Imagens da página
PDF
ePub

· Et laissant faire au sort, courons où la valeur
Nous promet un destin aussi grand que le leur.
C'est à Troye, et j'y cours; et quoi qu'on me prédise,
Je ne demande aux.dieux qu'un vent qui m'y conduise;
Et quand moi seul enfin il faudrait l'assiéger,

Patrocle et moi, Seigneur, nous irions vous venger.
Assurément il n'y avait qu'Achille au monde,
qui pût vouloir tout seul assiéger Troye. Il n'y
avait que lui qui pût dire à Clytemnestre :
Votre fille vivra je puis vous le prédire.
Croyez, croyez du moins que tant que je respire,
Les dieux auront en vain ordonné son trépas.
Cet oracle est plus sûr que celui de Calchase

Il n'y avait que lui qui pût dire à Iphigénie:
Venez, Madame, suivez-moi.

Ne craignez ni les cris, ni la foule impuissante
D'un peuple qui se presse autour de cette tente.
Paraissez ; et bientôt, sans attendre mes coups,
Ces flots tumultueux s'ouvriront devant vous.
Patrocle, et quelques chefs qui marchent à ma suite,
De mes Thessaliens vous amenent l'élite.

Tout le reste, assemblé près de mon étendard,
Vous offre de ses rangs l'invincible rempart.

A vos pérsécuteurs opposons cet asyle:

Qu'ils viennent vous chercher sous les tentes d'Achille.

C'est à-la-fois un guerrier, un amant, un époux outragé, c'est Achille tout entier. On voit que Racine était plein d'Homere: il traduit d'Homere cet endroit de la scene d'Achille avec Agamemnon:

Et

que m'a fait à moi cette Troye où je cours? Au pied de ses remparts quel intérêt m'appelle? Pour qui, sourd à la voix d'une mere immortelle, Et d'un pere éperdu négligeant les avis,

Vais-je y chercher la mort tant prédite à leur fils?
Jamais vaisseaux partis des rives du Scamandre,
Aux champs Thessaliens oserent-ils descendre?
Et jamais dans Larisse un lâche ravisseur.
Me vint-il enlever ou ma femme ou ma sœur?
Qu'ai-je à me plaindre? où sont les pertes que j'ai faites?
Je n'y vais que pour vous, barbare
que vous êtes.

Ce qui distingue ce rôle admirable, c'est que l'amour qui affaiblit ordinairement l'héroïsme, lui donne ici un nouveau ressort. Il semble qu'il n'y ait rien à répondre, lorsqu'Achille dit à Iphigénie: Quoi! Madame, un barbare osera m'insulter !

[ocr errors]

Il voit que de sa sœur je cours venger l'outrage;
Il sait que, le premier lui donnant mon suffrage,
Je le fis nommer chef de vingt rois ses rivaux;

Et

pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux
Pour tout le prix enfin d'une illustre victoire',
Qui le doit enrichir, venger, combler de gloire,
Content et glorieux du nom de votre époux,

Je ne lui demandais que l'honneur d'être à vous.
Cependant aujourd'hui, sanguinaire, parjure,

C'est peu de violer l'amitié, la nature;

C'est peu que

de vouloir, sous un couteau mortel, Me montrer votre cœur fumant sur un autel. D'un appareil d'hymen couvrant ce sacrifice,

Il veut que ce soit moi qui vous mene au supplice;

Que ma crédule main conduise le couteau;
Qu'au lieu de votre époux, je sois votre bourreau!
Et quel était pour vous ce sanglant hyménée,
Si je fusse arrivé plus tard d'une journée ?
Quoi donc, à leur fureur livrée en ce moment,
Vous iriez à l'autel me chercher vainement;
Et d'un fer imprévu vous tomberiez frappée,
En accusant mon nom qui vous aurait trompée!
Il faut de ce péril, de cette trahison,.
Aux yeux de tous les Grecs lui demander raison,
A l'honneur d'un époux vous-même intéressée,
Madame, vous devez approuver ma pensée.
Il faut que le cruel, qui m'a pu mépriser,
Apprenne de quel nom il osait abuser.

