· Et laissant faire au sort, courons où la valeur Patrocle et moi, Seigneur, nous irions vous venger. Il n'y avait que lui qui pût dire à Iphigénie: Ne craignez ni les cris, ni la foule impuissante Tout le reste, assemblé près de mon étendard, A vos pérsécuteurs opposons cet asyle: Qu'ils viennent vous chercher sous les tentes d'Achille. C'est à-la-fois un guerrier, un amant, un époux outragé, c'est Achille tout entier. On voit que Racine était plein d'Homere: il traduit d'Homere cet endroit de la scene d'Achille avec Agamemnon: Et que m'a fait à moi cette Troye où je cours? Au pied de ses remparts quel intérêt m'appelle? Pour qui, sourd à la voix d'une mere immortelle, Et d'un pere éperdu négligeant les avis, Vais-je y chercher la mort tant prédite à leur fils? Ce qui distingue ce rôle admirable, c'est que l'amour qui affaiblit ordinairement l'héroïsme, lui donne ici un nouveau ressort. Il semble qu'il n'y ait rien à répondre, lorsqu'Achille dit à Iphigénie: Quoi! Madame, un barbare osera m'insulter ! Il voit que de sa sœur je cours venger l'outrage; Et pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux Je ne lui demandais que l'honneur d'être à vous. C'est peu de violer l'amitié, la nature; C'est peu que de vouloir, sous un couteau mortel, Me montrer votre cœur fumant sur un autel. D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice, Il veut que ce soit moi qui vous mene au supplice; Que ma crédule main conduise le couteau; Il ne s'indigne pas moins de la soumission d'Iphi-. génie que de la cruauté de son pere: moi. Eh bien ! n'en parlons plus, obéissez, cruelle, L Alors de vos respects voyant les tristes fruits, Reconnaissez les coups que vous aurez conduits. Je le répete: que l'on compare à ces emporte mens si naturels, si intéressans, si bien fondés, le sang-froid de l'Achille d'Euripide, et qu'on décide lequel de ces deux rôles est le plus tragique et le plus théâtral. Mais le dernier coup de pinceau est dans le cinquieme acte, quand le poëte représente tous les Grecs armés contre Iphigénie. De ce spectacle affreux votre fille allarmée, Homere et Corneille, les deux premiers modeles du sublime, n'ont rien, ce me semble, de plus. grand pour l'idée et pour l'expression que ces deux vers. L'imagination croit voir l'Achille de l'Iliade quand il paraît près de ses pavillóns, sans armes, qu'il crie trois fois, et que trois fois les Troyens reculent, Girardon disait que depuis qu'il avait lu Homere, les hommes lui paraissaient avoir dix pieds: Racine les voyait à cette hauteur, quand il a peint son Achille. f J'ai dit que le rôle d'Agamemnon était plus. noble et mieux soutenu dans notre Iphigénie, que dans celle des Grecs. En effet, Euripide l'avilit gratuitement devant Ménélas. Quand celui-ci a surpris la lettre que son frere envoie pour pré venir l'arrivée de Clytemnestre, il lui reproche longuement et durement de n'être plus le même depuis qu'il a obtenu le commandement général; d'avoir été souple et flatteur lorsqu'il le briguait ; et d'être devenu intraitable et inaccessible, depuis qu'il en est revêtu. Ces reproches injurieux sont déplacés: il suffisait que Ménélas lui rappellât. ses résolutions, conformes à l'intérêt des Grecs, et sel plaignît de son changement. D'un autre côté Agamemnon reproche à Ménélas de ne respirer que le sang et le carnage, de vouloir se ressaisir d'une épouse ingrate, aux dépens de la raison et de l'honneur. Est-ce bien Agamemnon qui doit tenir ce langage? est-ce à lui de parler ainsi de l'injure faite à son frere, d'une querelle qui arme toute la Grèce, et qui le met lui même à la tête de tous les rois ? Il y a là trop d'inconséquence; c'est s'expliquer comme Clytemnestre, et non pas comme le général des Grecs et le frere de Ménélas, ni comme un homme qui, un moment auparavant, a senti la nécessité du sacrifice qu'on lui demandait. Qu'il en gémisse, qu'il soit combattu, qu'il cherche même à éluder sa parole, à sauver sa fille, rien n'est plus naturel; mais qu'il ne condamne pas formellement sa propre cause. C'est se rendre soi |