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signé d'un autre auteur. Mais nous attendions encore plus de M. Eichhoff; nous espérions qu'un érudit aussi versé dans les littératures étrangères, que son enseignement dans la seconde ville de France oblige d'approfondir et de raisonner ses connaissances, nous eût donné non pas un tableau rapidement ébauché, mais une véritable histoire. Il est bien rare que les monuments purement littéraires gardent encore après quatre ou cinq siècles quelque valeur intrinsèque, et ils la perdent presque toujours quand on vient à les dépouiller de la forme originale dont le génie les avait revêtus. Les plus excellents eux-mêmes doivent une grande part de leur importance aux idées qui les ont créés, à leur rapport avec les sentiments et les croyances de la société dont ils exprimaient les tendances les plus élevées, à l'influence qu'ils ont exercée sur les développements de l'imagination, et M. Eichhoff nous en donne la lettre pure, arrachée de son cadre naturel, isolée de ses origines et de ses conséquences, et encore n'est-elle presque jamais que tronquée et à l'état de simple échantillon. Ces extraits, déjà si insuffisants, auraient dû au moins conserver la rudesse de leur forme et le caractère original de leur inspiration, et nous craignons que la traduction n'ait été beaucoup plus désireuse de paraître élégante à des Français de 1853, que de reproduire l'empreinte d'une nationalité et d'une civilisation qui eussent pu sembler étranges à des intelligences esclaves de leurs habitudes. Quelque vastes que soient les promesses du titre, elles n'indiquent pas encore tout ce que le livre contient; on y trouve aussi des chapitres sur les poésies des troubadours, sur celles des trouwères et sur Dante en Italie. C'est, comme on voit, un tableau à peu près universel, et si l'on se résigne à de nombreuses lacunes, on ne peut s'empêcher de regretter qu'en négligeant de nous initier aux motifs de ses exclusions et de ses préférences, l'auteur ait considérablement diminué l'utilité de son livre. On est mème quelquefois tenté de n'y voir que les feuillets épars d'un cours, que le brocheur aurait réunis un peu au hasari; mais tout en désirant peut-être un plan mieux arrêté, des idées plus profondes et des jugements plus historiques, les lecteurs y trouveront certainement un agréable passetemps, et ne le quitteront pas sans apprécier beaucoup le talent aimable et l'érudition variée de M. Eichhoff. Si brillant que soit son succès, il ne récompensera qu'imparfaitement les immenses études qu'un pareil travail suppose: nous voudrions seulement que le succès fùt assez rapide pour qu'une nouvelle édition offrit bientôt l'occasion de faire disparaître quelques inexactitudes compromettantes. Ainsi, par exemple, on lit, p. 251 : « Le poème du Rou ou de Rollon, sur les exploits des ducs de Normandie, commencé par Eustace et achevé par le même Robert Wace. » Il n'est plus permis d'ignorer que Eustace et Wace sont la même personne, et rien ne prouve que Wace ait porté le prénom de Robert.

On a signalé, comme se trouvant dans les bibliothèques de l'Angleterre, deux grammaires françaises qui remonteraient au treizième siècle; mais ce sont probablement des recueils de gloses qui ne diffèrent que par l'étendue de l'Aprise de langaige de Walter Bibblesworth. Chaque province, on pourrait dire chaque ville, avait des habitudes de prononciation et de langage trop différentes, et les changements qu'elles subissaient à chaque géné a:ion étaient trop brusques pour qu'il fût possible de croire la langue française soumise à

