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feu de la critique, au milieu des huées, des cris, et en abattant des ronces. Cependant, nous voici tous deux à peu près au même point: moi rencontrant des roses parmi les épines; vous, quelques épines à l'ombre de vos rosiers. Continuons la route avec notre constance éprouvée. Confirmons notre valeur passée par notre sérénité présente, et sourions à Churchill, qui nous bourdonne aux oreilles. En vérité, cher Hogarth, je ne puis compâtir à vos peines; je vous prise trop haut. pour y croire. Travailler c'est vaincre; ralliez vos amis, cherchez la distraction, rappelez cet esprit qui sommeille, et rendez à votre aimable compagne le bonheur et la paix que vos soucis lui font perdre. - C'est bien, ajouta Hogarth en lui serrant la main avec un sou rire angélique, vous m'avez convaincu.

Dès que Johnson se fut éloigné, William retombant assis, appuya convulsivement ses deux bras contre sa poitrine et pàlit beauconp.

- Eh bien, mon ami, lui dit le soir sa femme en l'enveloppant d'un regard tendre et tout lumineux d'espérance; eh bien, vous avez vu Johnson...

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Rien n'était plus vrai ; car l'amertume, les susceptibilités, la mélancolic d'Hogarth tenaient à des causes contre les quelles sa volonté était impuissante. A ses maux se joignit la pensée de se montrer devant ses amis, faible, ridicule peut-être et inférieur à lui-même. A partir de ce moment, il rechercha la solitude, évita même sa femme, et se plongea avec une certaine joie concentrée dans un tourbillon d'idées noires; fin dernière de la plupart des génies comiques.

Il recevait encore ses amis, retrouvant un peu d'entrain et de son ancien esprit de saillies en présence de beaucoup de monde. Dès qu'il s'égayait, il reprenait appétit; mais sa femme s'inquétait de le voir, pour la première fois, peu sensible à la contradiction et fort accommodant pour les idées qu'il ne partageait point. Un jour, sortant de table, il dit à Garrick: Le premier tableau que je peindrai représen tera la fin de toutes choses...

-Sera-t-il donc la fin de vos travaux ? répondit un des assistants; ou bien l'artiste survivra-t-il à toutes choses? vous avez besoin de repos, et la plus infatigable carrière parvient à son terme.

Certainement, reprit l'artiste en soupirant; c'est pourquoi, plus tôt je finirai et mieux ce sera...

Hogarth se remit donc à l'ouvrage, passant des jours entiers dans la solitude et ne montrant qu'aux heures de repas son front taciturne. A quelque temps de là sa femme ayant pénétré dans son atelier où elle croyait le trouver, reconnut qu'il venait d'en sortir, et vit sur son

chevalet une toile qu'elle contempla longuement avec tristesse, et dont elle comprit peu à peu si bien la portée, que ses yeux se remplirent de larmes. Ce tableau, très célèbre parce qu'il se rattache aux dernières pensées d'Hogarth dont il prophétisait la fin, est connu sous le titre de Finis ou tail-pièce. Dans cette étrange composition, l'artiste s'était plongé dans le mysticisme emblématique des vieux Allemands, fruit de la solitude et de la préocupation de la mort. Mais, satirique jusqu'à la dernière heure, tout en cédant à l'aiguillon poignant de la nostalgie, il s'était raillé de lui-même et avait intitulé sa pittoresque rêverie: « LE PATHOS, ou manière de tomber dans le genre sublime; dédié aux brocanteurs de tableaux noirs. »

C'est devant cette amère bouffonnerie, digne de l'imagination d'Albrecht Durer, que Jane Thornhill demeura plus d'un quart d'heure en douloureuse contemplation.

