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pas en jouer un bien considérable; mais Ariane remplit la piece, et la beauté de son rôle supplée à la faiblesse de tous les autres. La rivalité de Phedre est conduite avec art, et la marche du drame est simple, claire et sage. Ariane est de toutes les amantes abandonnées, celle qui inspire le plus de compassion, parce qu'il est impossible d'aimer de meilleure foi, et d'éprouver une ingratitude plus odieuse. La conduité de Thésée n'a aucune excuse, au lieu que celle de Titus dans Bérénice, et d'Enée dans Didon, a du moins des motifs probables. Enfin, ce qui rend Ariane encore plus à plaindre, elle est trahie par une sœur qu'elle aime, et à qui elle se confie, comme à une autre elle-même. Toutes ces circonstances sont si douloureuses, qu'il n'y aurait point au théâtre de rôle d'amour plus parfait qu'Ariane, si le style était celui de Bérénice. Cependant, il s'en faut de beaucoup que même dans cette partie, elle soit sans beautés. Si les sentimens sont presque toujours vrais, l'expression a quelquefois la même vérité et le même naturel; et pour tout dire en un mot, il y a quelques endroits dignes de la plume de Racine. Je sais qu'il n'y a pas longtems que dans une feuille périodique (1), on a parlé

(1) Voyez le Journal de Paris, lettre de M. Palissot sur Ja tragédie d'Azémire.

de cet ouvrage avec un grand mépris; car aujourd'hui il n'y a plus ni mesure ni pudeur dans les jugemens, et il n'est point de mérite que l'on ne rabaisse pour élever ceux qui n'en ont pas. Voltaire qui, je crois, s'y connaissait bien autant qu'un autre, ne parle pas ainsi d'Ariane. Voici comme il s'exprime : « Une femme qui a tout » fait pour Thésée, qui l'a tiré du plus grand » péril, qui s'est sacrifiée pour lui, qui se croit » aimée, qui mérite de l'être, qui se voit trompée » par sa sœur et abandonnée par son amant » est un des plus heureux sujets de l'antiquité. » Il est bien plus intéressant que la Didon de » Virgile; car Didon a bien moins fait pour Enée, » et n'est point trahie par sa sœur..... Il n'y a » dans la piece qu'Ariane; c'est une tragédie faible, » dans laquelle il y a des morceaux très-naturels » et très-touchans, et quelques-uns même très» bien écrits. >>

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Peut-on n'être pas de cet avis, lorsqu'on entend des vers tels que ceux-ci?

Pour pénétrer l'horreur du tourment de mon ame,
Il faudrait qu'on sentît même ardeur, même flamme,
Qu'avec même tendresse on eût donné sa foi,
Et personne jamais n'a tant aimé que moi.

lorsqu'elle dit à sa sœur:

Enfin, ma sœur, enfin, je n'espere qu'en vous.
Le ciel m'inspira bien quand par l'amour séduite,
Je vous fis malgré vous accompagner ma fuite.
Il semble que dès-lors il me faisait prévoir
Le funeste besoin que j'en devais avoir.
Sans vous à mes malheurs où trouver du remede?

Hélas ! et plût au ciel que vous sussiez aimer !

Le spectateur qui sait que cette sœur est sa rivale, ne trouve-t-il pas dans ces vers autant d'art que d'intérêt, et n'est-il pas de l'avis de Voltaire, qui les trouve dignes de Racine?

Quel tendre abandon dans sa premiere scene avec Thésée, quand il lui conseille d'épouser le roi de Naxe;

Périsse tout, s'il faut cesser de t'être chere!
Qu'ai-je affaire du trône et de la main d'un roi?
De l'univers entier je ne voulais que toi:

Pour toi, pour m'attacher à ta seule
personne,
J'ai tout abandonné, repos, gloire, couronne;
Et quand ces mêmes biens ici me sont offerts,
Que je puis en jouir, c'est toi seul que je perds!
Pour voir leur impuissance à réparer ta perte,
Je te suis, mene-moi dans quelque île déserte,
Où renonçant à tout je me laisse charmer
De l'unique douceur de te voir, de t'aimer.
Là, possédant ton cœur, ma gloire est sans seconde ;
Ce cœur me sera plus que l'empire du monde...

Point de ressentiment de ton crime passé :
Tu n'as qu'à dire un mot, ce crime est effacé.
C'en est fait, tu le vois, je n'ai plus de colere.

Ceux qui parlent avec mépris d'un ouvrage où l'on trouve des beautés de cette nature, ne savent pas apparemment qu'un seul morceau, rempli de cette vérité de sentiment et d'expression qui est l'éloquence tragique, vaut cent fois mieux qu'une piece entiere composée de situations d'emprunt mal-adroitement assemblées, et d'hémistiches froidement recousus.

SECTION III.

Quinault et Campistron.

Le grand Corneille vieillissait, et la jeunesse de Racine était encore ignorée, lorsqu'un homme qui se fit depuis un grand nom en devenant le créateur et le modele d'un nouveau genre de poëme dramatique, se rendait déjà célebre au théâtre par des ouvrages qui eurent à la vérité plus de succès que de mérite, mais qui annonçaient de l'esprit et de la facilité. C'était Quinault, qui avant de faire ces opéras qui lui ont donné un beau rang dans le siecle de Louis XIV, s'essaya d'abord dans la comédie, la tragédie et la tragi-comédie. Quoique dans ces deux derniers genres il n'ait rien produit qui ait pu se soutenir jusqu'à nous, cependant la grande réputation qu'il s'est faite sur la scene lyrique, m'autorise à dire un mot des efforts. qu'il fit sur un autre théâtre; ne fût-ce que pour montrer par un exemple de plus, qu'avec beaucoup de talent on peut ne pas s'élever jusqu'à la tragédie. D'ailleurs deux de ses pieces ont eu l'honneur assez rare, d'être jouées pendant quatrevingts ans, le faux Tybérinus et Astrate. Le peu de réussite qu'elles eurent aux dernieres reprises

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