des règles fixes, et de chercher à en déterminer savamment la grammaire. L'auteur d'une traduction encore inédite des Psaumes de David, qui remonte au quatorzième siècle, disait dans sa préface: « Et pour ceu que nulz ne tient en son parleir ne rigle certenne, mesure ne raison, est laingue romance si corrumpue qu'a poinne li uns entend l'aultre et a poinne peut on trouveir ajourd'ieu persone qui saiche escrire, anteir ne prononcieir en une meismes semblant menicire, mais escript, ante et prononce li uns en une guise, et li aultre en une aultre. » Malgré les efforts si heureux de Louis XI pour la fondation de l'unité nationale, cet état de choses ne s'était pas encore considérablement modifié dans les vingt-cinq premières années du seizième siècle; on lit même dans l'Épistre aux lecteurs, que Geoffroy Tory mit en tète de son Champ fleury, publié en 1529 : « S'il n'y est mis et ordonné, on trouvera que de cinquante en cinquante ans la langue françoise, pour la plus grande part, sera changée et pervertie. » Nous ne nous étonnons donc pas que lorsque le hasard eut fait découvrir à M. Génin, dans le catalogue de la bibliothèque Mazarine, Lesclarcissement de la langue françoyse, il se soit exagéré l'importance de sa trouvaille. L'ouvrage avait été achevé d'imprimer en 1530, quand l'auteur était déjà parvenu au terme d'une carrière assez longue; ainsi ses études s'étaient préoccupées surtout de la langue usitée à la fin du quinzième siècle, et l'on pouvait lui supposer les connaissances suffisantes puisqu'il avait été choisi entre tous pour apprendre à la sœur du roi d'Angleterre Henri VII!, qui devait épouser Louis XII, l'idiome de ses nouveaux sujets. Cette grammaire était d'ailleurs d'une rareté excessive, et M. Génin, déjà connu par des travaux très-spirituels sur l'histoire de notre langue, et chef au ministère de l'instruction publique de la division d'où ressortissaient ces sortes de choses, a facilement obtenu de la réimprimer aux frais du gouvernement'. Mais ce patronage, le prix élevé du livre et l'autorité qu'on lui a si complaisamment attribuée, imposent à la critique une sévérité qui, s'il ne s'agissait pas d'un auteur mort depuis plus de trois cents ans, répugnerait encore plus à nos goûts qu'à nos habitudes.

Il semble d'abord assez indifférent, pour le fond des idées, que la disposition du livre n'ait aucun rapport avec la nature de son sujet, et ne soit qu'une imitation sans intelligence de la grammaire grecque de Théodore de Gaza; mais pour assimiler es usages incohérents d'une langue à peine ébauchée aux règles harmoniques d'un idiome parvenu à un état de perfection auquel peu de langues sont encore arrivees, il a fallu souvent regarder comme des nécessités grammaticales des formes tout individuelles, et en négliger d'autres beaucoup plus générales qui ne seraient pas suffisamment entrées dans le cadre et en auraient dérangé l'économie. La première partie est consacrée à l'enseignement de la prononciation, et serait d'une valeur inestimable pour l'histoire de la langue s'il n'était impossible de lui accorder la moindre confiance. Palsgrave était Anglais, habitué à parler et à entendre sa langue maternelle, et les curieuses observations de M. Wollaston ont prouvé que la sens bilité des oreilles n'a rien de cette parfaite uniformité qu'on lui avait jusqu'ici sup

1 Lesclarcissement de la langue françoyse, composé par maistre Jehan Palsgrave, Angloys, natyf de Londres, réimprimé à Paris, 1852, in-4° de 38, XLVII et 1,136 pages; prix, 24 francs.

TOME VII.

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posée; elle résulte de la nature particulière de ses organes, se développe par l'habitude, et constitue un des caractères les plus ineffaçables qui différencient Les peuples : c'est la cause principale des difficultés qu'ils éprouvent à perdre leur accent naturel et à reproduire la prononciation exacte des langues étrangères. Avant que la preuve scientifique en eût été donnée, on sentait déjà la nécessité de tenir compte, dans les travaux d'ethnographie, de la patrie, de l'ouïe des voyageurs qui nous avaient initiés à la connaissance des langues, et les écrivaient, chacun à sa guise, selon la manière différente dont ils en étaient frappés. L'oreille anglaise de Palsgrave n'appréciait donc pas les sons du français comme le faisaient nos ancêtres, et la différence ne s'arrêtait pas là, il écrivait, en sa propre langue, pour l'enseignement de ses compatriotes, et se servait, pour leur indiquer la prononciation, des signes habituels de leur alphabet, auxquels il laissait la valeur tout anglaise qu'ils avaient alors. Lors donc que cette valeur, infiniment mieux conservée que celle des lettres françaises de la mème époque, nous serait miraculeusement connue, il n'y aurait rien de positif à conclure de renseignements aussi imparfaits. On peut mème se tenir d'avance pour assuré que Palsgrave considérait comme entièrement muettes les consonnes dont la position ou la nature rendait l'articulation beaucoup plus faible qu'elle ne l'était en anglais.

