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sont mis daccord, non par une convention préalable, mais par leur éducation, leurs préjugés et tout ce qu'il y a de commun dans leur nature. Ils se sont en partie copiés, en partie reproduits sans le savoir. Il n'y a là pourtant qu'une illusion, et comme il manque un fait pour servir de base, chacun répète la leçon avec les variantes et les tergiversations qu'on a dans le mensonge. L'objectif seul donne une invariable unité.

§ 26. LA RÉALITÉ EST UNIVERSElle.

On est amené, par ce qui précède, à une conclusion qui s'impose pour ainsi dire, et qui est d'un haut intérêt. La concordance entre les hommes est d'autant plus générale et plus fixe que l'on se rapproche davantage de la peinture réelle de l'objectif.

Ainsi, dans le rêve proprement dit, le nombre des cas particuliers est immense. S'il y a certains rêves. communs, chacun cependant assiste dans son sommeil à des milliers de scènes, distinctes de celles qui se passent pour ses voisins. Dans le rêve de l'homme éveillé, les images communes sont déjà plus fréquentes. Le monde interne, ce produit à la fois de nos rêveries individuelles et de la tradition, présente, dans chaque temps et pour chaque peuple, une espèce d'unité. “ Les peuples sont des individus collectifs, » disait Guillaume de Humboldt. Pourtant, malgré d'innombrables traits de ressemblance, l'accord n'égale pas celui qui existe lorsqu'on en vient enfin au réel.

La nature est présente pour tous et, pour tous, la même. Dans le dernier passage de Vénus devant le So

leil, tous ceux qui ont voulu faire usage d'un télescope et le tourner vers le ciel à l'heure indiquée ont pu s'assurer du fait. Partout où l'on voyait alors le Soleil on voyait Vénus sur son disque. Or, tel est en toute circonstance le caractère du réel. Quand, dans une ménagerie, un serpent jette sa peau, tous les spectateurs placés autour de la cage suivent à la fois l'opération. Lorsque le tonnerre gronde, même de loin, tous ceux qui ont l'ouïe claire l'entendent. Le réel ne fait, en effet, ni choix ni exceptions. Ce que la nature révèle aux uns, dans les mêmes circonstances elle le dévoile aussi bien aux autres. Les phénomènes rares ou ceux difficiles à apercevoir ne sortent pas même de cette règle. Car si les plus petits satellites de Saturne ne se voient que par un ciel d'une pureté extraordinaire, les divers astronomes qui, en pareille occasion, regardent tour à tour par une même lunette, voient ces corps dans la même position.

Mais il n'en est plus de même du rêve. L'accord peut subsister encore entre ceux qui ont vu, ou, plus exactement, qui ont cru voir. Toutefois cette vision ne s'étend plus à tous ceux qui seraient à même d'en être frappés. Elle fait des choix et des exceptions. De tous les assistants placés dans des conditions semblables, les uns voient le prétendu phénomène et les autres point.

C'est ainsi qu'à la première bataille que Cortez livra aux Indiens, une partie de ses soldats, mais une partie seulement, aperçurent un cavalier miraculeux qui venait à leur aide. « Quelques-uns écrivent, dit le pieux Solis, que dans cette bataille l'apôtre saint Jacques allait sur un cheval blanc, combattant pour ses Espa

gnols; ils ajoutent que Fernand Cortez, fidèle à sa dévotion, attribuait ce secours à l'apôtre saint Pierre. Mais Bernal Diaz del Castillo nie positivement ce miracle, disant qu'il ne l'a pas vu 1.

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C'est là, en effet, le caractère qui distingue de la vérité objective le rêve, même concordant, le rêve qui fait sur plusieurs une impression commune. Son action, bien qu'uniforme sur ceux qui l'éprouvent, n'est pourtant que partielle. Beaucoup pourront voir ou s'imaginer qu'ils voient la même chose, mais il y en a d'autres qui sont également là, qui devraient voir et pourtant ne voient point. A ce caractère, on reconnaît l'illusion. J'ai bien le droit d'employer ce mot dans cette circonstance, puisque Solis, parfait catholique, qui mourut dans les ordres, l'admet lui-même deux lignes plus bas et que cette occurrence provoque de sa part la réflexion: "C'est un excès de piété d'attribuer au ciel les choses.

