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WILLIAM HOGARTH,

ου

LONDRES IL Y A CENT ANS.

(Suite*.)

(Reproduction et traduction interdites.)

V.

LONDRES PEINT PAR HOGARTH: LA PRISON DU FLEET;

COURTISANE, drame en six tableaux.

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Si la bienveillante attention des lecteurs a daigné nous suivre jusqu'ici, ils auront compris sans peine que le but de cette étude biographique où les personnages ont retracé leur caractère et les simples événements de leur vie, tout en nous découvrant un coin du tableau des mœurs contemporaines, s'étend au-delà des limites d'un dénouement d'action, prologue plus ou moins animé de ce modeste mais consciencieux travail.

Dans notre pensée, la péripétie attendue, c'est l'œuvre d'Hogarth, c'est la destinée littéraire de Johnson son vivant contraste, de Garrick et de cette pléïade encore obscure qui vient çà et là peupler la scène. Pour ce qui est du peintre, dont les œuvres nous fourniront le canevas d'une espèce de voyage posthume, rédigé sur pièces authentiques, dans l'Angleterre du dix-huitième siècle, nous avons cherché à initier le public aux idées, aux principes qui ont dirigé sa vocation, et à faire en sorte que l'on s'intéressât à connaître les productions d'un jeune homme qui s'engageait si avant, et s'annonçait ainsi.

Nous avons vécu avec lui, et l'intérêt qu'il inspire rehaussera celui qu'est susceptible d'exciter la description d'une œuvre vraiment drama

* Voir le présent volume, page 228.

tique, dont l'auteur, à la fois célèbre et mal connu dans notre patrie, a déjà contracté avec nous quelque intimité.

Nos musées français ne possèdent pas un tableau des grands peintres anglais; jamais une toile de Thornhill, ni de Wilson, ni de Gainsborough, ni de William Hogarth n'a traversé le détroit, et le dernier ne doit une notoriété européenne qu'à l'esprit bizarre empreint sur quelques planches, la plupart du temps travesties par de mauvaises contrefaçons. Les écrivains du second ordre de ce pays, qui ont exercé tant d'influence sur notre école encyclopédique et libérale, sont presque ignorés de la foule, et l'on rencontre cependant à chaque instant leurs noms sans savoir à quoi les rattacher.

William Hogarth qui ne savait pas l'orthographe, et qui était étranger aux lettres anglaises comme au latin dont il a cependant abusé dans les légendes qui accompagnent ses gravures, afin de se faire honneur de l'érudition de sa femme, Hogarth, prototype des moralistes pittoresques, adonnés de son temps à l'exploitation du roman, atteignit d'un seul coup, après d'infructueux essais, à la renommée qui devait lui assigner une position mixte entre les peintres et les écrivains.

La troisième planche de the Harlot's progress, celle où, comme nous l'avons dit, figure le portrait de sir John Gonson, magistrat très-populaire, ayant paru avant les autres, un gentilhomme qui se rendait à une réunion des lords de la Trésorerie s'avisa de l'acheter en passant et de la montrer à ses collègues. Cette production leur fit si grand plaisir, qu'en sortant ils coururent en choisir des épreuves. Le lendemain, on les porta à la séance du Parlement, et le portrait de Gonson eut un tel succès que le soir même le tirage fut épuisé, et le nom de William Hogarth rendu célèbre dans l'espace de vingt-quatre heures.

Enhardi par un pareil encouragement, l'artiste se hâta d'achever la série; mais dans l'intervalle, il peignit dans Headley-Park, chez M. Huggins, à un plafond de son beau-père, représentant Flore et Zephire, un satyre et des silènes si vigoureux, si étincelants de verve comique, que Thornhill fut obligé de raviver le ton local et l'expression des autres figures.

Vers le même temps, il fit un autre essai plus significatif de la puissance morale de son talent, et à ce sujet regretta la disparition de Johnson qui s'était éclipsé de Londres et avait été concourir à Dublin pour un brevet de maître ès-arts qui lui fut refusé.

Il existait alors à l'entrée de la cité une prison célèbre et toujours pleine, le Fleet, geôle affreuse où les détenus étaient traités avec la dernière barbarie. Des réclamations élevées à diverses reprises avaient amené des commencements d'enquêtes invariablement suivis d'ordonnances de non-lieu et de la plus honteuse impunité. Forts de leur

puissance, le gouverneur et le geôlier, d'intelligence, infligeaient aux captifs les privations les plus odieuses et les tortures physiques les plus arbitraires, dans le but de leur extorquer de l'argent.

