité en liberté. Les riches et les pauvres sont donc également injustes, les uns en voulant l'inégalité, et les autres l'égalité toute entière; ceux-ci, en prétendant que la personne soit tout, et la propriété rien; ceux-là, que la propriété soit tout et la personne rien. Il faut donc réprimer l'injustice des uns et des autres, en donnant le pouvoir aux uns et la liberté à

tous.

Mais la propriété seule ne donne pas des droits au pouvoir, parce que l'homme n'est pas un être purement matériel, il est encore intelligent. Or, la raison veut que l'homme qui a le plus d'intelligence commande à celui qui en a le

moins.

L'homme n'a reçu l'existence que pour la conserver. Or, l'homme n'a pour se conserver que deux sortes de biens, les êtres inanimés, qui sont l'ouvrage de ses mains, et les êtres animés, qui sont, comme lui, l'ouvrage de Dieu, mais qu'il peut approprier à son propre usage, par la supé

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