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le tableau subjectif est fils de Somnus, le sommeil 1. Ainsi les anciens avaient parfaitement reconnu la parenté qui existe entre la rêverie et le rêve, entre les créations de l'imagination chez l'homme éveillé et celles que fait en songe l'homme qui dort.

Cette déduction est confirmée par divers passages de Grégoire de Nazianze. Cet auteur emploie le verbe qavτázev pour désigner que quelque chose apparaît à l'imagination; puis, dans un sens positif, il se sert de la même expression pour dire que Dieu est apparu aux hommes 2. L'emploi en commun du même verbe, dans le sens positif et dans le sens figuré, montre qu'on assimilait les actions, et qu'on regardait par conséquent la ressemblance des phénomènes comme fondée dans leur nature.

Les rapprochements sont, en effet, des plus intimes. Ils sont de plusieurs genres. Ainsi l'évocation s'applique d'une manière tout à fait semblable aux images de la fantaisie et aux images des sensations. L'idéal et le réel sont en cela soumis aux mêmes lois. Nous revoyons aussitôt, quand nous la rappelons devant nous, une des créations que nous avons quelque jour formées en nous-mêmes, aussi bien qu'un site familier ou un ami. Dans l'un et l'autre cas, simul ac mihi collibitum est, præsto est imago à peine l'appel est-il fait que la peinture vient se présenter 5.

2

1 Ovide, Métamorphoses, lib XI, v. 642.

Grégoire de Nazianze dit, entre autres, φαντάζονται μαρμαρυ γὰς ὁρᾶν, ils s'imaginent voir des lueurs; ἐφαντάσθησαν τὸν Θεὸν, ils s'imaginèrent voir Dieu; et dans un sens positif ò yavτaobeis Oɛos, le Dieu qui est apparu aux hommes.

Cicéron, De natura Deorum, lib. I, cap. 38.

Par rapport aux notions conservées, il n'y a donc pas de distinction entre l'objectif et le subjectif. Le passé se tient tout entier, dans les mêmes termes, à notre portée; et nous rappelons devant nous à volonté, de la même manière et avec une vigueur égale, le monde interne et le monde extérieur.

Un autre point de ressemblance, c'est que l'hallucination, comme la sensation réelle, peut être provoquée par certains états maladifs. A côté des phosphènes dont nous avons parlé plus haut, à côté du bourdonnement qu'entendent les plongeurs et les aéronautes, on peut citer des perceptions qui nous semblent encore des sensations, et qui pourtant ne sont plus produites par des actions directes sur l'organe où nous les ressentons. C'est ainsi que dans certains dérangements de la circulation, on voit des hommes parfaitement convaincus, bien que ce soit à tort, que de petits insectes leur rampent sur la peau 1.

Ici nous saisissons ce qu'on pourrait appeler le point de passage entre la sensation et l'hallucination. Il y a encore au faux jugement une raison en partie physique. Le sujet se trouve, pour ainsi dire, à mi-chemin entre une sensation propre et une hallucination véritable.

Ainsi l'on peut montrer des dégradations insensibles, depuis le réel le plus certain jusqu'à l'idéal le plus faux. Il n'y a pas, dans les apparences immédiates, de vraies différences de nature. C'est une série continue une balance qui penche d'un côté d'abord, puis insensiblement du côté opposé.

1 Huxley, Elements of physiology, chap. X, sect. 2.

§ 16. RESSEMBLANCES DANS LE RÊVE PROPREMENT Dit.

Il résulte de la liaison de tous ces phénomènes que l'étude du rêve est très-importante, pour donner une idée de la force subjective et des caractères de l'imagination. Car dans le rêve, cette force, laissant à peu près de côté les sensations et par conséquent le monde extérieur, se montre en quelque sorte tout entière.