Rien de plus horrible que le régime des prisons à cette époque et cinquante ans par-delà. A Newgate, pour être admis à la Cour de Presse, lieu privilégié, il fallait payer un impôt de cinq cents à deux mille guinées : il est bon d'ajouter, pour donner la mesure de ces exactions, que M. Pitt, l'un des gouverneurs à Newgate, avait amodié la Cour de Presse au prix de cinq mille guinées. Lorsqu'à son entrée, un détenu pour dettes ou un prisonnier d'État ne pouvaient fournir la taxe imposée par les porte-clefs, ils étaient jetés dans d'horribles cachots, pêle-mêle avec les plus vils scélérats. Dans toutes les geôles, on tolérait des tavernes desservies par les concierges, où l'on vendait à un taux usuraire du vin et de l'eau-de-vie. La plus ignoble débauche régnait dans ces repaires. Il existait en outre deux salles de torture: la chambre des Ceps où l'on attachait à des ceps les infortunés pour leur arracher des aveux; et le cachot du Pressoir, réduit ténébreux où se trouvait une énorme machine en bois sous laquelle on écrasait, jusqu'à ce que mort s'en suivit, la poitrine des accusés qui refusaient de répondre aux interrogatoires. Ces tortures ne furent abolies en Angleterre, dans ce pays de réforme et de liberté, qu'à la fin du règne de Gorges III, c'est-à-dire de 1815 à 1820....

Telles étaient les abominations commises à Newgate et au Fleet. Le scandale qu'elles causaient s'étant renouvelé, comme à l'ordinaire, la chambre des communes nomma une commission d'enquête, destinée, selon toute apparence, comme les précédentes, à conclure par l'ordre du jour en faveur du ministère.

Mais le dénouement fut tout autre et changé par le seul William Hogarth qui mit son burin dans la balance. Sans perdre un instant, il lança une petite gravure dont Horace Walpole nous a légué la description en ces termes : « La scène représente la commission assem» blée. On voit sur la table les instruments dont on se servait pour >> tourmenter les prisonniers : l'un d'entre eux, couvert de haillons » et exténué par la faim, se présente devant la commission, avec une » contenance noble et ferme. Près de lui l'on aperçoit le bourreau des » détenus, l'implacable geòlier. C'est la figure que l'on eût rêvée pour » représenter lago voyant ses crimes découverts. La bassesse, l'in>> famie, la terreur sont peintes sur la face livide de ce misérable; ses >> lèvres sont contractées, sa tète jetée en avant semble prête à » proférer quelque imposture, ses jambes se portent en arrière » comme s'il songeait à fuir. Il plonge avec violence une de ses mains » dans sa poitrine à demi-débraillée, tandis que les doigts de l'autre » cherchent à s'accrocher aux boutonnières de l'habit. Ce portrait >> est sans contredit le plus frappant qu'on ait jamais peint... »

En guise de pendant, William représenta François Page sous des traits odieux, avec la hart au cou. C'était un juge en butte à l'animadversion de la foule pour son implacable sévérité.

Ces images, expression du sentiment général, prètèrent une telle force à des accusa'ions devenues publiques, qu'il fallut cette fois compter avec le défenseur de l'humanité. Les geôliers, Bambridge et Huggins furent punis, le régime de la prison fut réformé, et François Page, précipité dans le néant par une illustration qui cloua son nom au pilori, resta stigmatisé pour jamais.

Dès lors, le zèle d'Hogarth, à l'abri du besoin et soutenu par l'opinion publique, ne se ralentit plus; sa mission était tracée, il y resta fidèle. Pour cet homme si habile et si consommé dans son art, la peinture, le dessin cessèrent d'être un but et ne furent qu'un moyen facile de rendre la pensée : carrière sans exemple, où Greuze seul a osé le suivre de loin.

Hogarth dessinait comme un autre raconte; tout ce que l'imagination est apte à graver dans la mémoire, il le rendait sur la toile ou sur le papier. Il exécutait sans hésitation un portrait de souvenir, et telle était sa science par rapport au jeu des physionomies, qu'il imprimait à ses modèles, sans nuire à la ressemblance, l'expression exigée par la situation. Il était de force à entamer une plaque de cuivre sans dessin préalable et à improviser au bout de la pointe des figures d'une incomparable précision. Ce miracle de difficulté vaincue lui était familier.

