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Cette augmentation même, que l'on observe partout dans des proportions plus ou moins rapides, attestet-elle autre chose que la présence d'un immense pyriphlégéton, caché sous le sol que nous foulons, et prêt à déborder par les ouvertures? Si ce n'est pas le noyau entier de la Terre qui est fondu et rouge de chaleur, c'est au moins une couche sur laquelle l'écorce repose. Nous marchons au-dessus d'un océan de feu. Plus bas, beaucoup plus bas que les nappes d'eau souterraines, tout est fondu par la chaleur, et une masse visqueuse et rougie sert de base précaire au terrain. Quel est le poëte qui a parlé d'une couche ignée aussi vaste que le globe que nous habitons?

Mais nous sommes témoins de phénomènes de l'ordre igné bien plus vastes et plus imposants encore. Nous voulons parler de ceux qui se passent sur une échelle immense dans l'atmosphère du Soleil. Là les bourrasques les plus terribles se produisent dans des proportions et avec une rapidité et, par conséquent, une furie quieffrayent l'imagination. L'hydrogène brûlant, chauffé au rouge, s'échappe incessamment d'évents formidables, comme des bouches de gigantesques geysers. Ces jets s'élancent en quelques minutes, en figurant les flammes géantes d'un épouvantable incendie, à des hauteurs de dix, vingt et même vingt-cinq fois le diamètre de notre globe. Qu'on se représente des torrents de feu assez rapides pour courir d'un pôle de la Terre à l'autre en moins de temps qu'il n'en faut à un train express pour franchir, à pleine vitesse, un des plus simples viaducs!

Puis quand le gaz a épuisé sa force d'éjaculation, il retombe, toujours brûlant, toujours rouge de chaleur,

dans toutes les parties de l'atmosphère solaire. Ici on le voit dessiner les jets réguliers d'une pompe à incendie, là des espèces de branches et de fleurs, ailleurs encore des colonnes ou des pyramides, puis une multitude de baguettes qui ressemblent à celles d'une balustrade, et par-dessus ces éjaculations diminutives planent des pins gigantesques à tête élargie — quelques astronomes ont dit des champignons au vaste chapeau, qui protégent d'humbles brins d'herbe. Ce spectacle féerique change en quelques heures, parfois en quelques minutes; les éruptions se renouvellent sans cesse; et le globe gazeux du soleil est bouleversé sur toute sa surface, et sans doute à une immense profondeur.

§ 13. L'ORDRE ET LA VIE DANS L'UNIVERS.

Partout où nous portons l'investigation, nous voyons qu'aucune forme, aucun corps n'est permanent ni immuable, mais que tout, au contraire, atteste des mouvements, des changements, une évolution. Quel exemple à la fois plus imposant et plus rapproché de nous serait-il possible de citer, que la formation des strates qui composent les terrains neptuniens de l'écorce du globe? Il faut avoir étudié soi-même la constitution de ces couches, il faut en avoir examiné le grain, mesuré l'épaisseur, dégagé les coquilles qui s'y trouvent en quelque sorte empâtées, pour se faire une idée de l'ampleur et de la durée des actions qui leur ont donné naissance. Qu'on songe à la lenteur avec laquelle ces dépôts ont dû se former, et au volume immense qu'ils ont fini par acquérir! Qu'on se figure un limon amené

parcelle par parcelle, qui s'élève à peine de quelques centimètres en un siècle, et qui à la fin atteint plusieurs kilomètres d'épaisseur! Puis, qu'on entre dans les détails, et qu'on range, comme dans un musée, les fossiles divers qu'on y recueille. Voici des polypiers, des échinodermes, des mollusques de formes variées, les uns univalves, les autres à deux écailles qui se recouvrent. Voici les squelettes, parfois admirablement conservés, de poissons, de tortues, de lézards, d'oiseaux de rivage, de plantes de différentes espèces. Tout cela a vécu à son tour, à son heure; tout cela a péri, et s'est trouvé lentement enfermé dans le dépôt argileux ou calcaire. Ce sont les débris de bien des siècles. C'est l'histoire d'une période immense, écrite en caractères parlants. Au prix de ce travail gigantesque, de ces remblais dont aucune œuvre humaine n'approche, qu'est cette grande armée de Milton, qui ouvre un passage à travers les bois, aplanit les collines, comble les vallées, et jette des ponts sur les torrents 1? Ce travail de nivellement, de viabilité, la nature prend son temps pour l'accomplir, mais elle l'exécute d'un bras de géant.

