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N'imitez pas pourtant ces auteurs trop soigneux,
Qui, des beautés des champs amans minutieux,
Préférant dans leurs vers Linnéus à Virgile,
Prodiguent des objets un détail inutile;

Sur le plus vil insecte épuisent leurs pinceaux,
Et la loupe à la main composent leurs tableaux :
C'est un peintre sans goût, dont le soin ridicule,
En peignant une femme, imite avec scrupule
Ses ongles, ses cheveux, les taches de son sein.

Vous, peignez plus en grand. Au retour du matin
Avez-vous quelquefois, du sommet des montagnes,
Embrassé d'un coup-d'œil la scène des campagnes,
Les fleuves, les moissons, les vallons, les coteaux,
Les bois, les champs, les prés blanchis par les troupeaux,
Et, dans l'enfoncement de l'horizon bleuâtre,

De ces monts fugitifs le long amphithéâtre ?

Voilà votre modèle. Imitez dans vos vers
Ces masses de beautés et ces groupes divers.

Je sais qu'un peintre adroit du fond d'un paysage
De quelque objet saillant peut détacher l'image :
Mais ne choisissez point ces objets au hasard;
Pour la belle nature épuisez tout votre art.
Cependant laissez croire à la foule grossière
Que la belle nature est toujours régulière :

Ces arbres arrondis, droits et majestueux,
Peignez-les, j'y consens. Mais ce tronc tortueux,
Qui, bizarre en sa masse, informe en sa parure
Et jetant au hasard des touffes de verdure,
Étend ses bras pendans sur des rochers déserts,

Dans ses brutes beautés mérite aussi vos vers.
Jusque dans ses horreurs la nature intéresse.

Nature, ô séduisante et sublime déesse,
Que tes traits sont divers ! Tu fais naître dans moi
Ou les plus doux transports, ou le plus saint effroi.
Tantôt, dans nos vallons, jeune, fraîche et brillante,
Tu marches, et, des plis de ta robe flottante

Secouant la rosée et versant les couleurs,

Tes mains sément les fruits, la verdure et les fleurs : Les rayons d'un beau jour naissent de ton sourire ; De ton souffle léger s'exhale le zéphire,

Et le doux bruit des eaux, le doux concert des bois, Sont les accens divers de ta brillante voix.

Tantôt, dans les déserts, divinité terrible,

Sur des sommets glacés plaçant ton trône horrible,
Le front ceint de vieux pins s'entrechoquant dans l'air,
Des torrens écumeux battent tes flancs; l'éclair 0
Sort de tes yeux; ta voix est la foudre qui gronde
Et du bruit des volcans épouvante le monde.

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Oh ! qui pourra saisir dans leur variété

De tes riches aspects la changeante beauté ?
Qui peindra d'un ton vrai tes ouvrages sublimes,
Depuis les monts altiers jusqu'aux profonds abymes;
Depuis ces bois pompeux dans les airs égarés,
Jusqu'à la violette, humble amante des prés ?*
Quelquefois, oubliant nos simples paysages,
Cherchez sous d'autres cieux de plus grandes images:
Passez les mers; volez aux lieux où le soleil

Donne aux quatre saisons un plus riche appareil.
Sous le ciel éclatant de cette ardente zone

Montrez-nous l'Orénoque et l'immense Amazone,
Qui, fiers enfans des monts, nobles rivaux des mers,
Et baignant la moitié de ce vaste univers,
Épuisent, pour former les trésors de leur onde,

Les plus vastes sommets qui dominent le monde ;
Baignent d'oiseaux brillans un innombrable essaim ;
De masses de verdure enrichissent leur sein:
Tantôt, se déployant avec magnificence,
Voyagent lentement, et marchent en silence ;
Tantôt avec fracas précipitent leurs flots,
De leurs mugissemens fatiguent les échos,

Et semblent, à leur poids, à leur bruyant tonnerre,
Plutôt tomber des cieux que rouler sur la terre.

Peignez de ces beaux lieux les oiseaux et les fleurs,
Où le ciel prodigua le luxe des couleurs ;

De ces vastes forêts l'immensité profonde,

Noires comme la nuit, vieilles comme le monde ; Ces bois indépendans, ces champs abandonnés ; du hasard enfans désordonnés ;

Ces

vergers,

Ces troupeaux sans pasteurs, ces moissons sans culture;
Enfin cette imposante et sublime nature,

Près de qui l'Apennin n'est qu'un humble coteau,
Nos forêts des buissons, le Danube un ruisseau...

Tantôt de ces beaux lieux, de ces plaines fécondes, Portez-nous dans les champs sans verdure, sans ondes D'où s'exile la vie et la fécondité..

Peignez-nous, dans leur triste et morne aridité,
Des sables africains l'espace solitaire,
Qu'un limpide ruisseau jamais ne désaltère :
Que l'ardeur du climat, la soif de ces déserts,
Embrase vos tableaux et brûle dans vos vers;
Que l'hydre épouvantable à longs plis les sillonne ;
Que, gonflé du poison dont tout son sang bouillonne,
L'affreux dragon s'y dresse, et de son corps vermeil
Allume les couleurs aux rayons du soleil !
Livrez à l'ouragan cette arêne mouvante;
Que le tigre et l'hyène y portent l'épouvante,

Et

que du fier lion la rugissante voix Proclame le courroux du monarque des bois.

Tantôt vous nous portez aux limites du monde,
Où l'hiver tient sa cour, où l'aquilon qui gronde
Sans cesse fait partir de son trône orageux
Et le givre piquant et les flocons neigeux,
Et des frimats durcis les balles bondissantes,
Sur la terre sonore au loin retentissantes.

Tracez toute l'horreur de ce ciel rigoureux :
Que tout le corps frissonne à ces récits affreux i
Mais ces lieux ont leur pompe et leur beauté sauvage.
Du palais des frimats présentez-nous l'image;
Ces prismes colorés : ce luxe des hivers,
Qui, se jouant aux yeux en cent reflets divers,
Brise des traits du jour les flèches transparentes;
Se suspend aux rochers en aiguilles brillantes,
Tremble sur les sapins en mobiles cristaux,
D'une écorce de glace entoure les roseaux ;
Recouvre les étangs, les lacs, les mers profondes,
Et change en bloc d'azur leurs immobiles ondes.
Éblouissant désert! brillante immensité,

Où, sur son char glissant légèrement porté,
Le rapide Lapon court, vole, et de ses rennes,
Coursiers de ces climats, laisse flotter les rênes.

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