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Me de Saulieu plus inquiète et plus troublée que personne, regardait, appuyée contre la fenêtre, si les ombrages du parc ne lui révéleraient pas le retour du fiancé. On l'avait vu sortir au point du jour et se diriger vers le parc.

Tout à coup son regard s'illumina et un brillant carmin qui avait fui ses joues depuis longtemps, se répandit sur ses traits.

- C'est lui, s'écria-t-elle.

Et sans s'inquiéter du trouble que ce mot jetait dans le salon, elle s'élança dans l'antichambre à sa rencontre.

- Gaston, d'où venez-vous? que vous êtes pâle! s'écria-t-elle d'une voix brève à la vue des traits bouleversés du jeune homme.

- Je viens!... ah! je ne sais d'où je viens, Berthe, mais il faut rompre ce mariage; je ne puis épouser votre sœur.,

- Vous ne pouvez, dites-vous... vous ne pouvez épouser ma sœur!... Vous vous trompez, Gaston, vous l'épouserez, car après avoir mérité mon amour vous ne voudriez pas conquérir mon mépris.

La voix de Berthe en prononçant ces mots avait pris un caractère de détermination et d'apreté qui frappèrent le jeune homme de stupeur. Il n'articula plus un seul mot et se laissant entraîner par son père et par Rigaud qui avait absolument voulu lui servir de témoin, il vint recevoir plutôt encore que prendre la main de sa fiancée et se placer avec elle devant la table près de laquelle se tenait l'officier de l'état civil, honnête fermier de la comtesse, et maire du village de Séneuil.

Le mariage civil est une solennité prosaïque et fort insignifiante. La bénédiction de l'église est au contraire une belle et touchante cérémonie qui laisse rarement le cœur froid et les yeux secs.

Dans les circonstances particulières qui signalèrent le mariage de Me de Séneuil et de M. Gaston de Chavilly, il devait se rencontrer plus d'un cœur attendri et plus d'un œil humide. Néanmoins, après la cérémonie religieuse, la gaieté commença à illuminer tous les fronts, et l'on remarqua surtout les saillies spirituelles et joyeuses de Mme de Saulieu. La jeune femme semblait avoir recouvré tout à coup et la santé et l'enjouement d'autrefois. Sa pâleur ordinaire avait fait place à l'incarnat le plus vif, et le voile de tristesse qui la veille encore obscurcissait son front, n'avait laissé d'autre marque sur ce marbre ranimé qu'un léger et capricieux sillon, la première ride de la douleur.

Cette grâce charmante, cette animation reconquise inspirait déjà à M. de Saulieu la pensée de remettre au printemps son voyage et de le restreindre au but de sa mission, aux deux rives du Rhin; et peutêtre la comtesse, trompée comme son gendre par cet apparent et subit retour à la santé, eut-elle été bien aise de donner ce prétexte à sa ten

dresse pour retenir près d'elle sa fille chérie, mais celle-ci, dès le premier mot qui en fut dit à son oreille, protesta d'un ton si vif contre ce changement de projets qu'elle le rendit tout à coup impossible. On envoya donc à la poste voisine retenir des chevaux pour le lendemain. Car les malles avaient été apportées à Séneuil et l'on devait partir de la cour du château.

Le lendemain, toute la maison fut sur pied de bonne heure.

Mon cher élève, disait M. de Saulieu à Gaston, maintenant que vous voilà fixé tout-à-fait à Séneuil, j'espère que vous n'allez pas perdre le fruit de mes leçons. Je vous laisse la libre disposition de mes livres et de mes collections. Voici même la clé des souterrains que je vous confie. Ne la donnez jamais à Rigaud, ajouta-t-il tout bas. Avec de pareils éléments sous la main, vous pouvez faire en mon absence un cours d'archéologie qui vous permettra de m'aider à mon retour dans l'achèvement de mon grand ouvrage. Je vous prierai aussi d'avoir l'œil ouvert sur les constructions du château moderne, comme l'appelle déjà le docteur Martin. Veillez à ce que Rigaud, qui s'est chargé de conduire à bien cette ridicule entreprise, ne sacrifie pas trop le style intérieur des appartements à ce qu'il nomme le confortable. S'il y a moyen de me ménager un grand cabinet, avec une grande cheminée et de petites fenêtres, ne manquez pas de le faire. A mon retour je verrai à lui donner une physionomie treizième siècle, du moins autant que me le permettront ces grands carreaux de vitres, ces baies immenses et ces portes à deux battants de leur architecture moderne.