Quant aux règles grammaticales elles-mèmes, la patrie de l'auteur et le pays où il composa et fit imprimer son livre obligeraient à en suspecter l'authenticité, lors même que les habitudes du langage eussent été assez générales pour qu'il n'eut fallu que les écrire sous la dictée de tout le monde. Mais quand une langue est encore aussi informe, il ne suffit pas d'en reconnaître la teneur comme un statisticien; le grammairien est un législa eur qui doit s'inspirer de l'esprit du peuple et devancer l'avenir. Il est donc impossible d'accorder sa confiance à Lesclarcissement de la langue françoyse, autrement que sous bénéfice d'inventaire, et les erreurs grossières qu'on y découvre forcent de refuser toute autorité aux règles qu'aucun écrivain national n'a confirmées ni de sa parole ni de son exemple. Nous ne sommes embarrassé que du choix des preuves. Palsgrave dit, p. 147, que dans la phrase je ne l'estime ne que deux pommes, on supprime plus il y a là au moins deux erreurs; le second ne n'est pas la négation, mais le vieux-français neis, pas même, et que signifie comme, ainsi que dans le vers 7022 du Roman de Rou:

Mult fet ke sage ki Dex sert,

et une foule d'autres passages. Un peu auparavant, p. 143, il avait voulu assimiler le français à sa langue maternelle, et conclut de ce que, en anglais, never signifiait jamais, et ever toujours, que onques prenait aussi le sens de toujours quand on retranchait la négation; mais c'est l'adverbe négatif des Latins unquam, qui dès les premiers temps de la langue ne s'est presque jamais employé sans une négation réduplicative, et le Roman de la Rose dit en parlant d'une rivière :

Si estoit peu moindre que Saine,
Fors qu'elle estoit plus espandue
Qu'oncques mais je l'avoie vue.

Enfin il prétend, p. 110, que dans les phrases affirmatives où en précède im

médiatement le verbe, c'est un pur explétif (he signifieth nothyng, but onely is as a signe of affirmation used rather to make the sentence more fulle in sounde to the eare than for any necessite), et il cite comme exemples: vous en aurez, n'en parlez plus, qui, à l'en croire, ont absolument la même signification que si l'on disait en retranchant la particule: vous aurez, ne parlez plus. Nous ne prétendons pas cependant que les savants ne puissent tirer aucun profit de Lesclareissement; il n'y a point de si mauvais livre de philologie où l'on ne parvienne à glaner quelque renseignement utile: nous voudrions seulement que les formes archiques de celui-ci ne le rendissent pas presque inintelligible, même pour des Anglais.

ÉDÉLESTAND DU MÉRIL.

Nous annoncions dernièrement l'intention de revenir sur l'ouvrage de M. l'abbé Chassay qui traite des Devoirs des Femmes dans la famille; l'occasion nous en est offerte aujourd'hui par l'apparition d'un nouveau livre du mème auteur: les Difficultés de la vie de famille. L'analogie à laquelle on serait tenté de croire entre ces deux volumes n'existe que pour les titres, car le dernier aborde un ordre de questions entièrement neuf, et que M. Chassay se propose d'achever bientôt de résoudre dans une troisième publication consacrée aux épreuves du mariage. Si l'on en juge par la touche à la fois instructive, fine et délicate qui se fait remarquer dans les deux premières parties, nous avons lieu d'attendre de la troisième un vif intérêt.

