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et l'on peut un instant se demander comment la Terre, vue du dehors, peut également briller comme une étoile. Mais il n'est pas difficile de s'en rendre compte après un moment de réflexion. Ce qui brille, c'est le paysage, lequel emprunte du Soleil, par une belle journée, un éclat plus vif que nous n'imaginons d'abord. Nous ne voyons jamais, en effet, les objets qui nous entourent, qu'étant plongés avec eux dans le jour qui les illumine. Or, ce n'est pas dans ces conditions que nous pouvons juger de leur éclat réel. Dans le jour, tout semble pâle, et la flamme de nos lampes faiblit et disparaît. Nous daignons à peine remarquer la boule dorée d'un clocher, lorsqu'elle brille aux rayons du Soleil. Mais que la nuit vienne, et supposons que cette boule, cette boule seule, soit alors frappée de la lumière qui l'éclairait pendant la journée; n'attirerait-elle pas aussitôt nos regards, au milieu de l'obscurité générale, par son éclat extraordinaire? Elle paraîtrait presque comme un phare au sommet de la tour.

Comparons seulement, le matin ou le soir, le côté éclairé d'un pic ou d'un clocher avec la partie qui est dans l'ombre. C'est à peine si nous distinguons cette dernière, pendant que le flanc illuminé brille vivement. Imaginons maintenant que nous soyons plongés tout d'un coup dans une nuit complète, pendant que le pic ou le clocher restent latéralement éclairés du Soleil. Quel puissant effet de lumière ne viendrait pas à se produire? La partie éclairée, se détachant de celle qui est dans l'ombre, offrirait l'apparence d'une phase, exactement comme les phases de la Lune, de Vénus ou de Mars.

Tous ces aspects, ces transitions, ces analogies, la poésie n'y a point songé. Elle s'est contentée d'une image générale, dont elle n'a fait ressortir ni les caractères ni les rapports.

§ 6. LA NUIT.

L'imagination n'a pas fait preuve d'une inspiration plus féconde, en s'exerçant sur les merveilles de la nuit. L'obscurité vient tout nous dérober sur la terre; mais, par une compensation magnifique, elle nous révèle tout dans le ciel. Répandue sur ce qui nous entoure, c'est le voile dont parlent les poëtes 1. Les objets perdent peu à peu leur netteté, sans devenir pourtant complétement invisibles, au moins dans une certaine proximité. Le demi-jour qui subsiste offre des apparences variées, qui font naître diverses impressions. Lorsqu'il incline au rougeâtre, il donne aux objets quelque chose de sinistre. Telle est l'apparence de la Lune dans ses éclipses. Notre satellite est alors plongé dans l'obscurité d'une nuit passagère, et, malgré l'ombre qui le couvre, on conserve la vue incertaine de ses principales taches et de ses principaux détails de figure. Klopstock a tiré un très-bel effet de cette espèce de vision indécise, lorsqu'il nous représente Jérusalem se montrant dans le lointain, au milieu d'une obscurité incomplète, et comme couverte d'une sorte de vapeur2.

1 Homère en tête. Voyez Ilias, lib XXIV, et Odyssea, lib. V. 2 Klopstock, Messias, Ges. IX, v. 472-486.

Nulle part nous n'avons l'expérience d'une absence absolue de lumière. Mais nous suivons le progrès des ténèbres lorsqu'elles se foncent, et forment les spissæ umbræ noctis de Virgile. Byron est le seul poëte qui ait mis en scène l'obscurité absolue; il produit un effet grandiose en nous peignant le voile de ténèbres complètes, qui s'étend sur la Terre au dernier jour.

Le voile d'ailleurs n'est pas simplement une image. Le soir, lorsqu'on examine attentivement l'aspect du ciel, quelque temps après le coucher du soleil, on voit paraître du côté de l'est une plaque obscure, qui bientôt s'élève et en quelques minutes envahit le ciel tout entier. Les physiciens la nomment « le fuseau crépusculaire". C'est après sa venue que l'obscurité se fonce de plus en plus, et bientôt la nuit se déclare. Elle a des ailes ombreuses, dit Ercilla, qui viennent nous dérober la lumière du ciel 1. C'est le chef de la milice céleste, l'archange Michel, qui déploie ses ailes, dit le Tasse. Alors tout disparaît, tout se cache. Mais l'ange secoue ses ailes, et celles-ci se dorent aussitôt de sa lumière2. A ce moment, les étoiles viennent décorer ce pavillon splendide étendu sur nos têtes par le Créateur 3.

