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permis à des écrivains d'ailleurs estimables de cueillir les palmes du triomphe, et MM. Aug. Maquet et Jules Lacroix ne tarderont pas à s'apercevoir qu'il est bien plus aisé d'écrire un roman d'Alexandre Dumas que d'improviser un opéra de M. Scribe. On a dit beaucoup de mal des opéras de M. Scribe, et de leurs personnages et des vers qu'il leur met à la bouche. Souhaitons seulement aux débutants dans la carrière d'en faire d'aussi bons que lui, d'aussi clairs, d'aussi propres à mettre en relief tour à tour les qualités brillantes et dramatiques du compositeur. C'est là un métier, dites-vous! Oui, mais un de ces métiers qui ont bien l'air d'être un art difficile, puisque si peu le savent

exercer.

Que voulez-vous que M. Niedermeyer fit sur un « poème » comme celui de la Fronde? - Ce qu'il a fait en vérité, c'est-à-dire une musique pâle, traînante et qui ne se réveille qu'à de rares intervalles, quand le musicien oublie le poète, ou bien à la fin du quatrième acte, quand tous deux, dans un moment d'inspiration, s'abandonnent aux plus bruyants transports du lyrisme. Verdisme à part, ce finale du quatrième acte est un morceau capital. Un peu moins de grosse-caisse et d'unissons, il devenait presqu'irréprochable. Ce quatrième acte est au reste le meilleur de la partition: on y retrouve, ainsi que dans le trio du cinquième, quelques-unes de ces hautes inspirations qui avaient fait dans le temps si bien augurer de l'avenir de l'auteur de Stradella et de Marie Stuart. Ce n'est pas la grandeur des proportions qui manque généralement à la musique de M. Niedermeyer, c'est la vie, le souffle, le feu sacré qu'il n'a jamais su dérober à son maître, Rossini, pour en animer ses propres créations. Une teinte mélancolique et vague, une sorte de voile nébuleux est répandue sur toutes les parties de ses œuvres; parfois cette brume épaisse convient au tableau, et le cœur est d'autant plus vivement touché qu'il s'abandonne lui-même aux rêveries poétiques qui ont inspiré le compositeur : telle apparaît cette excellente romance de Marie Stuart. Mais un auteur d'opéra, pour être complet, doit avoir plus d'une corde à sa lyre; il ne faut pas toujours que ce mineur mélancolique vienne bourdonner aux oreilles des mélodies indécises; il est des heures, il est des situations où il faut savoir épouser toutes les formes et parler toutes les langues, celle de la joie comme celle de la tristesse, celle de la colère comme celle de l'amour, et je crains bien qu'en définitive M. Niedermeyer ne possède pas ce pouvoir de métamorphose. Savant musicien, harmoniste distingué, il se complait dans sa pensée et revient toujours aux formes naturelles de son esprit, quelqu'effort qu'il fasse pour les varier ou même pour s'en affranchir. Le dirai-je enfin, la partition nouvelle de M. Niedermeyer me semble entachée d'un défaut que n'avaient pas les œuvres précédentes: le style, quelqu'uniforme qu'il soit, m'en paraît décousu; c'est comme une marquetterie qui serait faite avec une seule espèce de bois.

En reconnaissant avec nous les défauts de l'opéra de la Fronde, les hommes de l'art ne pourront se dispenser de louer les qualités précieuses de toutes les parties symphoniques de l'ouvrage. Dans son orchestre, dans ses accompagnements, M. Niedermeyer parle et agit en maître, et en ce point il se rattache à cette grande école française dont M. Halévy est aujourd'hui le chef et à laquelle les impatiences d'un public léger n'oteront rien de son auréole. Ce

›mérite seul suffirait pour rendre la partition de la Fronde digne de la scène Jou la musique de Gluck fut exécutée, et il suffira toujours pour lui mériter l'estime des musiciens sérieux.

Dans l'exécution de ce noir mélodrame, M. Roger a des moments heureux et des faiblesses. Ces faiblesses dépendent beaucoup de sa volonté, à moins qu'elles ne tiennent à une incurable difficulté de respiration : ce chanteur ralentit tous les mouvements et dénature ainsi le sens de la partie qui lui est confiée. Un rôle, qui devait être le principal, celui du duc de Beaufort, se trouve réduit, à force de coupures, à des proportions ridicules, et c'est grand dommage, car M. Obin s'y montre un acteur intelligent et un chanteur distingué. Mmes Tédesco et Lagrua méritent aussi quelques éloges, particulièrement Mile Lagrua qui a la voix très-sûre, un goût exquis et une justesse d'intonations irréprochable. Notre public, habitué aux grands éclats et aux cris passionnés, n'apprécie pas à sa valeur ce talent sobre et sévère.

