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a varié les caractères des personnages qui parlent dans son assemblée infernale, et, au contraire, comment il a réuni sous les trois distinctions de créateur, de rédempteur et de consolateur, la divinité qui déploie sa bonté sur l'homme.

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ne faut pas non plus omettre le personnage de Raphaël : au milieu de sa tendresse et de son amitié pour l'homme, il montre, dans son discours et dans sa conduite, toute la dignité et toute l'indulgence qui conviennent à une nature supérieure. Les anges de Milton sont aussi distingués par leurs propres rôles que les dieux le sont dans Homère ou dans Virgile. Le lecteur ne trouvera rien d'attribué à Uriel, à Gabriel, à Michiel ou à Raphaël, qui ne convienne particulièrement à leurs ca ractères respectifs.

Il y a une autre circonstance dans les principaux acteurs de l'Iliade et de l'Enéide, qui donne une beauté parti culière à ces deux poèmes, et qui a été imaginée avec un grand jugement; je veux dire l'attention de ces deux poètes à choisir pour principaux personnages des héros qui avaient une relation si intime avec le peuple pour lequel ils écrivaient.

Achille était Grec de nation, Énée était le premier fondateur de Rome; ainsi l'amour de la patrie intéressait les lecteurs. Un Romain ne pouvait que se réjouir de voir Énée sauvé des flammes, de la tempête, et des mains des ennemis : il devait s'attrister des malheurs ou des traverses qu'il lui fallait essuyer. Les Grecs voyaient Achille d'un œil semblable; et il est clair que chacun de ces poèmes perd quelque chose auprès des lecteurs pour qui ces héros sont étrangers ou indifférens

C'est en cela même que le poème de Milton est admi

rable: il est impossible qu'aucun lecteur, de quelque pays qu'il soit, n'ait rapport aux personnages qui sont les principaux acteurs de son poème : il y a plus, ces mêmes acteurs sont non seulement nos pères, mais encore ils nous représentent ; nous avons un intérêt réel et présent dans tout ce que nous les voyons faire; il n'y va pas moins de notre bonheur; ils tiennent notre sort entre leurs mains1.

que

Sous le nom de sentimens, nous entendons les pensées et la conduite. Les sentimens sont justes quand ils ne sortent point du caractère ; ils doivent convenir aux circonstances aussi bien qu'aux personnes; et, pour être parfaits, il faut qu'ils naissent du sujet. Ainsi, lorsque le poète tâche de convaincre ou d'exposer, d'amplifier ou de diminuer, d'exciter l'amour, la haine, la pitié, la terreur, ou quelque autre passion, on doit considérer si les sentimens qu'il emploie sont propres à ce qu'il se propose. Les critiques accusent Homère d'avoir péché de ce côté-là, en diverses parties de l'Iliade et de l'Odyssée; ceux qui ont rendu justice à ce grand poète, ont rejeté ce défaut sur le siècle dans lequel il vivait. Si cette délicatesse de pensées que nous remarquons dans des ouvrages produits par des hommes d'un génie fort inférieur lui manque quelquefois, c'était la faute du temps; mais pour un endroit où Homère s'endort, il y en a mille d'inimitables.

Virgile a surpassé tous les autres par la justesse des sen

1 Spectateur, no 273.

timens : Milton brille surtout en ce point. Je ne dois pas omettre une considération à sa louange. Homère et Virgile introduisent des personnes dont les caractères sont communément connus parmi les hommes, et que l'on peut rencontrer dans l'histoire ou dans la conversation ordinaire. A l'égard de Milton, il est, pour ainsi dire, le créateur des caractères, qu'il a proportionnés à des sujets pris hors des limites de la nature. Shakspeare montre plus de force dans son Caliban que dans son Emporté ou dans Jules-César: l'un devait être formé sur l'usage ou sur la connaissance du monde.

Homère avait moins de peine à trouver des sentimens propres à une assemblée des généraux grecs que Milton n'en avait à soutenir son conseil infernal par des caractères convenables et variés. Les amours de Didon et d'Énée ne sont que des copies de ce qu'on voit arriver tous les jours. Adam et Ève, avant leur chute, étaient une espèce différente des hommes qui sont descendus d'eux; et il n'y avait qu'un poète de la plus vaste invention et du jugement le plus exquis qui pût remplir de circonstances si justes leur conversation et leur conduite dans l'état d'innocence.

