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Ce rôle me paraît dans son genre un véritable chef-d'œuvre : il y en a sans doute d'un plus vif intérêt et d'un effet plus entraînant. Il y a des passions plus fortes et des situations plus déchirantes; mais je ne connais point de caractere plus parfaitement nuancé. Le soin qu'a eu le poëte de supposer que Monime et Xipharès s'aimaient, avant que le roi de Pont eût pensé à la mettre au rang de ses épouses, écarte de ces deux amans jusqu'à l'ombre du reproche. La marche de la piece est graduée avec art, par les alternatives d'espérance et de crainte que fait naître d'abord la fausse nouvelle de la mort de Mithridate, ensuite l'offre simulée d'unir Monime à Xipharès; enfin le péril des deux amans, dont l'un est menacé de la vengeance de son pere, et l'autre est prête à boire le poison que son époux lui envoie. Le dénoûment est régulier et agréable au spectateur: Mithridate meurt en héros, et rend justice en mourant à son fils et à Monime. Tous deux sont unis, et à l'égard de Pharnace, si sa punition est différée, on sait qu'elle est sûre, et l'auteur s'est fié avec raison à la connaissance que tout le monde a de cette histoire, lorsqu'il a fait dire à Mithridate :

Tôt ou tard il faudra que Pharnace périsse:
Fiez-vous aux Romains du soin de son supplice.

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Le commentateur de Racine, que j'ai déjà cité s'exprime ainsi sur Mithridate. « Le défaut essen» tiel de cette piece est dans l'intrigue, où, quoi» qu'on en puisse dire, il se trouve deux intérêts » fort distincts; le premier est l'amour de Xipharès » et de Monime, l'autre est la haine de Mithri>> date pour les Romains et les projets de sa ven» geance. Racine, il est vrai, a su fondre ces deux » intérêts avec un art qui n'appartient qu'à lui; » mais en admirant l'adresse du poëte, on est » forcé de convenir que les projets de Mithridate » devraient faire l'unique intérêt de cette piece, » et que cet intérêt ne commence qu'au troisieme » acte, où l'on oublie alors les amours de Xipharès » et de Monime. »

Quoi que le commentateur en puisse dire, on est forcé de convenir que ces observations critiques sont autant de méprises bien lourdes. Jamais la haine de Mithridate pour les Romains n'a pu faire l'intérêt d'une piece; elle est seulement un des caracteres du héros c'est comme si l'on disait que la haine de Pharasmane pour les Romains doit faire l'intérêt de la tragédie de Rhadamisthe. Jamais le projet de porter la guerre en Italie n'a pu faire l'intérêt d'une piece. L'intérêt tient nécessairement au sujet, à l'action. Or, la

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haine pour un peuple, un projet de guerre contre
ce peuple, ne sont ni un sujet ni une action.
Le sujet est l'amour intéressant et vertueux de
Monime et de Xipharès, et le noeud de ce sujet,
le nœud de l'intrigue, est la jalousie de Mithridate.
Comment concevoir que sa haine pour les Romains,
que l'idée d'une expédition incertaine, éloignée,
puisse former un intérêt à part? Elle en répand
sur le
personnage de Mithridate, qu'elle releve de
son abaissement et de sa défaite; mais depuis
quand le simple développement d'un caractere
peut-il former un intérêt distinct, à moins qu'il
ne tienne à une seconde action? et cette seconde
action où est-elle ? Il faudrait qu'elle existât pour
faire oublier l'amour de Xipharès et de Monime
comme le dit le commentateur; mais cette scene
le fait si peu oublier, qu'elle commence le péril
des deux amans dont elle découvre l'intelligence.
Cette scene avec tant d'autres mérites, a encore
celui de nouer plus fortement l'intrigue, comme
il doit toujours arriver dans un troisieme acte :
cette scene finit par ces vers de Pharnace :

J'aime. L'on vous a fait un fidelle récit.)

Mais Xipharès, Seigneur, ne vous a pas tout dit.
C'est le moindre secret qu'il pouvait vous apprendre;
Et ce fils si fidelle a dû vous faire entendre,

Que, des mêmes ardeurs dès long-tems enflammé,
Il aime aussi la reine, et même en est aimé.

Ce mot terrible qui porte la jalousie et la rage dans le cœur de Mithridate, et jette dans un si grand danger Monime et Xipharès, ce mot est le dernier d'une scene qui, selon le commentateur, fait oublier leur amour! En vérité l'on ne sort pas d'étonnement de tout ce qu'on imprime aujourd'hui sur les auteurs classiques du siecle passé et du nôtre., Il est dit dans le Dictionnaire historique que j'ai cité à propos d'Andromaque, que Mithridate est une magnifique épithalame. On ajoute qu'un homme d'esprit a comparé l'intrigue de cette piece à celle de l'Avare. Cet homme d'esprit, c'est Voltaire, et vous avez vu' comme il les a comparées.

SECTION VI.

Iphigénie.

Le degré de succès qu'obtiennent les ouvrages de théâtre, dépend principalement du choix des sujets, et le premier élan du génie est quelquefois si rapide et si élevé que de la hauteur où il est d'abord parvenu, lui-même ensuite a beaucoup de peine à prendre un vol encore plus haut et plus hardi. Il n'y a que ces deux raisons qui puissent nous expliquer comment Racine, depuis Andromaque, offrant dans chacun de ses drames une création nouvelle et de nouvelles beautés, n'avait pourtant rien produit encore qui fût, dans son ensemble, supérieur à cet heureux coup d'essai. Il était dans cet âge où l'homme joint au feu de la jeunesse dont il n'a rien perdu, toute la force de la maturité, les avantages de la réflexion et les richesses de l'expérience. Un ami sévere à contenter, des ennemis à confondre, des envieux à punir, étaient autant d'aiguillons qui animaient son courage et ses travaux. Le moment des grands efforts était venu, et l'on vit éclore successivement deux chef-d'œuvres, qui, en élevant Racine audessus de lui-même, devaient achever sa gloire,

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