Nous disions l'autre jour tout ce que, dans une soirée, malheureusement unique, nous avaient causé de joie et rendu de charmants souvenirs la grâce et la diction souveraine de Mme Plessy-Arnoud. Au moment où la belle comédienne allait reprendre la route de Saint-Pétersbourg, une autre de ces exilées volontaires qui charment de leur talent la cour de Russie, Mme Volnys, nous rapportait aussi de bonnes et nobles émotions, dans deux actes, deux actes seulement de la Camaraderie. C'était au théâtre de l'Opéra-Comique, pour une bonne œuvre, et toute la belle société de Paris était venue applaudir dans ee fragment d'un de ses bons rôles, cette petite Léontine, qui est devenue si grande par le talent. On s'étonne, à voir jouer la comédie par ces transfuges des bords de la Newa, combien notre Théâtre-Français a été impuissant à les remplacer; même en tenant compte de leurs petits défauts, de ces imperfections de nature ou d'éducation qui font que Miles Mars et Contat vivent encore dans la mémoire des vieux dilettantes de notre littérature dramatique, on est aussi surpris qu'affligé de reconnaître qu'elles ont laissé le vide derrière elles, et que le plus sage, pour ceux qui ont gardé le souci des choses de l'art, est de souhaiter leur prompt et définitif retour. A les goûter ainsi par échantillons, pour ainsi dire, on se sent alléché à les vouloir garder tout entières et pour toujours. La Camaraderie avait été reprise précisément quelques jours auparavant à la Comédie-Française; elle avait rendu à notre excellent comédien, M. Samson, un de ses rôles favoris, un de ceux dans lesquels il déploie avec le plus d'avantage son esprit fin et railleur, sa bonhommie un peu caustique, sa naïveté quelque peu maligne. Chose curieuse aujourd'hui que cette comédie, l'une des meilleures de M. Scribe, qui en a fait de très-bonnes, remarquable échantillon d'une liberté excessive de penser et de dire, liberté dont les esprits les plus attachés à l'ordre et à l'autorité n'étaient pas les derniers à abuser. M. Scribe en sait quelque chose, et sans doute il a fait son mea culpa des écarts où l'a parfois entraîné le pernicieux exemple de Beaumarchais. Lui aussi a mis la pioche dans l'édifice, et ce n'était pas pour le recrépir.

Je parlais du Théâtre de l'Opéra-Comique, et peut-être serait-ce le lieu d'examiner le nouvel ouvrage lyrique de M. G. Duprez, le célèbre chanteur devenu maestro; mais M. Duprez, harcelé par une critique injuste et passionnée a jugé à propos de retirer sa partition du théâtre. Nous imiterons sa réserve,

tout en constatant que l'on applaudit fort souvent à des productions qui n'ont pas plus de mérite que la sienne, mais qui accusent assurément moins de conscience. M. G. Duprez n'a sans doute pas cette habileté pratique qui désarme le mauvais vouloir; tant mieux pour lui, il est plus honorable de succomber ainsi, même lorsqu'un peu d'amour propre blessé s'en mêle, que de triompher par des armes discourtoises. L'Ombre d'Argentine, petit opéracomique en un acte, a eu un meilleur sort, et vraiment il y a de jolis motifs, de gracieuses et piquantes mélodies dans ce nouvel ouvrage de M. Monfort. -Tous les ressorts du vieux mélodrame ont été mis en usage pour émouvoir et impressionner le spectateur dans la pièce fort peu littéraire que le théâtre de la Porte-Saint-Martin vient de faire applaudir sous ce titre qui sent la poudre à canon d'une lieue le Vieux Caporal. Le vieux caporal! quelle beau prétexte pour écrire des dialogues à coup de fusil, pour sonner de la trompette et frapper du tambour, pour faire battre les armées autrichiennes par dix fantassins français, pour réveiller tous les échos endormis du chauvinisme, et donner un pendant au Soldat laboureur! Heureuse nation qui s'enivre de fumée et qui sait panser toutes ses blessures avec des lieux-communs surannés! Nous aurions passé sous silence la venue de ce caporal vieux ou nouveau, en dépit des nombreux emprunts faits par lui aux œuvres complètes de Guilbert de Pixérécourt, n'était l'importance toute particulière que lui donne M. Frédérick Lemaître. Nous n'aimons pas ce tableau sinistre d'hommes mourant sur le champ de bataille loin de leur patrie; le spectacle de ces boucheries humaines nous répugne, et si tout ce sang répandu sur le sol étranger est du sang français, la tristesse qui nous saisit empêche que nous prêtions à la suite du drame toute l'attention qu'il mérite sans doute, et que nous appréciions comme il devrait l'ètre tout le talent de pantomime déployé par Frédérick Lemaître ; car, il faut le dire, quoique cela puisse paraître bien extraordinaire, ce vieux caporal est devenu muet à force d'indignation. — M. Lemaître obtient dans ce mélodrame un très-grand succès, et à notre sens un des plus légitimes que cet acteur trivial ait jamais mérités. Ceci nous permet de croire que si dans tous ses rôles passés il avait été forcé de parler par gestes, il aurait acquis une réputation plus durable et moins frelatée. Il est fâcheux que l'on y ait pensé trop tard.