Il ne suffit pas qu'un poème épique soit rempli de naturel, il faut que le sublime y domine: Virgile est, en ce point, fort inférieur à Homère. Il n'a pas, à la vérité, tant de pensées basses et vulgaires; mais il n'en a pas non plus de si nobles et de si relevées : et l'on peut dire que Virgile ne produit guère de sentimens grands et étonnans que lorsqu'il est échauffé par l'Iliade. Il charme et plaît universellement par la force de son génie; mais il ne nous élève et ne nous transporte presque jamais, sans employer quelques traits d'Homère.

Le sublime est l'excellence et le principal talent de Milton: il s'en trouve parmi les modernes qui l'égalent dans chaque autre partie de la poésie; mais dans la grandeur des sentimens, il triomphe sur les poètes tant anciens que modernes, si l'on en excepte le seul Homère. L'imagination humaine ne saurait se porter à des idées plus hautes que celles qu'il a employées dans ses premier, second et sixième livres. Le septième, où il décrit la création du monde, a des beautés surprenantes; cependant il n'est pas si propre à causer de l'émotion dans l'esprit du lecteur, ni si parfait, parce qu'il est moins rempli d'action. Que le lecteur considère ce que Longin a observé sur divers passages d'Homère, il trouvera, dans ce savant critique, des réflexions bien avantageuses au poème de Milton.

Comme il y a deux sortes de sentimens, le naturel et le sublime, que l'on doit employer dans le poème héroïque, il y a aussi deux sortes de façons de penser, qu'il faut soigneusement éviter : je veux dire, en premier lieu, ce qui est affecté et peu naturel; et, secondement, ce qui est bas et vulgaire. Quant à l'affectation, nous en trouvons fort peu d'exemples dans Virgile : il n'a aucune de ces pointes badines ni de ces puérilités que l'on rencontre si souvent dans Ovide; nul de ces tours d'épigrammes de Lucain; nul de ces sentimens enflés qui sont si fréquens dans Stace et dans Claudien; nul de ces embellissemens étrangers du Tasse : tout en est juste et naturel. Ses sentimens montrent qu'il avait une parfaite connaissance de la nature humaine et de tout ce qui est le plus capable d'exciter les passions.

Je remarquerai dans la suite combien Dryden, qui nous a donné la traduction de l'Enéide, s'est éloigné de

la façon de penser de Virgile. Je ne me rappelle point qu'Homère tombe nulle part dans ces sortes de fautes, qui sont en effet les raffinemens des derniers siècles. Il faut convenir que Milton a quelquefois péché en en point: cependant, si nous considérons que tous les poètes du siècle dans lequel il écrivait étaient infectés de ce faux esprit, il faut le louer de ce qu'il ne s'y est pas livré davantage, et l'on doit lui passer de s'être quelquefois prêté au goût vicieux qui prévaut encore parmi tant d'écrivains.

Il n'est point de vraies beautés sans le naturel: mais dans le naturel il y a un écueil à éviter, c'est le rampant. Homère, par la simplicité de quelques sentimens, s'est exposé aux railleries de ceux qui ont plus de délicatesse que de grandeur dans l'esprit ; mais cette simplicité, comme je l'ai déjà observé, était plutôt la faute du temps que du poète.

Zoïle, parmi les anciens, et M. Perrault, parmi les modernes, ont tourné en ridicule quelques uns de ces sentimens il n'y a rien à redire de ce côté-là dans Virgile, et très peu dans Milton 1.

:

Après avoir parlé de la fable, des caractères et des sentimens, il nous reste à considérer l'élocution. Comme les savans sont fort partagés là-dessus à l'égard de Milton, j'espère qu'on m'excusera si je parais me singulariser, et si je penche du côté de ceux qui jugent le plus avantageusement de l'auteur.

Le style d'un poème héroïque doit être clair et sublime,

1 Spectateur, no 279.

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