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Miscellen.

Eugénie et Maurice de Guérin.")

I.

La personnalité communicative et le sens pénétrant de la personnalité sont deux qualités marquantes de l'esprit français. C'est à ces deux qualités que nous devons, d'un côté, toute une littérature unique en son genre de correspondances et de mémoires, et de l'autre, tant d'ingénieux commentateurs, de moralistes sagaces et de fins portraitistes littéraires. A aucune époque ce tour d'ésprit n'a été plus prédominant qu'aujourd'hui. On sait avec quel soin, quelle exactitude minutieuse, sont à présent publiés et appréciés les documents personnels de toute sorte. Tout ce qui porte l'empreinte d'un caractère quelconque, à quelque époque qu'il appartienne, est exhumé, mis en lumière et trouve des lecteurs. De même que le naturaliste sur quelques débris reconstruit tout un monde fossile, une critique universelle et un public intelligent, sur des fragments, des feuilles éparses, sur de simples autographes, se plaisent à recomposer un individu, un groupe, un genre, leur terrain et leur milieu. En cela les méthodes modernes d'investigation ont singulièrement élargi et aiguisé le jugement, mais non sans l'entraîner aussi en plus d'une fausse voie. C'est ainsi que la tendance littéraire dont nous parlons dégénère souvent en une vaine recherche du caractéristique, poussée jusqu'à cet engouement du singulier et de l'excentrique qui découvre ou ressuscite toutes ces curiosités d'hier ou d'aujourd'hui, que les raffinés prônent à l'envi, mais auxquelles le bon sens ne saurait trouver la moindre

*) Lu aux conférences publiques de la Société pour l'étude des langues modernes, à Berlin.

Archiv f. n. Sprachen. XXXIX

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valeur. Les deux figures que nous allons décrire appartiennent-elles aux renommées de ce genre? Pour une certaine part on aurait pu le penser d'abord. Leur succès continu, la faveur croissante du public semblent prouver à présent qu'il n'y a pas seulement en elles une de ces raretés d'amateurs, surfaites et éphémères, mais quelque chose d'un intérêt général et durable, non pas seulement une curiosité pour les connaisseurs mais encore et surtout une apparition sympathique et bienfaisante pour tous, c'est à dire doublement et vraiment rare et de prix. Qu'on envisage le public ou les personnages, il y a là enfin un phénomène littéraire digne d'étude; et il est étonnant qu'en Allemagne, ce pays de culture polyglotte, une critique multiface, omniface même, comme elle aime à s'appeler, n'y ait jusqu'ici fait aucune attention.

Qu'est-ce donc qu'Eugénie et Maurice de Guérin?

Un couple fraternel, mort il y a une trentaine d'années bientôt, et dont on vient de publier la correspondance et le journal intime; un jeune poëte malade du sentiment et de l'imagination, destiné à mourir avant l'âge, et sa soeur, son ange gardien, son Electre, son Antigone, comme il l'appelle lui-même.

Un peintre qu'on me permette ce procédé d'Anschauungs- Unterrichts - un peintre pourrait les représenter ensemble: lui pensif et abattu, le regard perdu dans l'espace; elle le soutenant et lui montrant du doigt le ciel.

Ce tableau semble annoncer d'abord bien du sentimental: et en effet une certaine dose de sentimentalité romantique se retrouve chez Eugénie et Maurice de Guérin. Mais ce qui fait le fond de ces deux âmes, ce qui les a fait revivre, ce qui leur gagne et leur attache tous les jours des coeurs, c'est qu'elles sont l'expression exquise chacune d'un sentiment vrai, profond, intime, intense, qui est en elles pour ainsi dire l'âme de l'âme: c'est en Maurice le sentiment de la nature, et dans Eugénie le sentiment de l'amitié fraternelle uni à la piété.

Maurice est le représentant attardé d'un état d'âme et d'une génération poétique aujourd'hui sur le déclin, si non totalement disparus. C'est un enfant du siècle. Lui aussi, il souffre de la grande maladie moderne, la mélancolie universelle, le Weltschmerz; cette maladie méthaphysico- poétique qui s'empare

des âmes aux époques de critique générale où les dogmes, les institutions, où toute la conception du monde, de l'homme et de Dieu sont mis en question. Les croyances s'évanouissent, les systèmes surgissent et s'entredétruisent, les esprits sont tout à a fois encombrés d'idées et vides de principes et de certitudes; fatigue de la pensée, l'inquiétude de l'imagination paralysent la volonté, l'homme perd le goût et la force d'agir: alors apparaissent les tristes héros de ces temps, les Hamlet, les Faust, les Werther, les René, les Childe Harold, les Obermann, les Rolla et les Maurice de Guérin.

