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résumé de la science, et qui n'en étaient que la décadence. Boëce, par l'empreinte originale que ses malheurs ont donnée à son principal écrit, par la forme mélancolique de cet adieu testamentaire, par le mélange des vers à la prose, et quelquefois même par un élan de poésie qui surmonte un peu le déclin du langage et du goût, au sixième siècle, a mérité et doit garder une place à part.

M. du Roure a heureusement traduit, en les resserrant un peu, les meilleures parties de ce livre de la Consolation qui, dès le premier âge de notre langue, avait occupé le talent du poète Jean de Meung, et en Angleterre avait été traduit par le vieux et grand poète Chaucer. Mais la mémoire de Boëce avait, longtemps auparavant, reçu de main royale un hommage plus illustre encore et vraiment expiatoire. Il est en effet peu de travaux d'esprit plus curieux et plus respectable que le livre de Boëce reproduit et interpolé par le roi Alfred, dans une version anglo-saxonne, dont un savant littérateur anglais a retraduit dans la langue actuelle d'assez nombreux fragments 1. Il est quelquefois très piquant, quelquefois très édifiant de connaître, grâce à cette interprétation récente, comment l'âme d'Alfred comprenait celle de Boëce, et ce que le roi ajoutait aux pensées du philosophe. Alfred vivait dans la seconde moitié du neuvième siècle, au temps à peu près de la plus grande barbarie moderne; il n'étendit pas son pouvoir audelà de l'Angleterre, dont il eut souvent à défendre ou à reconquérir les rivages dévastés; sa ville de Londres, qu'il commença de policer, n'était qu'un amas de bâtiments informes et de cahutes, comparée aux palais, aux obélisques, aux amphithéâtres de Rome, ou même aux magnificences moins grandes de Milan et de Ravennes. Mais combien les lois et les écrits d'Alfred, empreints déjà de l'esprit de liberté civile qui devait élever si haut l'Angleterre, sont supérieurs aux édits et aux plagiats de science romaine dont se parait Théodoric! Le roi goth d'Italie n'est qu'un spoliateur éphémère qui se revêt bien ou mal des dépouilles de Rome. Le roi saxon est un génie créateur et bienfaisant, qui apparaît comme le phénomène d'un temps barbare, et que la science des temps modernes aime encore à retrouver, comme une étoile perdue dans l'espace. Théodoric, après avoir usé de la doctrine et de l'autorité morale de Boëce, n'a su que le faire làchement assassiner; Alfred a noblement adopté la mémoire de ce saint martyr de la philosophie et de la vérité; il en a reproduit les pensées dans la langue de son peuple encore sauvage; et il a su ajouter à cet écrit d'un autre âge et d'une âme grande et vertueuse des sentiments, des vœux, des maximes également dignes d'un sage et d'un roi.

A. VILLEMAIN,
de l'Académie française.

1 Sharon Turner.

HISTOIRE DES CONSEILS DU ROI,

DEPUIS L'ORIGINE DE LA MONARCHIE JUSQU'A NOS JOURS.

(Suite. *)

(Reproduction et traduction interdites.)

-

IV.

Le Roi juge les
Ordonnances

SOMMAIRE: 987-1270. — Royauté de Hugues-Capet et de Pépin. - Rivalités féodales. -Formule des actes de Hugues-Capet. - Grands officiers du Roi. - Ils signent ses Lettres. Robert. Ses Conseillers sont les grands, surtout les Évêques.-Henri I. --Noms propres. Conseillers. Philippe I. Croisades. Louis-le-Gros. Le sire du Puyset cité devant les Pairs réunis en Parlement. Commencement de l'émancipation de la Royauté.-Conseillers. Josselin, Suger, Algrin. Louis VII. - Saint Bernard. Parlement à Etampes. Conseil de Régence. - Croisade; divorce de Louis-le-Jeune. Ses actes. PhilippeAuguste. Isabelle de Hainaut. - Evocation du temps de Charlemagne. grands vassaux en son Conseil. — Juridiction et composition du Conseil. de Philippe-Auguste. — COUR DES PAIRS. — Elle juge et condamne Jean-Sans-Terre. - Conseil du Roi. — Bouvines.- La cour des Pairs et le Tribunal suprême.--Les grands Officiers ont le droit d'y siéger. - Louis VIII. - Ses Conseillers. - Ses ordonnances. — Louis IX.— Conseil. Ordonnances Les CLERCS au Conseil. - CAS ROYAUX. Conseil à la suite du Saint Louis en son Conseil. — Joinville. - Louis IX rend la justice. - Conseillers à la seconde Croisade. Établissements. - Noms des Conseillers; absence des Grands, affluence des gens de Loi.

Roi.

DU CONSEIL SOUS HUGUES CAPET ET SES SUCCESSEURS JUSQU'A LOUIS IX.