-Je vous le promets, répondit Gaston.

Maintenant, je vais veiller aux préparatifs de notre départ; Berthe, je vous ferai prévenir quand les chevaux seront prèts.

Mme de Saulieu sourit et fit un signe de tête affirmatif à son mari. Toute la famille était en ce moment réunie dans le salon, la comtesse, ses deux filles, et MM. de Chavilly père et fils. M. de Chavilly père lisait les journaux, et un silence pénible semblait peser sur le cœur des autres personnages. Mme de Saulieu, qui en sentait le poids plus peut-être que toute autre, fut la première à le rompre. Sa vue errait au hasard, et sa pensée cherchait parmi les heures évanouies, celle dont elle pouvait, sans danger, évoquer le souvenir;-car pour le présent, car pour l'avenir, qui eût osé en ce moment y toucher, ou même y faire allusion?

A propos, Gaston, dit-elle tout à coup, je me rappelle vous avoir commencé dans le temps une histoire que je n'ai jamais achevée, celle du sire d'Ostreval et de ses quatre fils.

- C'est vrai, dit Gaston.

- Je vous en dois la fin, reprit-elle, et je vais vous la dire.

Les fauteuils s'approchèrent, les têtes se levèrent et devinrent attentives.

- Où donc en étions-nous restés? demanda la jeune femme.

- A l'amour de l'un des quatre fils pour une jeune fille qu'il aimait, répondit Gaston.

- Quelle heureuse mémoire vous avez !

- Il y a des choses dans la vie que l'on n'oublie jamais.

- Eh bien, n'oubliez jamais ceci, Gaston, que je vous aime comme une bonne sœur doit aimer.

En parlant ainsi d'une voix tremblante d'émotion, Berthe tendit la main à Gaston qui la serra vivement dans les siennes, mais sans pouvoir prononcer une parole.

Nous disions donc, reprit la jeune femme, que le vaillant jeune homme aimait cette jeune fille, qui l'aimait aussi, et il sortait souvent en secret du château pour aller la voir. Un jour...

-Monsieur fait dire à madame que les chevaux sont prêts, interrompit le valet de chambre.

- Bon, s'écria gaîment Mme de Saulieu, il est écrit que vous ne saurez jamais mon histoire...

mois.

Vous l'achèverez à votre retour, murmura Gaston, dans quelques

La jeune femme tourna ses grands yeux bleus vers le ciel. -- Oui, dit-elle, à mon retour!... dans quelques mois... Puis se tournant vivement vers sa mère, elle lui jeta les bras autour du cou et la tint longtemps serrée dans une ardente étreinte, dérobaní à ses yeux le plus qu'elle pouvait de ses larmes.

Tout le monde était descendu dans la cour, et Rigaud, qui était venu avec le docteur encore une fois serrer la main à son vieil ami, ou peutêtre observer avec une tendre sollicitude et secourir, s'il en était besoin, la jeune femme qui partait, Rigaud pensa qu'il serait trop cruel de laisser l'archéologue s'éloigner avec cette arrière-pensée que la tour d'Ostreval ne datait que du quatorzième siècle.

A propos, Saulieu, dit le critique, j'ai une bonne nouvelle à vous apprendre: Il existe deux châteaux d'Ostreval, mon bon ami.