- Parmi les innombrables morceaux de musique dont les pianos sont encombrés, il est bien rare d'en rencontrer qui aient vraiment quelque valeur. Les lieux-communs de l'art musical sont plus nombreux encore que ceux de la littérature et les musiciens compositeurs pullulent maintenant comme les hommes de lettres. Jadis un compositeur-musicien était considéré comme un homme à part, parlant une langue que tout le monde ne se piquait pas comme aujourd'hui de connaître. Alors quand on disait de quelqu'un : « Il compose de la musique, » c'était comme si l'on avait dit: Il sait l'hébreu ou le sanscrit. Cette langue mystérieuse, cette science compliquée de l'harmonie est de nos jours la plus répandue qui soit sur le globe :

« De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome, »>

tout le monde est musicien, ce qui ne prouve pas absolument que tous ceux

qui s'occupent de musique soient des virtuoses ou des compositeurs éminents. En ceci comme en tout, la médiocrité est en nombre et je la crois même cousue d'or comme celle d'Horace. Voici pourtant quelques pages signées de M. Francœur, un nom célèbre dans l'art lyrique et qui renaît de ses cendres; voici un recueil de mélodies, Soirées d'automne, de M. Alfred Dufresne; voici une chanson charmante, douce, poétique, la Chanson de Marie, par M. Victor Massé, qui appartiennent à la minorité et se détachent heureusement du fonds crépusculaire des nouveautés musicales. Une simple valse, steeple-valse, une leste redowa, Amanda, quelques romances bien senties et bien faites, une chanson légendaire avec des paroles de M. Brizeux, et des notes suaves tombées de la plume de l'auteur de Galathée et des Noces de Jannette.... Voilà qui vaut mieux que certaines partitions de notre connaissance.

ALPHONSE DE CALONNE.

REVUE MUSICALE.

Le règne de la musique sérieuse a cessé cette année avec la clôture de la société de M. Seghers. Paris reste bien encore livré à un certain nombre de séances musicales qui remplissent d'auditeurs résignés les salles de Herz, du palais Bonne-Nouvelle et de Ste-Cécile; mais les virtuoses qui viennent y faire montre de leur talent se soucient fort peu des œuvres des grands maîtres. Le dernier concert de cette musique sérieuse à laquelle M. Seghers commence à habituer les oreilles parisiennes, n'offrait pas malheureusement des éléments bien intéressants et bien nouveaux, à l'exception peut-être de la Fantaisie avec chœurs de Beethoven. Cette œuvre remarquable était absolument inconnue en France, lorsqu'un pianiste de beaucoup de mérite, M. Mortier de Fontaine, donnant, il y a dix ans, à ses risques et périls un concert à orchestre dans la salle du Conservatoire, fit entendre à son auditoire surpris cette merveille d'imagination et de grâce savante. Depuis cette époque la Fantaisie avec chœurs est restée dans le souvenir des connaisseurs comme une des compositions les plus originales de Beethoven. Mais elle est peu répandue dans le public: les difficultés de l'interprétation, le nombreux concours des musiciens qu'elle exige en sont la cause. La Fantaisie avec chœurs est fondée à peu près sur les mêmes bases que la Symphonie avec chœurs, du même maître. Le piano y joue d'abord un rôle tout à fait indépendant. Dans un long et précieux prélude il semble courir à la recherche d'une pensée qui s'échappe et fuit toujours. Les nuages qui enveloppaient l'idée-mère s'éclaircissent cependant, et bientôt un thème naïf et simple éclot sous les doigts du pianiste, les instruments s'en emparent l'un après l'autre et le varient de la façon la plus ingénieuse. Le chœur n'intervient qu'à la fin de l'œuvre. Lorsque toutes les ressources de l'art instrumental sont épuisées, il vient ranimer la pensée du compositeur par cet irrésistible accent de la voix humaine que nulle voix de cuivre ou de bois n'atteindra jamais. Cet effet est