On pourrait appliquer au ciel entier la belle expression dont Milton se sert en parlant de la Voie Lactée, et dire qu'il est poudré d'étoiles . Il y a, en effet, dans la distribution des astres sur le firmament, une appa

Ercilla, la Araucana, cant. III, v. 555.

2 Le Tasse, Gerusalemme liberata, cant. IX, st. 62. Psalmi, no CIII (CIV des Bibles protestantes), v. 3. Milton, Paradise lost, bk. VII.

rence à la fois d'uniformité et d'arbitraire, qui rappelle la dispersion des poussières. On a quelquefois comparé le ciel étoilé à un vaste champ, ensemencé d'une main plus ou moins égale et plus ou moins ferme. Dans quelques endroits, les semences, c'est-à-dire les étoiles, sont plus clair-semées; dans d'autres, elles sont, au contraire, étrangement pressées. Là se voient des groupes ou noyaux, remarquables par la variété de leur figure et de leur composition. Tantôt les petites étoiles s'y mêlent à des astres plus brillants, qui présentent la série entière des éclats. Ailleurs toutes les étoiles d'un groupe sont pour ainsi dire d'une même grandeur, et nous offrent un tableau d'une uniformité frappante.

Parfois ces étoiles sont toutes d'une même couleur. Ainsi Dunlop a signalé dans le ciel austral un amas d'étoiles télescopiques qui se comptent par centaines, qui présentent toutes à peu près la même apparence, et qui toutes sont bleues. Ailleurs les couleurs de ces petites étoiles sont remarquables pour leur variété. Il y a un bel exemple de cette richesse de teintes dans un groupe voisin de la Croix du Sud, décrit par John Herschel. Quelques étoiles brillantes y sont accompagnées d'un essaim d'astres télescopiques de toutes couleurs, qui donnent à ce groupe l'aspect d'un bijou, composé de pierres précieuses d'espèces variées.

C'est lorsque nous considérons les étoiles télescopiques que le ciel nous étale le spectacle de ses merveilles. C'est là que se trouvent au plus haut degré la profusion, la variété, la grandeur d'allure. Quelle richesse en quelque sorte inépuisable dans cette Voie Lactée, dont un siècle d'études nous a fourni seulement de premiers

détails. Les étoiles qui la composent sont si faibles, mais en apparence si rapprochées, qu'on ne les distingue plus individuellement à l'œil nu, ni même, en beaucoup d'endroits, avec les plus puissants télescopes. Mais elles sont en nombre immense, puisque la Voie Lactée jette à elle seule douze fois et demie autant de lumière que toutes les étoiles perceptibles à la vue simple 1.

Ce vaste nuage stellaire n'offre, du reste, en lui-même, rien d'absolument particulier. C'est seulement une plus grande concentration des objets qui peuplent le ciel entier. Les étoiles y sont plus serrées, les nébuleuses y sont plus fréquentes, les plaques ou groupes formés de différentes nébuleuses et d'étoiles agglomérées dans un petit espace s'y rencontrent plus abondamment. De 263 amas d'étoiles que William Herschel énumère dans le ciel visible de nos climats, 225 se trouvent dans la Voie Lactée ou sur ses bords, et comme cette zone blanchâtre ne couvre qu'une portion fort restreinte de la voûte céleste, on a calculé que l'accumulation de ces amas est cinquante fois plus considérable dans ce vaste nuage cosmique que dans l'espace en dehors 2. William Herschel nous représente la Voie Lactée comme subdivisée en grandes plaques brillantes, qui elles-mêmes se composent de plus petites plaques ou couches, où l'agglomération des étoiles est extraordinaire. Il décrit notamment dix-huit grandes taches dans la partie qu'on peut voir d'Angleterre, dans ces taches des strates, et dans les strates des espèces de grumeaux,

IF.-W. Struve, Études d'astronomie stellaire, p. 91.
Ibid., p. 40. Le chiffre exact est 54 fois.

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