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dans Cicéron, de donner aux preuves une force progressive, de faire naître une grande attente et de la remplir, de diviser ses moyens avec méthode pour les rendre plus sensibles, et de les réunir ensuite pour en former une masse accablante; de joindre à une logique qui brille comme la lumière, un pathétique qui embrase comme un incendie; et, ce qui est plus rare que tout le reste et ne pouvait peut-être se rencontrer que dans une pareille cause, de contenir jusqu'à un certain point cette juste indignation qu'il n'est pas toujours permis aux malheureux d'exhaler sans ménagement mais qu'il sait contenir de façon à la faire passer toute entière dans l'âme des lecteurs, à faire entendre tout ce qu'il ne dit pas, à faire sentir tout ce qu'il n'ose pas exprimer, à faire deviner le secret de l'infortune et des larmes, et à laisser dans tous les cœurs l'impression profonde de ce qu'il semble cacher dans le sien.

J'espère que l'on pardonnera au mien cette espèce d'effusion qui n'est point d'ailleurs étrangère à mon sujet. On peut donner quelque chose à un malheur respectable, et la jurisprudence, quoiqu'elle

n'entre pas dans les objets qui nous occupent, tient d'un côté à l'éloquence, et de l'autre à la philosophie, qui toutes deux sont ici de notre ressort. Quand j'ai parlé des orateurs anciens, je ne me suis pas borné à leur talent, je les ai considérés dans leurs rapports avec le gouvernement et les mœurs; et sans doute je n'ai pas dû renoncer à cette méthode quand elle acquiert un intérêt qui nous est propre.

N. B. Cet article est demeuré tel à peu près qu'il fut lu d'original en 1788, et je n'ai guère fait que le resserrer un peu, sans rien changer au fond. Dans la révision générale de l'ouvrage, j'ai laissé subsister partout, comme ici, le témoignage que j'ai cru devoir à ce que la philosophie avait pu faire de bien dans un temps où elle était capable d'améliorer quelque chose, parce qu'elle ne pensait pas encore à renverser tout. Les deux sections suivantes ont éprouvé plus de changemens et quelques augmentations. J'y parle de plusieurs écrivains morts depuis 88, et de quelques autres encore vivans, ce que je ne m'étais guère permis jusqu'ici qu'incidemment, et sans les classer dans aucun genre. Mais j'ai voulu

compléter tout de suite ce qui concerne le genre oratoire dans ce siècle; et d'ailleurs, au moment où je revois tout ce qui était fait de cette troisième partie qui traite du dix-huitième siècle, dix ans de révolution ont été pour les lettres un véritable interrègne, au point que la plupart de ceux qui figuraient dans les premiers rangs, sont, pour ainsi dire, entrés déjà dans la postérité, soit par leur silence ou par leur âge: soit parce que la révolution a comme anéanti le monde où nous vivions, et que l'espèce de monde fantastique qui en a pris la place pour un moment, a donné naissance à une littérature nouvelle que nous ne con naissions pas, qui n'existe que par lui, qui n'est digne que de lui, et qui, d'un moment à l'autre, doit disparaître avec lui. (AVRIL 1799.)

SECTION II.

Eloquence de la chaire.

Je commencerai cet article par réparer une omission qui est une sorte d'injustice; car c'en est une dans toute espèce d'ap

ne

préciation, de ne pas insister assez sur un mérite éminent. Il s'agit ici du Bourdaloue, dont j'ai parlé trop succinctement lorsque j'ai traité de l'éloquence du dernier siècle. Ce n'est pas que j'aie rien à rétracter dans l'article qui concerne ce célèbre prédicateur: tout ce que j'y ai énoncé me paraît encore vrai; mais je n'y ai pas dit tout ce que je devais dire. J'ai pu, en considérant Massillon et lui sous des rapports purement littéraires, ceux d'orateur et d'écrivain mettre aucune comparaison entre eux; et en effet, je ne pense pas que sous ce point de vue Bourdaloue puisse la soutenir. Mais il n'en est pas moins vrai qu'en parlant d'orateurs chrétiens, je ne devais pas régler mon jugement entier sur le seul plaisir que je cherchais alors dans leurs ouvrages, celui d'une lecture agréable: j'étais tenu d'examiner ce que l'un et l'autre étaient et devaient être pour des Chrétiens, puisque c'est pour des Chrétiens qu'ils ont écrit et parlé. J'avais alors beaucoup lu Massillon et fort peu Bourdaloue, et cette différence était en raison du plus ou moins d'attrait dans l'élocution. Cet attrait seul ne devait pas tout décider: il était de l'équité de voir

à quel point Bourdaloue avait atteint les différens résultats du ministère de la parole évangélique, puisqu'il y en a de plus d'une espèce, tous essentiels, et peut-être même tous d'une égale efficacité, en proportion de la diversité des esprits. Tous ces effets étant également l'objet du prédicateur, sont également pour lui, dès qu'il les obtient, les palmes de son art, et il en est deux où j'ai trouvé Bourdaloue supérieur à tout, depuis que je l'ai lu comme j'aurais dû toujours le lire. Ces deux mérites qui lui sont particuliers, sont l'instruction et la conviction, portées chez lui seul à un tel degré, qu'il ne me semble pas moins rare et moins difficile de penser et de prouver comme Bourdalone, que de plaire et de toucher comme Massillon. Bourdaloue est donc aussi une de ces couronnes du grand siècle qui n'appartiennent qu'à lui, un de ces hommes privilégiés que la nature avait, chacun dans leur genre, doués d'un génie qu'on n'a pas égalé depuis. Son Avent, son Carême, et particulièrement ses sermons sur les Mystères, sont d'une supériorité de vues dont rien n'approche, sont des chefs-d'œuvres de lumière et d'instruction

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