1 De Solis, Historia de la conquista de Méjico, lib. I, cap. 19. Les exemples de ce genre d'illusions sont d'ailleurs communs dans l'histoire. La liste occuperait un espace considérable. Je me bornerai à rappeler les suivants. A la fameuse bataille de Leuctres, qui détruisit à jamais la suprématie de Lacédémone, on prétendit qu'Aristomènes était apparu, plus de trois cents ans après sa mort, et qu'on l'avait vu combattre les Spartiates avec toute la fougue de l'acharnement et le courage d'un héros qui venge les malheurs de sa patrie (Wm. Smith, History of Greece, chap. VIII, § 3, où il renvoie à Grote pour l'indication des sources). A la bataille livrée aux Latins, près du lac Régille, par les Romains sous le dictateur Posthumius, Castor et Pollux étaient accourus, disait-on, au secours des légions romaines (Cicéron, De natura Deorum, lib. III. cap. 15; Tite-Live, Historiarum romanarum decades, lib. IV). Le Koran fait mention de troupes d'anges qui se battaient du côté de Mahomet.

qui surpassent nos espérances ou qui sont en dehors de l'opinion. "

Combien de cas analogues il serait d'ailleurs facile de citer! Un jour, un certain nombre de Portugais, combattant dans l'Inde, crurent voir les flèches des barbares se retourner dans leur course et percer de part en part ceux qui les avaient lancées. On trouve entre autres ce récit dans l'histoire de Barros 1. Mais le peu de valeur des allégations partielles, c'est-à-dire faites par une partie seulement des témoins, est constaté ici par un évêque de l'Église catholique romaine, qui dit à propos de ce fait: Hoc certe constat, tantam fuisse hostium trepidationem postquam rem inclinari conspexere, ut conversis arcubus seipsos sagittis configerent. Itaque maximus numerus hostium interfectorum fluctibus ejectus in litus fuit sagittis transfixus, cum e Lusitanis nulla sagitta mitteretur 2.

Dans la nature entière, toute observation est commune, au contraire, à tous les témoins; toute expérience peut être répétée. Les affirmations qui se produisent en dehors de ces conditions sont au moins suspectes, jusqu'à plus ample information. Les témoins peuvent être mal préparés, j'en conviens; ils peuvent être étrangers à l'art d'observer (car c'en est un) et ne point se garer des illusions physiques. Mais alors même tous ceux qui sont présents sont impressionnés des mêmes apparences. Tandis que si l'esprit crée, il ne crée pas à la fois pour tous.

1 Barros, Historia da India, lib. VII.
2 Osorio, De rebus Emmanuelis, lib. I.

§ 27. LA RÉALITÉ EST PERMANENTE.

Dans le cas même d'un certain degré de concordance, il existe une autre distinction entre le domaine de la science et celui de l'imagination. C'est que, dans la science, l'accord se fonde, par la suite du temps, sur des points nouveaux, sans porter préjudice aux points anciens: une fois établi, il est permanent.

Je parle ici, bien entendu, du terrain des données scientifiques et non de celui, entièrement différent, des théories. Les théories ne font pas, comme telles, partie du réel. Elles demeurent du côté du rève, jusqu'à ce qu'elles soient ou bien renversées comme l'hypothèse de l'émission de la lumière, ou bien démontrées comme la gravitation. Dans ce dernier cas seulement, elles passent dans les faits.

Si donc nous prenons ces faits, nous les voyons augmenter sans cesse, mais point diminuer. Ainsi la géométrie a ajouté de nouvelles propositions à Euclide, sans détruire ni changer celles de ce premier maître. L'invention de la pile a enrichi la physique d'une branche entière sans toucher à celles qui existaient. La découverte de la circulation du sang a ouvert à la physiologie un champ nouveau, sans rien retirer à l'ancien. De même encore, de notre temps, l'archéologie préhistorique s'est ajoutée aux études de l'homme, sans renverser une pierre de l'édifice existant. Les faits de la science sur lesquels l'accord s'établit s'enchaînent, on le voit, par addition.

Au contraire, dans le domaine du rêve, il n'en est

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