Il y a une grande différence entre la royauté de Hugues Capet et celle de Pépin.

Le fils de Charles-Martel était puissant et populaire dans la nation qui ne reconnaissait que lui pour chef. Il monta sur le trône de princes dégénérés, incapables, avilis, parce que celui qui remplit les fonctions royales doit porter le titre de Roi, sentence préparée par les victoires de ses aïeux, et confirmée par les grands, par les évêques, par le Pape. C'est l'approbation universelle qu'ont donnée à la gloire ceux qu'elle a plusieurs fois sauvés par ses armes, et qu'elle gouverne depuis longtemps par ses lois.

• Voir le présent volume, pages 22 et 161.

Hugues Capet est dans une autre situation; ce n'est pas en tenant pour eux les rênes de l'empire, en gagnant pour eux tant de batailles, en délivrant leur royaume et leur religion du joug et du culte de Mahomet, qu'il a mérité de remplacer ses Rois. Le successeur de Robertle-Fort et de Hugues-le-Blanc n'était devenu que par leurs entreprises contre la royauté, duc de France, c'est-à-dire le premier et le plus puissant de ceux qui s'étaient partagé les provinces du royaume, et qui s'étaient faits rois contre le Roi. Il fallait, pour le demeurer, s'appuyer sur la force, car les rivalités féodales n'avaient pas d'autre droit entre elles. Aussi les seigneurs les plus haut placés par leurs usurpations et les plus ambitieux du vain titre de Roi, comme ceux qui avaient de moindres prétentions, avaient subdivisé leurs provinces en fiefs, sans juger, par leur propre exemple, de la fidélité de leurs vassaux, sans entrevoir qu'ils auraient à combattre le même désir d'indépendance, et qu'au lieu d'appuis pour se soutenir, ils créaient des passions pour se perdre. Ce fut un morcellement infini de territoire et de pouvoir, sans autre lien avec le chef qui devait maintenir l'intégrité de l'un et assurer la justice de l'autre, que le besoin ou la peur.

Hugues Capet n'était donc que le Roi de l'anarchie; mais l'ordre sortira d'une telle confusion, malgré la faiblesse des successeurs de ce prince, qui laissèrent le trône s'affaiblir de plus en plus. Le titre seul de Roi, conservé au-dessus de la société féodale, ne tarda pas à donner une prééminence réelle à celui qui le portait, surtout quand l'hérédité en eut consacré la signification. Les seigneurs, jugeant selon leurs caprices, firent bientôt regretter l'uniformité des lois, et, guerroyant sans cesse entre eux, rendirent odieux et funeste aux populations leur droit de s'armer sans la permission du Souverain. L'Église, fortifiant son organisation hiérarchique, donnait toujours l'exemple de la force dans la subordination; elle remplaçait les plaids, depuis longtemps inutiles et abandonnés, par des synodes, dont l'importance, l'habileté, la fréquence effrayèrent souvent et continrent les seigneurs et le punirent quelquefois. Il se fit donc bientôt un grand travail par les populations contre la tyrannie des seigneurs, par la royauté contre leur indépendance, et la féodalité ne sera que la transition de l'empire des Francs au royaume de France.

Hugues Capet ne s'intitule que Roi des Français; il emploie les formules chrétiennes des Carlovingiens, et si nous pouvons signaler quelque différence, nous croirons, avec Mabillon, que les rédacteurs ne s'astreignaient pas à copier littéralement. Nous l'avons déjà fait remarquer. Dans un diplôme par lequel il confirme les priviléges, les possessions et les libertés des églises, Hugues Capet fait signer son fils Robert avec la qualité de Roi, et les deux royales signatures sont

suivies de celles de l'échanson et du chambellan, et du contreseing habituel des référendaires'. C'est la première fois que nous trouvons l'intervention de ces deux grands officiers de la couronne. L'acte relatif à l'église de Corbeil est signé par le Roi, par ses trois fils, par neuf évêques et par un comte'.

8

L'institution des officiers attachés à la personne des Rois est aussi ancienne que la royauté même, et nous avons vu les Mérovingiens emprunter, à la cour des Empereurs, le modèle de ses dignités. Le chambellan de Sigebert, fils de Clothaire, fut tué avec son maître'; Charlemagne donnait au sien le commandement d'une armée, et celui de Louis-le-Débonnaire, n'était autre que Bernard, duc de Septimanie et frère de l'Impératrice Judith ". A cette charge était ajoutée, sous les Rois de la première race, la garde du trésor royal". Le sé néchal est aussi ancien; celui de Charlemagne commandait égalementune armée. Nous en dirions autant du connétable s'il entrait dans notre sujet de remonter à l'origine de ces officiers; Aimoin rapporte les noms des connétables de Charibert et de Chilpéric '; mais contentons-nous de constater que leurs charges étaient devenues si importantes, qu'Éginhard les appelle des ministres, lorsque Charlemagne les envoie pour étouffer une révolte des peuples du nord 1o; elles n'étaient donc pas d'inutiles titres. Outre leurs devoirs personnels près du Prince et les missions qui leur étaient souvent confiées, ceux qui en étaient revêtus exerçaient une juridiction sur tous les individus dont l'emploi ou les métiers ressortissaient de leurs fonctions". Leur justice devait souvent remonter à celle du Prince, et ils étaient naturellement ses Conseillers.