Deux châteaux d'Os...... Vous voulez encore plaisanter. -Non, sur ma parole: il y a d'abord Ostreval en Valois, c'est le vieux, c'est le vôtre; puis il y a Ostreval en Artois, maison de plaisance, château du quinzième siècle, rien qui vaille enfin.

- Dites-vous vrai, mon ami? demanda l'archéologue en fremissant de joie.

- Parbleu ! demandez au docteur; je lui ai fait voir les plans, ils sont chez moi et se rapportent parfaitement à la description..... vous savez, cette description.....

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- Je les ai vus, monsieur, je les ai vus, dit le docteur, et je puis assurer que c'est la vérité, que c'est la vérité.

-Dieu soit loué! Je pourrai donc achever mon grand ouvrage ! Pourquoi faut-il que je parte dans un pareil moment! Encore un mois de travail et j'aurais eu fini.

-Saulieu, vous oubliez vos devoirs, votre mission..... dit gravement Rigaud.

L'archéologue secoua la tête et murmura tout bas en montant en

voiture:

- Ma mission ne m'appelle pas en Italie.

Rigaud échangea avec Berthe un rapide regard d'intelligence.

La chaise de poste s'ébranla, et le critique jeta impitoyablement sa dernière épigramme à la tête de son antagoniste :

-Surtout, Saulieu, dit-il, n'oubliez pas le château d'Udolphe. L'archéologue rentra la tête dans sa voiture comme une tortue insultée dans sa carapace, et le fouet du postillon étouffa les mots qu'il murmurait tout bas.

Comme ils s'en retournaient côte à côte par le même chemin, le médecin monté sur sa fidèle Cocotte, Rigaud sur un cheval de sang qui rongeait son frein:

- Monsieur Rigaud, dit le docteur, l'Italie, l'Italie ! savez-vous que c'est un singulier chemin qu'ils ont pris pour aller en Allemagne, pour aller en Allemagne !

- Tout chemin mène à Rome, docteur, mais tout chemin ne conduit pas également au devoir; il n'y en a qu'un, et c'est celui qu'a pris Mme de Saulieu.

Le docteur secoua la tête en homme qui n'a pas bien compris, et piqua de son unique éperon le flanc de sa monture dont l'amble se ralentissait à vue d'œil.

Cocotte redressa son unique oreille, ouvrit son œil unique, et rejoignit le pur sang qui l'avait distancée.

A. DE BERNARD.

INDUSTRIE.

LA MACHINE ERICSSON.

(Reproduction el traduction interdites.)

Depuis deux mois les journaux américains font grand bruit d'une invention qui pourrait opérer une révolution radicale dans le monde industriel; il s'agit de remplacer la vapeur d'eau, comme force motrice, par l'air atmosphérique dilaté au moyen de la chaleur. Un ingénieur suédois, M. Ericsson, est le promoteur de cette idée nouvelle, ou plutôt il est le premier qui soit parvenu à obtenir, sur une grande échelle, des résultats pratiques, en ne se servant, pour imprimer le mouvement à une puissante machine, que de l'expansion et de la contraction de l'air. M. Ericsson ne prétend donc pas au mérite d'une découverte, c'est seulement un brevet de perfectionnement qu'il a pris pour les États-Unis, le 4 décembre 1851, et si son ingénieuse machine réalise tout ce qu'elle promet, on doit s'attendre que de toutes parts surgiront de prétendus inventeurs qui réclameront la priorité; mais tous les efforts de savants incompris jusqu'à ce jour, pour s'approprier la gloire à laquelle aspire le célèbre Suédois, ne priveront pas celui-ci de sa légitime renommée. De ce que Denis Papin, dès le commencement du dix-huitième siècle, fit marcher une barque par la force de la vapeur, cela ternit-il la brillante auréole qui entoure le front de Fulton? Il y a, à de certaines époques, des idées industrielles qui courent dans l'air; mais pour attacher son nom à une découverte, pour vivre dans la postérité à côté des grands inventeurs, il faut faire sortir son idée de la région de la théorie; il faut la

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