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si critiques, peut bien être conforme aux lois de la chevalerie, qui ne permettaient pas de tuer per

sonne sans le congé de sa dame; mais elle n'est ni romaine ni sensée. Quant à la diction, elle a quelquefois une sorte de force et un ton de fierté; mais en général elle est à-la-fois lâche et dure seche et ampoulée, prosaïque et déclamatoire. L'expression est presque toujours impropre, et la pensée souvent fausse. J'ai entendu citer ces deux yers que dit Junie, en parlant des Romains assiégés par la famine et par l'ennemi :

Ce peuple pour sa gloire, ennemi de la vôtre,
Se nourrira d'un bras et combattra de l'autre.

Quel en est le sens ? veut-elle dire que les Ro mains mangeront et combattront en même tems, ou bien qu'ils mangeront un de leurs bras et combattront avec l'autre? Les vers ont également ces deux sens, et sont très-mauvais dans tous les deux.

Le récit de la défense d'un pont du Tybre, par Horatius Coclès, a passé pour un des meilleurs morceaux : c'était du moins un de ceux qui attiraient le plus d'applaudissemens, lorsqu'on jouait encore la piece. Il y a quelques endroits assez imposans, quoique toujours gâtés par le prosaïsme; mais il est trop long de la moitié, et

la fin est un galimathias métaphorique, digne du

P. Lemoine.

*On eût dit à le voir balancé dessus l'eau,

Que même son bouclier lui servait de vaisseau ;
Et qu'en poussant nos traits, tout notre effort n'excite
Qu'un favorable vent qui le pousse plus vite;

On eût dit qu'en tombant, le dieu même des flots,
Comme un autre dauphin, le reçût sur son dos,
Et que l'eau secondant une si belle audace,
Fit un char de crystal où triomphait Horace.

Le seul trait qui m'ait paru vraiment beau, est ce mot de Junie, lorsque sa confidente lui dit qu'elle a vu dans le camp Scévole déguisé, et qui sans doute n'avait pris ce parti que pour se sauver : Pour se sauver, dis-tu ! tu n'as point vu Scévole.

Mais il fallait il en rester là, et l'auteur s'en garde bien. Il délaie cette pensée en douze vers plus emphatiques les uns que les autres,

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Il se voudrait cacher, lui que l'honneur éclaire,
A l'ombre du bouclier de son propre adversaire !

Tu n'as vu qu'un démon de sa forme vêtu,

Qui tâché après sa mort d'étouffer sa vertu.

O vertu de Scévole, aux Romains si connue,

Viens, comme un beau soleil, dissiper cette nue!

Avec ce démon et ce beau soleil et le dauphin et -le char de crystal, on détruirait l'effet des plus belles choses. Ce style était pourtant celui de tous les auteurs tragiques, dans le tems même où l'on avait Cinna et les Horaces.

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Thomas Corneille du moins évita cet excès de mauvais goût, ce qui n'est pas étonnant, puisqu'il venait long-tems après les chef-d'oeuvres de son frere, et qu'il écrivait du tems de Racine. On a dit de lui qu'il aurait eu une grande réputation, s'il n'avait pas eu de frere je crois qu'on peut en douter. C'était un écrivain essentiellement médiocre, et qui ne s'est jamais élevé. Il a quelquefois rencontré le naturel ; il n'a jamais été au grand. La réputation de l'aîné n'empêcha point que plusieurs pieces du cadet n'eussent dans leur nouveauté un très-grand succès; et si elles n'ont pu se soutenir, c'est leur propre faiblesse qui les a fait tomber. Il était très-fécond et travaillait avec une extrême facilité: c'est plutôt un danger qu'un mérite, lorsqu'on n'a pas un grand talent. Dans la foule de ses ouvrages, Laodice, Théodat, Darius, la mort d'Annibal, la mort de Commode, la mort d'Achille, Bradamante, Bérénice, (ce n'est pas le même sujet que celuide Racine,) Antiochus, Maximian, Pyrrhus, Persée, ne méritent pas même d'être nommés, et tous ces noms oubliés ne se

retrouvent plus que dans les catalogues dramatiques. Timocrate n'est connu que comme un exemple de ces grandes fortunes passageres, qui accusent le goût d'un siecle, et qui étonnent l'âge suivant. Il eut quatre-vingts représentations : les comédiens se lasserent de le jouer avant que le public se lassât de le voir, et ce qui n'est pas moins ́extraordinaire, c'est que depuis ils n'aient jamais essayé de le reprendre. Quand on essaie de le lire, on ne peut imaginer ce qui lui procura cette vogue prodigieuse. Le sujet est tiré du roman de Cléo"patre, et c'est en effet une de ces aventures merveilleuses qu'on ne peut trouver que dans les romans. Le héros de la piece joue un double personnage: sous le nom de Timocrate, il est l'ennemi de la reine d'Argos, et l'assiege dans sa capitale: sous celui de Cléomene, il est son défenseur et l'amant de sa fille. Il est assiégeant et assiégé : il est vainqueur et vaincu. Cette singularité, qui est vraiment très-extraordinaire, a pu exciter une sorte de curiosité qui peut-être fit le succès de la piece,surtout si le rôle était joué par un acteur aimé du public. Au reste, cette curiosité est la seule espece d'intérêt qui existe dans cette piece, où le héros n'est jamais en danger. On imagine bien que cette intrigue fait naître beaucoup d'incidens qui ne sont gueres vraisemblables, mais qui pourtant ne sont pas amenés

sans art. Le style est celui de toutes les pieces de l'auteur: comme elles sont toutes, excepté Ariane. et le Comte d'Essex, des romans dialogués, le langage des personnages n'a pas un autre caractere. Des fadeurs amoureuses, des raisonnemens entortillés, un héroïsme alembiqué, une monotonie de tournures froidement sententieuses, une diffusion insupportable,une versification flasque et incorrecte, telle est la maniere de Thomas Corneille : il y a peu d'auteurs dont la lecture soit plus rebutante.

Camma et Stilicon, qui eurent du succès péndant long-tems, n'ont d'autre mérite qu'une intrigue assez bien entendue, quoique compliquée. Ce mérite est bien faible quand l'intrigue n'attache que l'esprit et qu'il n'y a rien pour le cœur ; et c'est le vice capital de ces deux ouvrages: ils manquent de cet intérêt qui doit toujours animer la tragédie. Il n'y a ni passions, ni mouvemens, ni caracteres ; les héros et les scélérats sont également sans physionomie : ils dissertent et ils combinent: voilà tout. Les situations étonnent quelquefois, mais n'attachent pas. C'est dans Camma que l'auteur de Zelmire a pris ce coup de théâtre qui la fit réussir ce poignard disputé entre deux personnages, qui fait douter à un troisieme lequel des deux voulait porter le coup, lequel voulait l'arrêter. Il se peut, à toute force, qu'un assassin soit capable de calculer

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