Au milieu de ce tableau dont Nichols nous a légué la description, elle vit tout d'abord le Temps abattu par le sommeil au pied d'une colonne tronquée, le Temps qui jetant sa dernière bouffée de tabac, vient de casser sa pipe contre sa faulx, brisée comme l'est son clepsydre. De sa main droite s'échappe un testament par lequel il élit le Chaos pour héritier: L'acte est contresigné des Parques. Autour de lui gisent, une bourse vide, une brosse émoussée, une couronne fracassée, une crosse de fusil, un arc distendu, une cloche félée, une bouteille cassée, et une déclaration de la faillite de la nature, scellée juridiquement. Près de la cloche est un portrait du Temps, qu'une bougie enflamme. Plus loin, contre un chapiteau gìt une enseigne de cabaret représentant la fin du monde.

Jane ne se méprit point à ces preuves parlantes des sinistres préocupations de son mari. Il s'y était livré avec une persistance et une fécondité d'invention, indices de l'état de son âme. C'étaient, çà et là, des cabanes croulant de vétusté, des arbres morts, des temples ruinés, des clochers avec des cadrans sans aiguilles ; des vaisseaux abìmés dans les ondes... Le ciel mème annonçait la consommation des temps: Phébus verse dans l'espace, avec ses coursiers, et la lune éclipsée s'éteint. Dans toute la nature, ironie suprème et bizarre, de tous les ouvrages des hommes, il n'est resté debout qu'une potence...

Tandis que mistress Jane, étouffée par ses pressentiments, essuyait ses yeux obscurcis de larmes, Hogarth rentra dans l'atelier et, en la voyant jeta un faible cri, porta la main à son cœur, pàlit et chancela. -Souffrez-vous, cher ami? dit-elle en le soutenant dans ses bras et en s'efforçant de sourire pour déguiser son trouble.

- Ce n'est rien, balbutia Hogarth, qui détourna les yeux avec effort; pourquoi vous amuser à examiner ces folies? c'est un caprice... une commande destinée à un lord atteint du spleen...

O William! répondit-elle, vous m'ètes aussi cher que le jour où j'ai tout quitté pour vous suivre. Ma vie est toute en vous; mes pensées n'eurent jamais que vous pour objet, et je ne suis plus de moitié dans les vôtres ! Est-ce une peine secrète, est-ce le souci de votre santé qui vous inspirent des songes si noirs? Ressentez-vous des craintes dont vous me refusez le partage? pensez-vous, par une fausse compassion, retirer votre main de la mienne, et arracher votre cœur aux consolations d'un cœur comme le mien? Parlez, rassurez-moi, regardez-moi... car nous ne pouvons pas vivre ainsi.

Pourquoi vous affliger? repartit William avec douceur; il me serait si pénible de vous faire de la peine, que cette idée seule me cause une torture impossible à concevoir. Je suis las, ajouta-t-il, ma vigueur est abattue, et ce tableau est le dernier que je peindrai.

Soudain il se redressa, vint à son chevalet, et plongeant d'une main convulsive son pinceau dans la couleur, il ébaucha en deux coups, au bas de la toile, une palette brisée, et s'écria, dans un singulier délire: Finis! ma carrière est terminée! tout est fini!

Peu de jours après il fallut le transporter à Londres, dans sa maison de Leicester-Fields; c'était le 23 octobre. Le lendemain, il reçut une lettre de Franklin, qu'il avait connu sept années auparavant en Angleterre. Ces deux hommes s'étaient estimés et chéris tout d'abord; cette lettre lui fit plaisir, il voulut se hàter d'y répondre, mais un mal subit l'obligea de se mettre au lit, où il fut pris d'un vomissement. Comme il se sentait suffoqué, il souna avec tant de vigueur que le cordon lui tomba dans la main.

Jane, éperdue, accourut assez tôt pour recueillir son dernier soupir. Hogarth était mort d'un anévrisme dont il étudiait depuis longtemps les progrès.