calculé sur l'effet gigantesque de la Symphonie avec chœurs, les deux thèmes principaux présentent même un peu d'analogie. Seulement ici le cadre est infiniment restreint, on dirait la gravure d'un beau tableau, réduit à de trèspetites proportions. L'ouverture d'Oberon, une jolie symphonie d'Haydn (la cinquante-quatrième), des chœurs d'Ulysse de M. Gounod, fort beaux, mais très-connus, composaient le reste d'un programme qui aurait pu être plus varié.

Prodigieux, inconcevable, inouï a été le nombre des artistes qui sont venus à Paris de tous les points de l'Europe, de par delà les mers, pour y recevoir ce qu'ils appellent le baptême de la renommée. Beaucoup s'en retourneront sans gloire, sans argent surtout, car la gloire maintenant s'acquiert plus facilement que la fortune. L'on rencontre aisément quelques amis bienveillants qui mettent à votre service des mains compatissantes ou qui ensevelissent l'orgueil du pauvre artiste dans le linceul des louanges banales. Durant toute une soirée, l'artiste est fèté, applaudi; puis le lendemain l'on n'en parle plus, à l'exception du vague écho de son nom, qui retentit quelque temps encore dans quelque journal complaisant. Les journaux spéciaux de musique remplissent leurs colonnes avec le seul dénombrement de tous ces artistes. Nous n'inscrirons que le nom de ceux que le public a le mieux accueillis, de ceux en même temps que nous avons pu entendre, car tous les jours, sans trève, sans repos, sans relâche, les salles Sainte-Cécile, de Herz, du Casino, de M. Sax, résonnaient du fracas des instruments, des éclats de voix des chanteurs, sans qu'il fut possible de prévoir un terme à cette plaie de la musique.

Dans cette armée envahissante des virtuoses étrangers, le bataillon des pianistes, hommes et femmes, est de beaucoup le plus nombreux. Les plus complaisants, s'attachant à satisfaire le goût du public pour les miettes musicales, composeront un programme à peu près de cette façon: N° 1, la Gracieuse, polka; No 2, les Perles d'écume, nocturne; N° 3, les Cloches du Soir, l'Etoile du Matin, idylles; N° 4, Souvenirs, Regrets, élégies, etc. Je borne ici ce programme, qui sans doute est déjà tombé sous les yeux de nos lecteurs, sinon le même, un à peu près semblable. Quelques autres pianistes, cependant, osent aborder courageusement l'exécution des chefs-d'œuvre classiques, cet éternel effroi d'un public léger. Parmi les premiers, les complaisants, nous citerons M. Fumagalli, qui a son portefeuille rempli de petites pièces fort jolies, fort ingénieuses, toutes parfumées de mélodie italienne, mais dont le style hésite entre la polka et la romance, ne descendant pas au-dessous de la première, ne s'élevant pas au-dessus de la seconde. M. Fumagalli a beaucoup de talent comme virtuose et comme compositeur, et sa modestie égale son talent. La critique peut donc se mettre à l'aise avec lui, et lui conseiller de tenter une voie plus sérieuse.

Mademoiselle Wilhelmine Clauss possède à un haut degré le sentiment de la musique allemande, elle en a donné des preuves à ses derniers concerts. Ainsi les morceaux qu'elle a interprétés avec le plus de succès étaient précisément ceux qui se rapprochent le plus de la forme classique : la sonate en ut dièze mineur de Beethoven et un quintette de Schumann. Des morceaux tels que les Patineurs de Liszt dépassent un peu les forces physiques d'une femme et l'obligent d'ailleurs sur le piano à des évolutions où la grâce fémi

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