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porte, si vous trouvez, messieurs, que je les ai méritées pour avoir » bien servi mon pays. » (M. de Chateaubriand. Séance, à Paris, de la Chambre des Pairs du 30 avril 1823.)

Quant à M. de Chateaubriand, j'aurais souhaité, il est vrai, que le réviseur d'Édinbourg ne l'eût pas, à ses risques et périls, exclu, par un seul trait de plume, du rang élevé qu'il occupe, sans contestation, parmi les serviteurs politiques de la couronne de France'. Mais la renommée du dominateur de la littérature moderne peut aussi se passer de mon secours; et, avant de se lancer contre ce colosse, peutêtre la Revue d'Edinbourg aurait-elle bien fait de se recueillir un moment dans son passé, et de se ressouvenir (Remember!...), car elle n'a pas toujours été heureuse dans ses assauts contre le génie; on pourrait, en remontant avec elle vers les âges, raviver les blessures que lui fit, à son début, un barde anglais maltraité; elle en porte encore, si je ne me trompe, les cuisantes cicatrices.

Trève à ces récriminations. Terrassé ou vainqueur, j'ai hâte, après la lutte, de tendre la main à mon antagoniste, et comme à ses injures il a bien voulu entrelacer parfois quelques éloges, je ne veux pas être en reste avec lui. Ainsi donc, sans lever la visière de son casque, je vais essayer de le faire briller quand il a cherché à m'éteindre, et de le grandir quand il m'a rapetissé. Pour cet effet, je lui fais, en terminant, l'hommage, nou pour désarmer sa colère, mais pour rendre justice à son talent, de la traduction suivante de son remarquable tableau de la Restauration; il l'a tracé comme préambule à sa censure, et bien que tout n'y soit pas de mon goût, on le devinera sans peine à plus d'un trait en le lisant, je lui promets d'avance de ne point en altérer volontairement les couleurs.

« M. de Chateaubriand a fait observer quelque part que le gouver> nement de Louis XVIII était le meilleur temps d'arrêt de la France » sur la pente des révolutions. >>

Ne changeous rien au texte. M. de Chateaubriand, malgré ses rancunes politiques, n'a pas restreint sa réflexion au règne de Louis XVIII; il l'a étendue au règne de Charles X: et il a dit dans l'Histoire du Congrès de Vérone, que « cette Restauration tant oubliée était notre meil» leur temps d'arrêt sur la pente des révolutions. » (Polit. de la Rest. p. 53.) C'est ainsi qu'il s'exprimait sur ces quinze années, en ajoutant avec Tacite, lougum vitæ humanæ spatium. Je continue à traduire.

« La justesse de cette remarque est démontrée par l'impartialité > des temps à mesure qu'ils avancent, et par l'expérience faite de » vicissitudes plus déplorables. Aujourd'hui, les quinze années de

Although whe cannot place M. de Châteaubriand in the first rank of the political servants of the crown of France, this private and authentic correspondence is extremely caracteristic (p. 512).

TOME VII.

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» la Restauration méritent d'être citées comme une ère qui promet>> tait extraordinairement; et nous n'en pouvons que mieux regret»ter la bigoterie et les folies qui hàtèrent sa fin si malheureuse et » si prématurée.

» Le gouvernement de la Restauration française avait su réunir les » talens variés et abondans de plus que d'une seule époque. Parmi » ses premiers serviteurs et conseillers, les traditions élevées, les » grands noms, les manières polies de l'ancienne cour de France se » perpétuaient quand le duc de Richelieu et le duc Mathieu de Mont» morency présidaient à ses conseils. Il faut y joindre la prudence » d'homme d'État de M. de Villèle, le jugement de M. de Serre, le » brillant et l'éloquence de M. de Chateaubriand. La Chambre des » pairs héréditaire par son rang, et indépendante par sa position, >> renfermait tous les personnages éminents dans le service civil ou » militaire de l'Empire comme du parti royaliste. La Chambre des » députés était alternativement dominée par l'austère gravité de » M. Royer-Collard, et par la véhémente éloquence de Manuel ou du » général Foy. Les écoles regorgeaient sous l'enseignement et la » faconde des premiers penseurs du siècle.