Ses restes furent transportés à Chiswick, où il dort avec sa famille au pied d'une pyramide qui porte quatre inscriptions funéraires. La première est consacrée à l'artiste, la seconde à sa femme, décédée vingt-cinq ans après, en 1789; la troisième à dame Judith Thornhill, et la dernière à miss Anna Hogarth, sœur du peintre, qui passa sa vie en province et voulut reposer à côté de son frère.

Contre le soubassement du mausolée sont sculptés en bas-relief un masque comique, une couronne de laurier, une palette, et un livre intitulé: Analysis of beauty, sur lequel on a gravé huit vers de Garrick, dont voici la traduction littérale :

« Adieu, grand historien de l'espèce humaine,
» Qui as atteint la perfection de l'art,

>> Dont les peintures morales charment l'esprit,
» Et en passant par les yeux vont épurer le cœur.

TOME VII.

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» Si le génie t'enflamme, ô passant, arrète-toi !
>> Si la nature te touche, répands une larme !
>> Si rien ne t'émeut, va-t-en,

» Car la poussière vénérée d'Hogarth est ici. »

La mort de cet homme éminent mit fin aux polémiques dont il avait tant souffert. Agé de soixante-sept ans, il disparaissait dans l'éclat de sa gloire, et sa popularité se releva plus brillante que jamais. Il serait inutile d'ajouter ici de ces périodes sonores qui, sous prétexte de résumer, concluent pompeusement les études historiques du genre de la nôtre. Ce personnage vraiment original a été suffisamment dépeint; son œuvre nous est connue, il nous a retracé le tableau de son siècle, et fourni l'occasion de caractériser le talent des trois plus grands peintres de l'Angleterre, Thornhill, Reynolds et Hogarth.

Les funérailles de ce dernier attirerent, à Chiswick, l'élite des intelligences contemporaines, et la foule recueillie du peuple dont il s'était fait le peintre. Cependant, on ne transporta point les restes de cet illustre artiste à Westminster, dont les caveaux sont encombrés d'acteurs, de poèteraux, de comédiennes et de publicistes oubliés. Le clergé anglican, implacable depuis pour les cendres de lord Byron, garda rancune à la mémoire de William Hogarth. Néanmoins, le révérend John Hoaldy, chapelain de la Reine, prononça le discours d'adieu sur la tombe de son ami, et, pour la première fois, Hogarth fit couler des larmes.

Au retour de cette triste cérémonie, Samuel Johnson dit à Garrick: Que l'homme est faible et borné! combien sa vue est courte, et qu'il est insensé de livrer son âme à des peines passagères, à des vanités d'un jour! Notre ami s'est laissé abattre par les attaques d'un Churchill, et cet insolent ennemi qui abrége des jours précieux n'en a pas vu le terme. Avant mème que William Hogarth ne mourut de Churchill, Charles Churchill avait rendu le dernier soupir en arrivant à Boulogne...

FRANCIS WEY.

BEAUX-ARTS.

ÉTUDES SUR L'ART CONTEMPORAIN.

I.

L'ARCHITECTURE DANS PARIS.

(Suite.)

(Reproduction et traduction inlerdiles.)

ARCHITECTURE CIVILE MONUMENTALE.

Les gares de chemins de fer.

Les prodiges enfantés de nos jours par l'industrie, en créant de nouveaux besoins ou en développant dans d'immenses porportions des besoins autrefois limités, ont contraint l'art de bâtir à chercher des combinaisons nouvelles qui protégent et facilitent leur expansion. Ainsi avons-nous vu une architecture industrielle se former pour ainsi dire de toutes pièces à la suite de l'application efficace des forces de la vapeur, ainsi avons-nous vu la création des chemins de fer donner lieu dans tous les pays à des constructions considérables, motiver même parfois des monuments, remarquables à la fois par leur étendue, par leurs proportions gigantesques et par leur caractère particulier. En tête de toutes les lignes on vit s'élever dans les villes d'arrivée ou de départ

* Voir le présent volume, page 458.

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