Il ne s'indigne pas moins de la soumission d'Iphi-. génie que de la cruauté de son pere:

moi.

Eh bien ! n'en parlons plus, obéissez, cruelle,
Et cherchez une mort qui vous semble si belle.
Portez à votre pere un cœur, où j'entrevoi
Moins de respect pour lui que de haine pour
Une juste fureur s'empare de mon ame :
Vous allez à l'autel, et moi j'y cours, Madame.
Si de sang et de môrts le ciel est affamé,
Jamais de plus de sang ses autels n'ont fumé.
A mon aveugle amour tout sera légitime;
Le prêtre deviendra ma premiere victime;
Le bûcher par mes mains détruit et renversé,
Dans le sang des bourreaux nagera dispersé;
Et si dans les horreurs de ce désordre extrême,
Votre pere frappé tombe et périt lui-même,

L

[ocr errors]

Alors de vos respects voyant les tristes fruits,

Reconnaissez les coups que vous aurez conduits.

Je le répete: que l'on compare à ces emporte

mens si naturels, si intéressans, si bien fondés, le sang-froid de l'Achille d'Euripide, et qu'on décide lequel de ces deux rôles est le plus tragique et le plus théâtral.

Mais le dernier coup de pinceau est dans le cinquieme acte, quand le poëte représente tous les Grecs armés contre Iphigénie.

De ce spectacle affreux votre fille allarmée,
Voyait pour elle Achille et contre elle l'armée.
Mais quoique seul pour elle, Achille furieux
Epouvantait l'armée et partageait les dieux.

Homere et Corneille, les deux premiers modeles du sublime, n'ont rien, ce me semble, de plus. grand pour l'idée et pour l'expression que ces deux vers. L'imagination croit voir l'Achille de l'Iliade quand il paraît près de ses pavillóns, sans armes, qu'il crie trois fois, et que trois fois les Troyens reculent, Girardon disait que depuis qu'il avait lu Homere, les hommes lui paraissaient avoir dix pieds: Racine les voyait à cette hauteur, quand il a peint son Achille.

f

J'ai dit que le rôle d'Agamemnon était plus. noble et mieux soutenu dans notre Iphigénie, que dans celle des Grecs. En effet, Euripide l'avilit

gratuitement devant Ménélas. Quand celui-ci a surpris la lettre que son frere envoie pour pré venir l'arrivée de Clytemnestre, il lui reproche longuement et durement de n'être plus le même depuis qu'il a obtenu le commandement général; d'avoir été souple et flatteur lorsqu'il le briguait ; et d'être devenu intraitable et inaccessible, depuis qu'il en est revêtu. Ces reproches injurieux sont déplacés: il suffisait que Ménélas lui rappellât. ses résolutions, conformes à l'intérêt des Grecs, et sel plaignît de son changement. D'un autre côté Agamemnon reproche à Ménélas de ne respirer que le sang et le carnage, de vouloir se ressaisir d'une épouse ingrate, aux dépens de la raison et de l'honneur. Est-ce bien Agamemnon qui doit tenir ce langage? est-ce à lui de parler ainsi de l'injure faite à son frere, d'une querelle qui arme toute la Grèce, et qui le met lui même à la tête de tous les rois ? Il y a là trop d'inconséquence; c'est s'expliquer comme Clytemnestre, et non pas comme le général des Grecs et le frere de Ménélas, ni comme un homme qui, un moment auparavant, a senti la nécessité du sacrifice qu'on lui demandait. Qu'il en gémisse, qu'il soit combattu, qu'il cherche même à éluder sa parole, à sauver sa fille, rien n'est plus naturel; mais qu'il ne condamne pas formellement sa propre cause. C'est se rendre soi

« AnteriorContinuar »