>> Guizot invoquait le génie de l'histoire philosophique et du gou>> vernement constitutionnel: Victor Cousin rallumait parmi les » concitoyens de Descartes les traditions sublimes mais presque » éteintes de l'école de la philosophie idéale. Villemain donnait une » vie nouvelle à la critique littéraire; tandis que Thierry, Thiers et >> Mignet commençaient leur carrière par le récit de ces mêmes ré>>volutions dont l'influence s'accroissait sous l'énergie et l'exactitude » de leur langage.

>> La poésie elle-même renaissait encore sur le sol de la France de» venu si prosaïque. Lamartine, dans ses vers méditatifs, ouvrait une » source de sentiments qu'aucun de ses concitoyens n'avait tentée » jusqu'alors. Casimir Delavigne et Victor Hugo donnaient une cou» leur romantique à la poésie lyrique renouvelée: et Béranger, le » plus national des écrivains français depuis Lafontaine, trouvait, » dans la légère mélodie de ses chansons, l'art de faire vibrer les » cœurs du peuple. Mais pourquoi rappeler ces souvenirs, vieux à >> peine d'un quart de siècle? Nous ne saurions retracer dans les cho» ses humaines un revers de fortune plus énigmatique que celui de » cette courte et brillante période. ».

Fas est et ab hoste doceri.

COMTE DE MARCELLUS.

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Plus de vingt-cinq années avaient passé depuis la chute de l'Empire. Ceux qui, alors, étaient à leurs débuts, avaient désormais atteint les grands plateaux de la vie, et déjà il ne tenait qu'à eux de mesurer du regard l'autre partie de la route, ses aspects sévères, ses descentes prochaines et rapides, comme le voyageur, arrivé du lac Majeur et des bords du Tésin au sommet du Saint-Gothard, voit apparaître devant lui les perspectives nouvelles et tristes qui l'attendent, en ayant encore sous les yeux les champs de l'Italie.

Dans ce laps orageux des années et des empires, bien des révolutions, bien des monarchies avaient passé sur la France. Le hasard des vicissitudes publiques s'était plu à réaliser dans ma carrière quelques-unes

* Voir le présent volume, p. 74.

des pensées de ma jeunesse. L'action rapide de nos institutions m'avait donné une place dans les affaires de mon pays. Mais les épreuves de cette existence agitée, la fragilité visible de tous nos établissements, et les pénibles sujets de méditation qui s'oftraient aux regards attentifs de toutes parts, avaient laissé en moi une vive empreinte. Tout en ayant foi encore dans une foule de sentiments et d'idées qu'affaiblit dans l'âme trop souvent l'expérience de la vie, mon esprit était fatigué et découragé; découragé profondément, à l'égard du premier des intérêts de ce monde : la patrie, ses lois, ses destinées, l'avenir inconnu et sombre qui nous attendait. Serviteur dévoué de la monarchie représentative, y voyant la loi générale du siècle, la nécessité particulière des Français et leur plus cher orgueil, j'avais le malheur de croire ce beau et difficile régime, plus difficile que jamais par l'effet de la révolution de 1830, dans l'état des institutions et de la société, à moins d'un perpétuel miracle de la sagesse publique qui ne se produisait pas. C'était avoir le destin de l'homme assis à un banc de rameurs, qui continue à lutter fidèlement, sans espérer que le courant soit vaincu. « La France, fut-il dit un jour, dans une cir>> constance solennelle, à l'une des deux chambres, ne sait pas de » combien près elle côtoie l'extrême désordre! » En effet, elle ne le savait pas! Personne ne le savait. Celui même qui parlait ainsi croyait l'habile et sage prince qui régnait sur la France, destiné à terminer pacifiquement, sur le penchant de tous les abîmes, sa longue et intrépide carrière. Cela même était trop compter sur la fortune! Ce Roi selon la volonté du pays était réservé aux mêmes catastrophes que le Roi selon la loi des siècles. Louis-Philippe devait passer du trône à l'exil comme Charles X, et plus rudement. Contre lui, la révolution qui l'avait couronné prenait l'offensive avec assurance et avec furie. C'est ainsi que cette fatale puissance respecte les pouvoirs qu'elle a faits, et que la démocratie comprend les institutions qu'elle a voulues! Elles ont raison toutes deux. Livrées à elles-mêmes, sans contrepoids et sans barrières, elles n'ont qu'une mission dans le monde et qu'un génie, c'est de détruire. L'erreur serait d'imaginer que les maximes de la première et les passions de la seconde pussent être jamais des instruments pour fonder.

