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s'atteler par grands troupeaux à des écheveaux de cordes, pour produire des efforts combinés. Les bœufs réussissaient à peine à tirer lentement des chariots. grossiers. On tournait avec les bras les meules diminutives qui prenaient un temps immense pour réduire le blé en farine. Aussi tout grand déploiement de force était-il regardé comme merveilleux. Les hauts faits de Samson exigeaient l'intervention divine 1, et l'on déifia Hercule, qui résumait en lui la force d'une légion.

Ce serait un jeu aujourd'hui de détourner l'Alphée et de nettoyer les écuries d'Augias. La vapeur emporterait les déblais, comme nous levons une plume. On calcule 2 que cinq cents mètres cubes de houille, la charge d'un ou deux vaisseaux, suffiraient pour élever du sol et mettre à leur place toutes les pierres de cette grande pyramide d'Egypte, où Hérodote nous montrait cent mille hommes assidus à la tâche pendant vingt ans. Les machines à vapeur en existence fournissent un travail mécanique égal à cinq ou six fois celui que pourraient donner tous les habitants du globe, barbares et sauvages compris. Nous avons quintuplé la force du

Les œuvres de force accomplies par Samson avec l'aide divine sont rapportées comme suit: il tua mille Philistins avec une mâchoire d'âne (Judices, cap. XV, v. 15), enleva sur ses épaules les portes de Gaza (ibid., cap. XVI, v. 3), et fit écrouler le temple de cette ville en arrachant les piliers (ibid., cap. XVI, v. 30). Chez les Grecs, l'athlète Cléomède, étant en démence, fut tout d'un coup doué d'une force surnaturelle, et, renversant le pilier qui soutenait une école, fit tomber le bâtiment sur lui et les écoliers (Pausanias, Descriptio Græciæ, lib. VI, cap. 9).

2 Lardner, The museum of science and art, vol. II, p. 401.

genre humain, et avant la fin de notre siècle, cette force sera décuplée.

La plus grande image de puissance mécanique, dans les poëtes de l'antiquité, est celle où Jupiter est représenté soulevant la Terre comme une plume 1. C'est une des conceptions les plus hardies que l'imagination puisse revendiquer, lorsqu'on tient compte du temps et des idées. Il est presque inutile de dire qu'elle appartient à Homère. La poudre n'a pas été même soupçonnée; car on ne trouve pas, à proprement parler, l'idée d'une force de projection dans le feu que Cacus, serré de près par Hercule, répand tout à coup de sa poitrine 2. Et l'on ne reconnaît pas d'analogie bien nette entre les vents sortant d'un sac ou d'une caverne, et la puissance motrice de la vapeur 3.

Ce que nous devons déjà à cette dernière puissance est fait pour étonner la pensée. Lorsque Watt construisait, dans les célèbres ateliers de Boulton, près de Birmingham, les premières machines à vapeur dont se fournit l'industrie, les étrangers allaient visiter cet établissement, comme la source d'où sortaient des espèces de prodiges. Boulton, en faisant un jour les honneurs à un grand personnage, « D'ici, lui dit-il, sort ce que le monde entier envie, la puissance 1. » Or, le monde jouit

1 Homère, Ilias, lib. VIII.

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2 Virgile, Æneis, lib. VIII, v. 256.

3 Pour Homère, les vents déchaînés sortent d'un sac (Odyssea, lib. X), et pour Virgile, des cavernes des îles Éoliennes (Eneis, lib. I, v. 60). C'est cette dernière image qu'a copiée Ercilla (la Araucana, lib. XV, v. 462).

Les mots de Boulton sont : I sell here, sir, what all the world desires to have

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- power.

aujourd'hui de cette puissance, et déjà nous avons devant nous des œuvres qui attestent comment il entend s'en servir.

Sans la vapeur, les grands travaux qui se rattachent à l'art de l'ingénieur auraient été impossibles. C'est donc elle qui est en réalité le cyclope moderne. Son secours eût-il manqué, il aurait fallu abandonner ces mines qui sont comme des villes souterraines ayant souvent plusieurs lieues d'étendue. On n'aurait pu songer ni aux immenses jetées de Plymouth et de Cherbourg, ni aux remblais colossaux de nos chemins de fer 2, ni à ces viaducs, extraordinaires de hardiesse et d'élévation, par lesquels le voyageur est transporté, souvent sans le savoir, au-dessus des plus profondes vallées. On n'aurait pas pu surtout mouvoir ces trains de vitesse, qui suivent, avec une rapidité jusque-là inconnue à l'homme, nos longs rubans de rails, ni ces steamers qui se rient à la fois des vents et des tempêtes. Le vaisseau phénicien dont parle Homère, qui se

1 Le brise-lames de Plymouth a 1,600 mètres de long et contient quatre millions de tonnes de pierres. La jetée de Cherbourg est encore bien plus considérable, puisqu'elle a 3,600 mètres de longueur.