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Hugues Capet les a appelés à signer ses actes avec leurs qualités. Sans doute son Conseil n'est pas immédiatement réduit à ses grands. officiers. Le duc de France, devenu Roi, est trop riche et trop puissant pour n'avoir point près de lui autant de grands que les faibles Carlovingiens; il est trop pieux pour que les évêques ne lui prêtent pas un

'Hist. nov. Gall. Christ., t. VII, col. 149.

D. Bouquet, t. x, an. 988, p. 552.

Greg. Episc. Tur., cap. xxi. lib. 4.

*Eginh. Annal., an. 791; Duchesne, t. II, p. 246.

Annal. Franc. Fuld., an. 829; ibid., p. 546.

*Greg. Episc. Tur., lib. v, cap. xxix; lib. vii, cap. XXI.

7 Ann 1. Franc., etc., Duchesne, t 11, p. 55, 56, etc.

8 Ibid., an. 807, p. 44-62-83, etc.

Lib. I.

10 Qui statim accitis ad se tribus ministris suis Adalgiso cubiculario, Gestone comite stabuli et Worado comite palatii præcepit, etc. (Egiuh. Annal., etc., an. 782).

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Origine des Dignités et Magistratures de France, par Claude Fauchet; Baluze, t. I, Capit. de villis Imp., p. 334, XVI; p. 336, vii.

concours empressé, ne serait-ce que pour lui tenir compte de la guerre que l'adroit monarque avait faite au comte de Flandres pour le forcer de restituer à son abbaye le corps de saint Riquier. Mais les circonstances ne sont plus les mêmes, et elles s'expliquent déjà par l'apparition inaccoutumée de noms de personnages que leurs fonctions, quelqu'importantes qu'elles soient, n'ont pas encore élevés à ce point que leurs signatures soient nécessaires aux actes royaux.

Si nous ne remarquons, dans ceux de Hugues Capet, que ce fait nouveau, il est digne d'attention. Jusques-là, les Conseillers du Roi ont dû être choisis parmi les évêques et les grands de tout le royaume; ce choix n'aura plus lieu quand les grands resteront dans leurs provinces, indépendants ou ennemis, et que les évêques y seront trop souvent retenus ou rappelés par les discordes religieuses ou féodales. Le Roi ne pourra donc plus réunir que les grands et les évêques de ses domaines, ceux qui occupent les charges restreintes de sa cour, mais qui ne forment plus la brillante multitude de Charlemagne. Le suzerain contesté de la féodalité doit se suffire pour le conseil comme pour la guerre ; à cette condition il rétablira un jour, dans le royaume entier, sa puissance et ses lois.

Le successeur de Pépin était Charlemagne; l'héritier de Hugues Capet n'est que Robert, moine Roi, qui croit régner en chantant au lutrin. Sa vie se passe à combattre, sans courage et sans gloire, ses voisins; à défendre et à abandonner son mariage avec Berthe, à soumettre ses fils rebelles, à poursuivre les hérétiques jusqu'au bûcher d'Orléans, à s'humilier devant les évêques, à gémir de l'isolement dans lequel le retient la reine Constance1. Il ne se montre une fois Roi, en 1027, que pour faire couronner son second fils Henri, bravant les emportements de la Reine pour les avis de Fulbert, évêque de Chartres, et de ses autres Conseillers.

Pour savoir quels sont ces Conseillers, il ne nous faut ni longues recherches, ni appréciations hasardées; le Roi Robert n'en pouvait choisir d'autres que ses grands, que les évêques surtout. Ce sont leurs signatures qui accompagnent la sienne, point celles de ses grands officiers. La Reine Adélaïde signe aussi avec son jeune fils ; la reine Constance avec son époux; les princes avec leur père. Ce mélange n'est point une prérogative ou un honneur, ce n'est qu'une faiblesse. Dans un diplôme relatif à une église de Tours, l'archevêque Hugues,

1

Helgaud. vit. Rob. Reg.; Raduf. Glob. chron.; Gerbert. Épist.

D. Bouquet, t. x, Capitula Roberti Regis.

* Nonnulla confert monasterio, etc., D. Bouquet, t. x, p. 574, an. 997. Ibid., p. 596, an. 1015.

Ibid., p. 599-602-612, passim.

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