Je venais d'être nommé à l'ambassade d'Espagne, après avoir longtemps décliné l'honneur de ce très-grand poste. Mes objections, nombreuses et diverses, avaient dû s'incliner devant les ordres réitérés du Roi, d'accord avec le vœu pressant d'une Reine et d'une mère pour me faire un devoir d'aller couvrir du nom de la France, et, s'il le fallait, de la personne de son représentant, le trône de la jeune souveraine des Espagnes, contre les périls que les luttes sanglantes des partis jusque dans le palais, et des vues possibles d'usurpation mili

taire feraient courir à son autorité, ou même à sa vie. C'était au lendemain de l'orage de 1840, dont les contre-coups avaient été dans la Péninsule le renversement de la reine-mère, l'avènement d'un pouvoir nouveau et suspect, plus récemment une révolte du parti modéré, formidable et vaincue. L'obéissance me fut rendue plus facile par les perspectives qu'il m'était permis d'attacher, dans l'intérêt du sang de Louis XIV et pour le maintien de son ouvrage, à la question du mariage, dont le monde politique commençait dès lors à se préoccuper. Si incertain que fùt ce lointain avenir, il opposait un grand but à la vive douleur de m'éloigner des affections de la patrie, et peut-être de ses dangers, même pour la servir.

C'est entre toutes ces pensées que la nombreuse ambassade qu'il plût au Roi de constituer, avait quitté Paris. Elle se réunit à Bayonne, partit pour la frontière, et se trouva bientôt transportée à SaintJean-de-Luz, sur les bords de la Bidassoa, en face de Fontarabie, près l'île des Faisans, parmi les souvenirs partout vivants du traité des Pyrénées! L'œuvre de Mazarin était si grande, qu'elle avait résisté, depuis bientôt deux siècles, à toutes les révolutions. Les changements produits par l'abolition de la pragmatique de Philippe V, l'abandon de la loi salique et le rétablissement du droit antérieur, ajoutaient aux difficultés de la France et de ses organes, en laissant subsister le but: l'union des deux peuples, par le maintien de princes du même sang sur les deux grands trônes de l'Occident.

Cependant, nous ne nous lassions pas de contempler le spectacle déployé à nos regards: partout, en face de nous, cette chaîne de monts altiers dont les premiers étages grandissaient à la vue, de moment en moment; en avant, et pour ainsi dire au-dessus de nos tètes, le pic extraordinaire des Trois Couronnes, dont le triple front rappelle les trois royautés de la maison souveraine par qui il ne devait plus y avoir de Pyrénées; près de nous, la mer, aux flots mugissants qui accompagnaient de leur solennelle harmonie le cours silencieux de nos pensées; à nos pieds, ce fleuve, célèbre à l'égal du Scamandre ou du Simoïs, chétif autant qu'eux, plus rapide, et roulant ses eaux, comme une perpétuelle et mouvante barrière, entre les deux empires. C'était là qu'avec la prescience du génie, le grand ministre avait, quarante ans à l'avance, ordonné l'avenir. C'était là que le grand Roi, dans tout l'éclat de sa jeunesse et de sa puissance, était venu en personne sceller par son mariage les plans de Mazarin, pour en léguer à ses héritiers l'honneur et le fardeau!... Pourquoi ne peut-on passer indifféremment aux lieux que les grands hommes ont empreints de leurs souvenirs? Ils semblent y avoir laissé une trace visible et presque quelque chose d'eux-mêmes. On éprouve la même impression d'admiration et de respect que si on se trouvait tout-à-coup en leur présence.

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