Maurice appartient en effet à ce groupe de personnages fictifs, si divers de caractère et d'origine, auxquels l'histoire littéraire reconnaît cependant tant de traits de famille. Lui aussi, il s'est reconnu en eux, et à leur monologue il a ajouté le sien, qui, pour n'avoir pas la même grandeur d'origine, n'en est pas moins expressif.

Je ne voudrais pas, pour rendre mon héros plus remarquable, exagérer ses proportions. Maurice de Guérin ne jouera pas dans l'histoire littéraire le rôle des figures si connues, à côté desquelles nous le rangeons et qui pour la plupart représentent une phase de la vie morale d'hommes de génie. Maurice n'est pas un génie, mais seulement un talent distingué. D'ailleurs son journal, où il s'est peint, n'est point une oeuvre d'art méditée, une reproduction coordonnée et achevée d'une période de son existence, à l'instar de ces créations poëtiques, auxquelles on ne peut le comparer qu'avec réserve. Ce journal n'est qu'une suite d'esquisses et de fragments, une collection de aotes psychologiques, qui laissent deviner plus qu'ils ne font voir, et regretter plus qu'ils ne donnent, et dont la sincérité touchante et la noblesse de style font tout le prix. Tous ces mélancoliques que nous avons nommés, quelque soit leur impuissance maladive en présence de la tâche humaine, sont cependant des hommes, et, bien que peu titanesques, les titans de leur race. Maurice, s'il leur ressemble, n'atteint pas à leur taille. Il n'est qu'un enfant à côté d'eux, le Benjamin de la famille, une sorte de petit cousin, si l'on veut, pour rester dans la mesure du réel. C'est un adolescent qui a grandi comme un roseau et se trouve arrêté dans sa floraison. Comme tant de jeunes gens de notre

temps, si fécond en existences hâtives et avortées, Maurice est tout ensemble un être d'élite et un être inachevé, un de ces chanteurs sans poumons, un de ces Raphaëls manchots, destinés à subir toute la vie les fièvres et les prostrations d'une vocation incertaine ou manquée. On le caractériserait d'un mot en l'appelant le patito de la poésie. Il représente au mieux en effet ces naïfs soupirants du Parnasse, ces amoureux transis des Muses, qui pâlissent à leur faire la cour, sans pouvoir obtenir d'elles les bonnes grâces qu'elles prodiguent souvent à de fades ou grossiers favoris qui les méritent moins qu'eux. Le journal de Maurice est le dépositaire de ces ardeurs, de ces soupirs de poëte patito, une plainte, un gémissement presque continuels.

Comment s'expliquer que des pages de ce genre aient pu intéresser le public français d'aujourd'hui, si distrait, si blasé, si positif, si peu en goût de poésie et surtout de poésie élégiaque. Comment un traînard du Werthérisme, arrivant si peu d'accord avec les violons, a-t-il pu se faire encore écouter et réveiller des sympathies? Serait-ce que la maladie qu'il représente, couve encore secrètement, et que, sous le positiviste actuel, le rêveur d'autrefois soupire encore par moments après sa Charlotte insaisissable? Qui sait? Faust il est vrai a quitté la philosophie pour l'industrie, où il fait belle besogne, mais Wagner seul toujours est content. René et Childe Harold spéculent et font courir, mais ils n'ont pas oublié leurs monologues, et, comme Faust, à certaines heures, ils les répètent encore, à voix basse, à des auditeurs fidèles. Si la Poésie s'est réfugiée au désert, elle a toujours des adorateurs qui vont l'y retrouver. La Science qui a pris sa place, malgré sa sérénité apparente, ne se sent pas si sûre de son empire. On la surprend parfois assise comme la Melancholia d'Albrecht Dürer, au milieu de ses instruments épars, rêvant aussi et se disant: Que sais-je? Parlons sans figures. L'esprit humain a bien changé depuis trente ou quarante ans, mais au milieu de notre activité sans trêve et de notre éparpillement sans bornes, un sentiment de vide et d'ennui se fait toujours sentir, et, sans être épidémiques comme autrefois, les retours de tristesse et de doute sont encore fréquents. C'est pourquoi les créations poëtiques qui représentent cet état d'âme n'ont pas vieilli pour nous et nous restent fami

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