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par s'arrêter pour faire place à d'autres conditions. Les forces physiques s'échangent elles-mêmes les unes dans les autres, par les plus intéressantes et les plus merveilleuses des transformations. Le magnétisme produit des effets d'attraction et des effets électriques. L'électricité se convertit en chaleur et en lumière. « C'est la force chimique du zinc, dit Faraday, qu'on voit briller dans la lumière de la pile 1. » En sorte que l'univers nous apparaît comme un immense laboratoire où le véritable Protée accomplit, suivant des lois fixes et des harmonies sublimes, ses incessantes transformations.

§ 19. RÔLE DE L'IMAGINATION DANS LA SCIENCE.

Quelque grande et riche qu'elle se soit parfois montrée dans les tableaux qu'elle composait, l'imagination ne s'est guère élevée à des conceptions générales ni à des lois qui embrassaient l'univers entier. Elle est restée presque constamment dans le champ du particulier, empruntant souvent des suggestions au simple terre-à-terre qui nous entoure. Elle a bien rarement soumis à l'esprit des scènes de grandeur ou de puissance, qu'on ait pu reconnaître ensuite pour des réalités. Et lorsqu'elle s'est hasardée à jeter un regard dans l'avenir, elle a presque toujours failli dans ses efforts de prophète.

Si Sénèque a pressenti, dans le célèbre chœur de la

1 Faraday, Lectures on the various forces of matter.

Médée 1, la découverte de l'Amérique, Juvénal ne soupconnait pas que la science dût ajouter d'autres noms à la liste des métaux qu'il connaissait. Nous vivons, dit-il, dans un siècle pire que le siècle de fer, où les crimes se multiplient, et où l'on n'a plus de nouveau métal pour donner un nom à cette méchanceté 2. On pourrait soutenir d'ailleurs que, dans le premier ce ces exemples, Sénèque s'appuyait autant sur la réflexion que sur l'imagination créatrice. Quand celle-ci a prédit juste, c'est presque toujours, en effet, qu'elle était aidée et dirigée par une autre faculté.

Mais, prise en elle-même, l'imagination n'est pas un guide auquel on puisse se confier. Elle n'a aucun droit de prétendre à la valeur d'un « criterium » du vrai. Néanmoins, tout en la rejetant comme base d'étude, nous sommes loin de nous joindre à ceux qui prétendent la proscrire entièrement; nous sommes prêt, au contraire, à la retenir comme élément d'enthousiasme et

1 Le chœur à la fin du second acte:

Indus gelidum potat Araxem,
Albim Persæ Rhenumque bibunt.
Venient annis secula seris

Quibus Oceanus vincula rerum
Laxet, et ingens pateat terra,
Thetisque novos detegat orbes,
Nec sit terris ultima Thule.

• Juvénal, Satiræ, no XIII, v. 28 :

Nunc ætas agitur, pejoraque secula ferri
Temporibus; quorum sceleri non invenit ipsa
Nomen, et a nullo posuit natura metallo,

jusqu'à un certain point comme un auxiliaire dans les recherches scientifiques.

Brewster en a parfaitement défini le rôle. « Ceux, dit-il, qui ont pris sur eux de donner des lois à la philosophie ont fait trop bon marché de l'influence de l'imagination comme instrument d'investigation. Cette faculté est de la plus haute valeur dans les recherches physiques. Si nous la prenons pour guide et nous confions à ses indications, nous pouvons être sûrs qu'elle nous trompera; mais si nous l'employons comme auxiliaire, ce sera le plus précieux des secours '.

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C'est par elle, par exemple, que Kepler est arrivé à ses plus admirables découvertes. Lorsqu'il formula les lois qui le rendent immortel, c'est par une sorte d'intuition qu'il en trouva l'expression. Elles n'étaient guère d'abord qu'une hypothèse, dont il fallait rapprocher les faits. C'est grâce encore à l'imagination que cet homme illustre annonça, après la découverte des satellites de Jupiter, qu'on reconnaîtrait aussi la présence de corps semblables tournant autour de Saturne. Cette prédiction est doublement remarquable, d'abord parce qu'elle s'est vérifiée, et ensuite parce que son auteur, libre de désigner d'autres planètes, en a indiqué une reculée, de préférence à Vénus ou à Mars, plus rapprochés de nous, mais en fait dépourvus de corps accompagnateurs.

1 Brewster, Martyrs of science, p. 215.

• Voyez les considérations présentées, à ce sujet, par le général Liagre, dans sa lecture sur la Pluralité des mondes, à la séance publique de la classe des sciences de notre Académie, en décembre 1859.

Lorsqu'on cessera de la considérer comme une faculté isolée, mais qu'on l'appliquera, au contraire, aux révélations de la science et au tableau du réel, pour augmenter l'éclat et la beauté de la peinture, l'imagination rentrera en quelque sorte dans le faisceau de notre unité. On arriverait alors au résultat annoncé par Hegel. L'idéal et le réel, bien que de sources différentes, s'accorderaient entre eux pour ne produire qu'un corps de notions.

Dans ces idées, l'imagination n'est pas destinée à conserver un domaine distinct, c'est-à-dire en dehors de l'objectif. Les tableaux qui aujourd'hui s'opposent l'un à l'autre se superposeront et s'éclaireront, au contraire, l'un par l'autre. Nous sommes à présent comme l'aveugle de naissance opéré par Cheselden, qui voyait d'abord les objets doubles, faute d'identifier les images séparées des deux yeux. Mais quand il eut appris à se servir de ses organes, il vit les objets simples comme nous tous, les deux images se recouvrant et n'en faisant plus qu'une. Or, c'est apparemment ce qui nous arrivera, quand nous saurons convenablement nous servir à la fois de l'imagination et de l'observation. C'est le vrai et non le fictif que l'imagination doit décorer et illuminer de sa chaude lumière. C'est à travers les portiques du réel que doivent se prolonger ses aperçus, qui se perdent dans un lointain vaporeux et vague. Le rôle de cette faculté sera dès lors plus noble et plus. fécond, sans que les jouissances qu'elle nous procure soient amoindries.

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§ 20. MÉTHODE DES MATHÉMATIQUES.

Quoi que l'on pense de l'accord entre l'objectif et le tableau interne, il est certain toutefois que ce n'est pas l'imagination qui a élevé l'édifice grandiose de nos sciences; il est constant que ce n'est pas à cette faculté interne que nous devons ni la connaissance exacte de la nature, ni la révélation des grandeurs et des richesses du monde extérieur. Ceux qui se sont confiés à cette faculté brillante mais incertaine n'ont formé que des tableaux douteux, plus ou moins obscurcis par une sorte de voile et inférieurs, comme nous l'avons montré, à la réalité. Lorsqu'on a cherché à constituer un tableau clair et certain, il a fallu procéder autrement. Ce ne sont pas les poëtes ni les hommes de lettres qui ont fondé les connaissances positives: ce sont les mathématiciens.

Toute la philosophie, disait Galilée, est contenue dans le livre de la nature : nous l'y trouvons écrite en caractères mathématiques, avec la précision de la géométrie et la rigueur de mesures au compas'. Plus les sciences font de progrès, plus cette assertion vient s'affirmer et nous semble juste. Chaque nouveau phénomène que nous étudions avec soin se montre à nous réglé, mesuré et déterminé par des lois. C'est justement parce que les phénomènes ne peuvent échapper à leurs causes, qu'il est si facile de se trouver d'accord sur le résultat, lorsque ces causes nous sont dévoilées.

' Galilée, Opera, édit. de 1718 en 3 vol. in-4o; t. II,

p. 285.

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