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Mais n'anticipons point sur l'avenir, revenons au passé et au présent, et bornons-nous à constater les utiles leçons, les sages conseils qui abondent dans eette première revue intime des relations de chaque jour. Parmi beaucoup d'autres, les chapitres sur l'influence des mères, l'orgueil de la vertu, l'amour de la domination, dans le livre des Devoirs, ceux sur les beauxparents, les beaux-fils et les belles-filles, et les souffrances maternellesdans le nouveau volume nous semblent dignes d'attirer l'attention d'une manière toute particulière. Nous en dirons autant du soin avec lequel M. Chassay signale les dangers qui peuvent résulter, dans les rapports de famille, de l'inexpérience de la jeunesse et de la légèreté du caractère. Tout cela dénote une rare connaissance du cœur humain, et l'on s'étonne de voir un jeune prètre pénétrer si avant au fond de replis qu'une plume féminine ne saurait ni mieux ni plus délicatement analyser. Dans l'impossibilité où nous sommes de pouvoir citer ici les nombreux passages qui nous ont frappé, nous renvoyons les lecteurs aux livres eux-mêmes, mais avec la conviction qu'ils partageront notre avis. Nous ne doutons pas que la plupart des femmes qui en prendront connaissance n'aient à cœur de compléter aussitôt leur bibliothèque en y ajoutant ces volumes, destinés par l'auteur à en faire partie.

COMTE G. DE CARAMAN.

Un sentiment profondément imprimé au cœur de l'homme, et que les événements de la vie la plus agitée sont presque toujours impuissants à détruire, le fait se reporter avec douceur aux souvenirs de ses premiers jours, aux moments les plus heureux de son existence que nul malheur n'avait encore troublée, et les lieux où se sont écoulées ces riantes heures de paix prennent à ses yeux les plus doux et les plus aimables aspects. On dirait que ce qui se passe pour l'homme se fait sentir à l'humanité tout entière. Les vastes plaines de l'Orient où elle est née attirent sans cesse ses regards; quels qu'aient été les bouleversements dont l'Asie depuis les premiers temps du monde ait été le théâtre, c'est toujours vers l'Asie que se tourne la pensée du poète, de l'historien, du penseur, c'est à l'Asie que l'on rève, c'est vers l'Asie qu'on tourne ses regards, c'est l'Asie que les savants, croisés de ce siècle positif, parcourent et décrivent de préférence, c'est à elle qu'ils demandent sans cesse la solution des plus sérieuses énigmes du passé.

Inscrire le titre des voyages exécutés dans cette partie de l'ancien continent, rien que pendant la première moitié du dix-neuvième siècle, dire mème leur nombre est une tâche à laquelle nous sommes loin de prétendre: nous venons seulement signaler le dernier de ces voyages, un voyage sérieusement fait, sérieusement raconté et qui, à coup sûr, restera parmi les meilleurs qu'ait vu s'accomplir « la région de l'Est, la terre du Soleil', » le voyage en Asie-Mineure, ou plutôt l'exploration complète de l'Asie-Mineure, par M. P. de Tchihatchef?.

Nous n'avons encore entre les mains que la première partie de ce volumineux travail qui en aura quatre, mais, en attendant les sections qui seront consacrées à la météorologie, à la géographie botanique et zoologique, à la géologie, et enfin à la description statistique et archéologique de cette vaste presqu'ile, entourée par les flots de la Méditerranée et de la mer Noire, et qui s'étend sur une longueur de deux cent quatorze lieues, depuis les sources du Halys jusqu'au cap Baba, et sur une largeur de cent vingt-cinq lieues entre le cap Zephyrium et la ville de Sinope, en attendant, disons-nous, tous ces compléments de l'ouvrage, il nous est facile déjà de rendre hommage à la manière très-distinguée dont M. de Tchihatchef a accompli son rude labeur.

La constitution physique de l'Asia inferior des géographes romains; de la Romanie de Raimond d'Agiles, de Fulcher, de Guibert, de tous les chroniqueurs des croisades; de l'Anatolie des Porphyrogénètes et des modernes est examinée tout entière dans ce premier volume. Les divers groupes de montagnes qui hérissent ce sol tourmenté, les cours d'eau qui le sillonnent et forment autant de fraîches et fertiles vallées, les lacs encore assez nombreux, quoique plusieurs et notamment le lac Capria aient disparu dans des temps relativement assez modernes; les eaux thermales, parmi lesquelles on remarque celles de Brousse et le groupe des sources chaudes du plateau d'Hiéropolis, avec leurs phénomènes remarquables d'incrustation, leurs ponts, leurs aqueducs, leurs murailles sorties des mains de la nature et leurs cascades pétrifiées, forment les divers éléments de cette description d'une minutieuse

1 Byron, Childe-Harold.

2 1853, t. 1, gr. in-8°, avec carte et planches.

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