Parmi les actions dont nous sommes témoins, les unes sont plus majestueuses et plus lentes, tandis que les autres sont plus rapides. Certains développements peuvent être très-prompts. Cependant ce qui les rend admirables, c'est qu'ils suivent invariablement certaines lois et passent par certaines phases, qui montrent dans les phénomènes un remarquable enchaînement. Minerve sortant tout armée du cerveau de Jupiter est une dis

1 Milton, Par

2, bk. III,

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parate dans la nature. Les poëtes, tout en peignant les grands caractères de la vie, n'ont pas insisté sur son universalité, sur la profusion des êtres, la variété prodigieuse des formes, ni la rapidité de leur reproduction. Nous n'entrerons pas ici dans les détails, qui nous entraîneraient trop loin. La seule histoire du limon fertilisant qu'apportent les rivières et les fleuves, et d'où la vie sort à foison et sous tant de formes différentes, serait à elle seule une espèce d'histoire naturelle. Le Nil ou le Mississipi sont des sources de vie, plus riches, plus fécondes, plus puissantes, que ces fontaines d'ambre ou d'ambroisie, qui donnaient leur force aux dieux'.

La vie, on le sait, a son développement. Tout individu commence par le petit, par une sorte de centre, et s'étend et s'agrandit par degrés. L'Eridan, dit le Tasse, humble à son origine, lutte à son embouchure contre les flots de l'Adriatique 2. La vie a des formes pour les différentes conditions. A peine quelqu'une de ces conditions est-elle satisfaites soit dans l'eau, soit sur la terre, que plantes, fleurs, infusoires, zoophytes, mollusques, insectes apparaissent. On connaît le beau passage d'Homère qui montre les fleurs poussant d'elles-mêmes, pour former une couche à Junon 3. Mais la fécondité de la nature, sa prestesse à faire éclore la vie ne le cèdent pas à la conception du poëte, et possèdent en outre tout le charme et le merveilleux des procédés de l'évolution.

1 L'ambroisie est dans tous les poëtes anciens. Milton (Paradise regained, bk. III, v. 288) en fait une rivière d'ambre liquide. Le Tasse, Gerusalemme liberata, cant. IX, st. 46.

Homère, Ilias, lib. XIV.

Puis à mesure que les êtres se développent, ils se transforment. Le serpent sort rajeuni de sa peau nouvelle, dit l'Arioste 1. Mais quels prodigieux changements la science nous révèle dans les métamorphoses des insectes, des cirrhipèdes, des méduses et de tant d'autres animaux ! Après les avoir étudiées, après en avoir suivi le fil et la succession régulière, on reste pénétré d'une intense admiration. Que de traits frappants, que d'harmonies profondes, et quelle liaison presque merveilleuse dans les phases de ces intéressants développements!

Enfin quand l'être a parcouru sa carrière, il se décompose par degrés. Les feuilles se détachent les unes après les autres, selon l'image de Dante 2; et bientôt in æternam clauduntur lumina noctem. Mais la science nous montre comment les éléments organiques dont l'être était formé ne périssent point avec lui, comment ils retournent à la masse générale, comment enfin ils alimentent peu à peu d'autres créations. En sorte que, suivant la belle expression d'un de nos compatriotes, la nature n'est qu'un "vaste laboratoire où la vie se tient constamment debout sur la mort 3.

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C'est à ce grand laboratoire que les poëtes assignaient un commencement dans le chaos, quand le chaud et le froid, l'humide et le sec, se disputaient la souveraineté, et lançaient au combat leurs atomes embryon

'Arioste, Orlando furioso, cant. XVII, st. 11.

2 Dante, Inferno, cant. III, v. 112.

3 M. P.-J. Van Beneden, dans Patria belgica, tome Ier, p. 437.

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