2 On donne comme le plus grand remblai du monde celui près de Lewis, sur le chemin de fer de la Chesapeak à l'Ohio, dans la Virginie, États-Unis. Il est construit à travers une de ces interruptions des Alleghanys, connues sous le nom de gaps, et, dans sa partie centrale, dépasse, sur une grande longueur, 50 mètres de haut.

3 Le viaduc de l'Elster, sur le chemin de fer de Hof à Zwickau, a 74 mètres de hauteur.

Homère, Odyssea, lib. VIII. Le vaisseau d'Enée volait sur les eaux poussé par une nymphe (Virgile, Æneis, lib. X, v. 247).

rendait de lui-même aux rivages où ceux qui le montaient lui prescrivaient de faire voile, est passé du domaine de la fable dans celui de la réalité. Le bateau à vapeur et la locomotive sont comme deux créatures obéissantes, deux animaux domestiques d'une force prodigieuse, ajoutés à la liste de nos serviteurs. Et cette fois nous ne sommes pas seulement des centaures, sautés, d'un bond impétueux, sur le dos de l'animal; la création est notre œuvre ; elle est sortie un beau jour, fourneaux allumés et vapeur chauffée, du cerveau des hommes d'intelligence et de méditation.

Si je parle d'ailleurs de la vapeur comme effaçant, sous le rapport de l'énergie, tous les agents animés, je n'oublie pas, d'autre part, le nombre de travaux variés et délicats qu'elle exécute dans les arts et métiers. Elle met en jeu les scies, les tours, les marteaux, les forets et les rabots; elle laboure les champs, fauche les moissons, bat le blé, moud le grain et pétrit la pâte à faire le pain; elle file le coton et la laine, et tisse ensuite ces fils en étoffes; elle exprime l'huile contenue dans les semences, remplit d'eau nos réservoirs, enfonce nos pilotis, charge et décharge nos navires, et va jusqu'à frapper nos monnaies. Elle atteint à tout, elle s'applique à tout. C'est Briarée 1, non plus comme une conception de la Fable, mais bien comme une réalité. Il est là qui travaille de ses cent bras, de ses mille doigts infatigables, réunissant la dextérité, la rapidité, l'exactitude, à un point que ne peuvent plus atteindre les dix doigts de nos meilleurs ouvriers.

1 Homère, Ilias, lib. I; Virgile, Æneis, lib. VI, v. 287 ; Lucain, Pharsalia.

§ 17. LES MERVEILLES DE LA PRESSE.

Ce que la vapeur est à la force physique, la presse l'est à la pensée. Comme elle multiplie la puissance communicative de l'esprit humain! Platon, Aristote et Zénon n'avaient autour d'eux qu'un groupe restreint de disciples. A la renaissance, commencèrent ces nombreux auditoires, où l'on voyait des milliers d'étudiants se presser, à Bologne, à Florence, à Cordoue, à Salamanque, à Paris, autour des chaires où professaient les hommes illustres. Il fallait alors se repaître de l'enseignement oral, parce qu'il n'y en avait pas d'autre. Mais aujourd'hui l'auditoire n'a plus de limites. La pensée, reproduite par la presse, atteint partout où parvient un livre, c'est-à-dire dans toute l'étendue du monde civilisé. Ce n'est plus un privilége de boire à la source de l'instruction et de la science : l'imprimerie est devenue le moyen d'un grand enseignement populaire, qui va chercher l'auditeur jusqu'au fond du dernier hameau.

Mille traités divers, écrits dans tous les styles et dans toutes les langues, initient celui qui sait lire à toutes les connaissances et à tous les arts. Il n'est plus nécessaire de se faire admettre aux mystères d'Eleusis et de Thèbes, pour que le génie humain révèle devant nous ce qu'il a découvert, et nous étonne en exposant ce qu'il attend encore. Les mystères aujourd'hui s'étalent au grand jour, sur les feuilles que l'art de Gutenberg répand avec la profusion des feuilles

d'automne.

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