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qu'un artifice usé, qu'on retrouve dans plusieurs pieces du tems, tout aussi mauvaises. Ce n'est pas assez d'amener une situation: il faut la fonder et la préparer de maniere à produire de l'effet.

Phedre rend compte au prince du dessein de son pere, et par-là lui arrache l'aveu de sa passion pour Aricie imitation de la scene de Mithridate avec Monime. Celle de Phedre est conduite de même : c'est une mal-adroite copie d'un excellent original. La reine éclate en reproches, et prend ce moment pour lui déclarer ouvertement l'amour qu'elle a pour lui. Ce plan, puisqu'il est question de plan, est-il tolérable? Quand la Phedre de Racine se laisse emporter à une déclaration, du moins elle se croit libre, elle croit Thésée mort: ici c'est sous les yeux de Thésée, et à l'instant d'un retour qui devait la faire rentrer en ellemême! Il faut bien se garder de prendre à la lettre ce qu'on prétend que Racine disait: toute la différence qu'il y a entre Pradon et moi, c'est que je sais écrire. C'était une maniere de faire sentir de quelle importance était le style dans les ouvrages d'imagination. Il est bien vrai qu'il y a des pensées communes à l'homme médiocre et à l'écrivain supérieur; mais quand on examine les écrits de l'un et de l'autre, on voit que leurs conceptions sont aussi différentes que leurs facultés, et en

général ceux qui écrivent mal, ne pensent pas mieux

qu'ils ne s'expriment.

Phedre annonce à Hippolyte que s'il consent à l'hymen d'Aricie, elle le fera périr. Le prince effrayé se refuse aux offres de son pere, qui demeure persuadé plus que jamais que l'amour de son fils pour Phedre est la cause de ce refus. Dans un autre sujet, il y aurait une sorte d'adresse dans cette combinaison; mais ce qui la rend ici très-mauvaise, c'est que toute cette intrigue porte sur un fondement vicieux, sur la conduite effrontée de Phedre, qui, telle que l'auteur la représente, n'a ni excuse ni intérêt. On voit que ce caractere et ce sujet étaient trop au-dessus de la faiblesse de Pradon. Il y a des sujets dont l'homme le plus médiocre peut se tirer ; il y en a qu'un maître seul peut manier; et Phedre est de ce nombre. Thésée irrité se résout à bannir Hippolyte. Il dit à son confident:

Je prévois, Arcas, qu'il faudra me défaire
D'un rival insolent et d'un fils téméraire.
Je ne réponds de rien s'il paraît à mes yeux,
Et je veux pour jamais le bannir de ces lieux.

Pradon fait parler la nature aussi bien que l'amour. Phedre ne peut supporter l'éloignement d'Hippolyte, et encore moins qu'il épouse Aricie.

Toujours obstinée dans ses projets, elle veut perdre

cette princesse.

Je me suis assurée en secret d'Aricie.

Un ordre de ma part lui peut ôter la vie.

J'ai remis ma rivale en de fidelles mains.

Et tout cela se passe à côté de Thésée! quel rôle il joue pendant toute cette piece! et quel oubli de toutes les bienséances! Hippolyte inquiet de ne point voir Aricie, qui est disparue tout-à-coup, vient la demander à Phedre, mais d'un ton digne du reste de la piece.

Apprenez-moi de grace où peut être Aricie:

Je la cherche partout et ne la trouve pas.
Madame, tirez-moi d'un cruel embarras.
Vous savez l'intérêt de l'amour qui me presse:

Il faut, sans balancer, me rendre ma princesse.

Voici encore une nouvelle imitation de Racine. On se rappelle ce que dit Roxane à Bajazet, en parlant d'Atalide.

Ma rivale est ici: suis-moi sans différer.

Dans les mains des muets viens la voir expirer.

Phedre dit précisément la même chose.

Je vais faire expirer ma rivale à tes yeux.

Mais ce qui convient à Roxane est bien dégoûtant dans Phedre. Le prince se jette à ses pieds, et Thésée ne manque pas de l'y surprendre, situation que les circonstances rendent vraiment comique.

Hippolyte sort sans accuser Phedre. Alors Thésée s'adresse à Neptune, et prononce les mêmes imprécations que dans Racine. La reine touchée de la réserve et du silence d'Hippolyte, delivre Aricie au commencement du cinquieme acte; mais pour finir son rôle aussi décemment qu'elle a commencé, dès qu'elle apprend qu'Hippolyte est sorti, elle court après lui; et il faut avouer qu'elle ne pouvait pas faire moins. On vient annoncer à Thésée que la reine est montée sur son char, et qu'elle a suivi Hippolyte.

Agnès et le corps mort s'en sont allés ensemble.

On peut juger du ridicule d'une pareille situation, et de la contenance que peut faire le pauvre Thésée: c'est-là le plan qu'on voudrait que Racine eût suivi. Le récit est le même pour le fond que celui de Racine, si ce n'est qu'on n'a pas reproché à Pradon d'y avoir mis trop de poésie. Phedre s'est tuée auprès d'Hippolyte : Aricie veut en faire autant; mais Thésée ordonne qu'on l'en empêche. Cette belle production fit courir tout Paris pendant six semaines: au bout d'un an, les comédiens voulurent la reprendre; mais la mode était passée. La piece fut abandonnée; et depuis on ne l'a pas revue; mais en revanche on en a vu et revu beaucoup d'autres, qui ne valaient. pas mieux,

SECTION VIII.

Esther.

Le tems qui fait justice, mit bientôt la Phedre de Racine à sa place; mais son parti était pris de renoncer au théâtre; et même douze ans après, il ne crut pas y revenir, quand il fit pour madame de Maintenon et pour Saint-Cyr, Esther et Athalie; car Esther, malgré le grand succès qu'elle eut à Saint-Cyr, ne parut jamais sur la scene du vivant de l'auteur; et lorsqu'il imprima Athalie, il fit insérer dans le privilege une défense expresse aux comédiens de la jouer. Toutes deux ne furent représentées qu'après sa mort, et eurent alors un sort bien différent de celui qu'elles avaient eu, au moment de leur naissance. Tout semble nous avertir de ne pas précipiter nos jugemens, et rien ne peut nous en corriger.

Depuis que les représentations de 1721 eurent fait connaître tous les défauts du plan d'Esther, on s'étonna de la vogue qu'elle avait eue dans sa nouveauté, et c'est pourtant la chose du monde la plus facile à concevoir. Il faut voir chaque chose à sa place, et si le théâtre n'était pas celle d'Esther, il faut avouer qu'elle parut à Saint-Cyr dans le

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