Ses défauts étaient la trivialité dans les sujets de style, où il échoua complétement, une certaine lourdeur inhérente à la recherche trop exclusive de la clarté, et une préoccupation trop minutieuse parfois, des détails significatifs ou des intentions subtiles: il cotoya plus d'une fois les scabreuses difficultés du logogryphe. La mise en scène où tout objet avait sa valeur et sa raison d'être concourant au drame général, ressemble à ces descriptions si finement analysées de M. de Balzac.

Quant à la peinture d'Hogarth, elle est profonde, d'une gamme élevée, d'une solidité suffisante, touchée du reste avec vigueur et sûreté de main, qualités jointes à la plus heureuse audace. Bien enveloppée, très-homogène, elle doit à ces qualités l'avantage de paraître plus finie qu'elle ne l'est en réalité. Chardin donnerait une vague idée de la manière de William Hogarth, qui se rapproche plus des traditions françaises que des écoles d'Italie ou de Flandres, dont il est totalement dissemblable. Tel qu'il est, et avec ses imperfections, nous ne craignons pas, après l'avoir, à diverses reprises, bien étudié à Londres, de le placer parmi les meilleurs peintres de genre. D'autres ont été plus brillants comme Metzu, plus précieux comme Gérard-Dow, ou plus puissants d'effet comme Rembrandt, mais nul n'a si complétement exécuté ce

qu'il a voulu; aucun n'aurait pu se proposer un but si complexe e si difficile à réaliser. Tel est, par exemple, le dessein de grouper dans un sujet, à des plans plus ou moins reculés, plus de cent figures, sans qu'une seule laisse le spectateur indécis sur le rôle qui lui est assigné dans l'action générale, où elles viennent toutes concourir avec des passions ou des pensées aussi clairement retracées sur les visages lointains, indiqués en deux coups de pinceau, que sur les têtes plus achevées des personnages de premier plan.

Thornhill pressentit la célébrité de son gendre, resté de nos jours parmi le peuple presqu'aussi populaire que Shakspeare; il eut le temps toutefois de combler de ses bienfaits le Molière de la peinture anglaise; mais il mourut avant même que William eût mis au jour les six tableaux de the Harlot's progress.

Reconstruisons, la gravure sous les yeux, les six actes de ce drame, dont les scènes furent reproduites à la sanguine jusque sur les éventails, et dont Théophile Cibber a tiré un ballet-pantomime, représenté à l'Opéra de Londres, sous le titre de the Jew decoyed. Au dénouement près, notre mélodrame de Victorine, ou la nuit porte conseil, n'a pas eu d'autre origine, car les romans dont il est issu descendent des imitateurs de William Hogarth, dont nous aurons à signaler plus d'une fois l'influence et la paternité à l'égard des ouvrages français de la fin du dernier cycle littéraire.

1er Tableau. La patache hebdomadaire du Yorkshire, pays renommé pour la beauté des femmes, venait d'arriver comme à l'ordinaire, à l'auberge de la Cloche, dans Wood-street, et de déposer sur le pavé de Londres une jeune fille assez belle dont les traits resplendissants de santé et l'expression modeste charmaient les curieux et les passants arrêtés devant l'hôtellerie. Elle avait nom Maria Hackabaout, ainsi que l'indiquait l'adresse clouée sur sa malle, et avait reçu une pieuse éducation dans son village où son père, honnête et simple vieillard, exerçait le saint ministère. Contraint par la modicité de ses ressources de se séparer de son enfant, il comptait la confier aux soins d'une de ses parentes, à qui Maria apportait, en guise de présent, une belle oie grasse, adressée par mistriss Hackabaout à sa chère cousine. Mais le père n'avait pas eu le courage de quitter sa fille au pays, et, pour la protéger durant le voyage, il l'avait accompagnée à cheval sur une rosse blanche, étique et de plus affamée, car tandis que l'ecclésiastique s'étudiait à déchiffrer sur une lettre l'adresse du très-révérend évêque de Londres, à qui on l'avait recommandé, sa monture dévorait à belles dents un tas de paille qui avait servi à emballer de la faïence.

La distraction du ministre, en ce moment, était au moins imprudente; car à Londres, les filles des pasteurs sont la facile proie des sé

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