Or l'idéal, bien que soumis incontestablement à la spontanéité de chaque individu, est pourtant régi par certaines lois générales, qui lui impriment divers aspects communs. Le monde interne appartient sans doute à chacun de nous individuellement; il est pour chaque homme en particulier son œuvre propre et séparée. Cependant on reconnaît bientôt que toutes ces constructions ont entre elles une certaine ressemblance :

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Il existe une raison pour ces similitudes. Le rêve a beaucoup moins d'arbitraire qu'on n'imagine, et ses châteaux sont bien loin de s'élever au hasard.

D'abord les sensations imparfaites sont de grandes lignes qui lui sont tracées, et entre lesquelles il se contente souvent de remplir les détails. Puis il y a dans notre nature une manière méthodique de procéder, un certain enchaînement réglé des pensées. Deux hommes

1 Ovide, Métamorphoses, lib. II, v. 13.

partis de la même base fausse réfléchiront souvent. d'une manière semblable, passeront par des déductions. analogues, et finiront par arriver au même résultat, bien que ce travail mental soit de part et d'autre tout subjectif. C'est qu'il s'opère dans des sujets qui sont construits d'après un même plan, et dont les opérations sont gouvernées par les mêmes règles.

Aussi serait-il absolument faux de croire qu'à l'inverse de la réalité, qui est la même pour tous puisqu'elle n'est que l'empreinte de l'objectif, le rêve varie dans les proportions les plus capricieuses. L'expérience atteste, au contraire, que dans chaque lieu et dans chaque temps, il y a une sorte d'unité dans le monde interne. Pourquoi l'idéal formé dans la veille ne serait-il pas commun à un grand nombre d'individus, quand nous voyons que certains rêves se reproduisent comme d'après un patron général?

En effet, dans le sommeil, il y a des rêves particuliers, mais il y en a aussi de traditionnels, d'uniformes, des rêves classiques, si j'ose m'exprimer ainsi. Tels sont d'abord, par exemple, ceux du succube et de l'incube. La jeune fille se sent opprimée sous le poids de l'incubus, dont elle fait de vains efforts pour se délivrer; mais elle ne peut échapper à ses puissantes étreintes; ses propres forces se trouvent comme paralysées; le satyre l'accable de ses embrassements et lui fait violence. Pour le jeune homme, c'est la succuba, qui le retient dans ses bras comme dans un étau; elle le presse, elle l'étouffe, et il cède à la nymphe vigoureuse qui l'a maîtrisé. Ces rêves sont attachés en quelque sorte à notre nature; ils appartiennent à tous les

temps et à tous les pays. Saint Augustin les mentionnait il y a quinze siècles. En faisant la part de légères variantes, ils ne sont pas rares.

Ils sont provoqués, dira-t-on, par des états physiques, dont l'influence ne peut pas plus cesser pendant le sommeil que pendant la veille. On l'accorde; c'est justement parce qu'il y a des causes communes à tous les individus qu'il y a des rêves généraux; et c'est pour la même raison qu'il y a, comme nous le verrons dans un instant, des rêveries générales. Mais poursuivons.

Voici le rêve de la nage : il n'est aucune personne d'un certain âge qui n'ait eu occasion de l'éprouver. On se voit au milieu de l'eau; on fait d'énergiques efforts pour gagner le rivage, mais on ne réussit pas à l'atteindre; et presque toujours on s'épuise, jusqu'à ce qu'on se réveille par l'effet de l'inquiétude ou de l'abattement. On peut joindre ici les efforts dans lesquels on voudrait courir, tandis que les jambes se dérobent, ou parler sans parvenir à mouvoir la langue. Les pieds et les mains se refusent à nos vœux, dit le Tasse, la langue reste glacée 1.

C'est à ce type que se rapporte le rêve du chevalier, dans l'Oberon de Wieland, lorsqu'il se trouve, en songe,

'Le Tasse, Gerusalemme liberata, cant. XX, st. 105:
Come vede talor torbidi sogni

Ne brevi sonni suoi l'egro o l'insano:
Pargli ch'al corso avidamente agogni
Stender le membra, e che s'affanni invano.
Che ne' maggiori sforzi a' suoi bisogni
Non corrisponde il piè stanco e la mano:
Scioglier talor la lingua, e parlar vuole:
Ma non segue la voce, o le parole.

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