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NOTICE

HISTORIQUE ET CRITIQUE

SUR

RICHARD III.

Si l'un des premiers buts de l'histoire est d'enseigner la philosophie par l'exemple, on conviendra que le drame. historique est l'un de ses meilleurs auxiliaires. Les sujets de ce genre de composition ne sont pas tirés des fables du paganisme, ou, si l'on veut, de la mythologie classique; on n'y voit pas l'homme aux prises avec le Destin, à la puissance duquel ses vertus et les divinités qui le protègent ne peuvent le soustraire. Nous y apprenons, au contraire, à connaître les suites fatales de l'orgueil et de l'ambition, les dangers auxquels les tyrans sont exposés, et le sort réservé à la trahison, à l'immoralité et au vice. Devant nous se déroule le tableau des passions, des intérêts, des mœurs; la puissance et les charmes du langage poétique, prêtant une nouvelle force à l'autorité de l'histoire, gravent ces leçons, dans notre cœur, en caractères ineffaçables.

Le genre des pièces historiques ouvrit à Shakspeare un vaste champ, où son immense talent put se déployer en liberté. Il excellait dans la peinture des passions et des caractères; cette admirable faculté fut pour lui d'un grand avantage quand il eut à représenter sur la scène les chefs des guerres civiles d'Angleterre. L'illustre Warwick, le cardinal Beaufort, Humphrey duc de Glocester, le vaillant Hotspur, objets chers à leurs compatriotes, tout ce qui servait à les montrer dans leur vrai jour, et à les représenter avec les caractères et les passions 1

T. III.

que leur donne l'histoire, suffisait pour captiver l'attention du spectateur, et concourait à produire cette illusion générale, qui avait sa source dans un vif intérêt emprunté à l'histoire ellemême. Le sort malheureux d'un étranger nous touche; nous déplorons la destinée d'OEdipe, les infortunes d'Hécube; mais, les actions d'un personnage ordinaire ne nous intéressent qu'autant que nous sommes dominés par une influence plus puissante qu'un simple sentiment d'humanité.

Dans le temps où écrivait Shakspeare, le souvenir des guerres d'York et de Lancastre était encore présent à la mémoire du peuple. Chacun pouvait se rappeler d'en avoir entendu le récit du Nestor de sa famille. La Rose rouge ou la Rose blanche se partageaient les affections des spectateurs, dont les uns avaient perdu des parents ou des amis qui en faisaient partie; d'autres s'étaient élevés et enrichis au milieu des divisions sanglantes qu'elles rappelaient.

Comme les malheurs des peuples, aussi bien que ceux des hommes en particulier, ne sont souvent que la conséquence de leurs fautes, de leurs institutions, de leurs préjugés et de leurs vices, les drames nationaux sont admirablement propres à leur servir d'enseignement. Voilà pourquoi, en Angleterre, Henri V et Percy plaisent et captivent bien plus que les personnages des tragédies grecques, qui, uniquement fondées sur leur mythologie, ne conviennent nullement au spectateur moderne. L'amour de Phèdre et la mort d'Hippolyte, causés par la vengeance de Vénus et la colère de Neptune, ne sont qu'une fiction pour le public. Là où il cesse de croire, là aussi s'arrête l'intérêt. C'est ce qui fait que la tragédie de Richard III est une des pièces les plus populaires du théâtre anglais. Quoiqu'elle soit intitulée La Vie et la Mort de Richard, elle ne comprend pourtant que les huit dernières années de sa vie; car, elle commence par l'emprisonnement de Georges, duc de Clarence, dans la Tour, qui eut lieu au commencement de l'année 1477, et finit à la mort de Richard, dans la plaine de Bosworth, où se donna la bataille du 22 août 1485, la dernière et la plus meurtrière de celles que se livrèrent les maisons d'York et de Lancastre. Ses conséquences immédiates furent l'abolition de la corvée, le renversement du système féodal, et le développement du commerce et de l'industrie, qui prirent dèslors un plus grand essor.

Il est bon cependant de faire observer qu'on a attribué à Richard III plusieurs crimes auxquels il était étranger, ce qui explique, sans la justifier, l'idée bizarre qu'ont eue Horace Walpole et d'autres écrivains de chercher à réhabiliter sa mémoire. Mais, laissons de côté la critique historique, nous n'avons à nous occuper ici que du Richard de Shakspeare.

Avant que Shakspeare eût fait paraître ce drame, plusieurs autres avaient été composés sur le même sujet. Ainsi, André Wise en avait déjà présenté un à la chambre des libraires, le 20 octobre 1597, sous le titre de Tragédie du roi Richard III, avec la mort du duc de Clarence. Avant ce temps (le 15 août 1586), on avait publié, sous la forme d'une ballade, un Récit tragique du roi Richard III. Il est nécessaire de faire remarquer que les mots chanson, ballade, interlude, pièce dramatique, étaient souvent employés comme synonymes. Cette pièce fut probablement écrite vers 1593. La Légende du roi Richard III, par Francis Seagars, fut imprimée dans la première édition du Miroir des Magistrats, en 1559, et dans celles de 1575 et 1586; il ne parait pas que Shakspeare lui ait rien emprunté. Dans une édition subséquente de ce livre, imprimée en 1610, la vieille légende fut omise; une nouvelle, par Richard Niccols, y fut insérée. Cet auteur avait littéralement copié la pièce de Shakspeare, que nous avons sous les yeux; en effet, lorsqu'en 1595 cette tragédie 'fut publiée, Niccols, comme l'a fait observer Warton, n'avait que 13 ans. Le savant Thomas Morus, dans Richard le Bossu, rapporte les histoires que l'on racontait sur la monstrueuse difformité de ce prince, difformité qu'il paraît regarder comme un présage de la cruauté et de la barbarie dont il fit preuve par la suite. Shakspeare, avec plus de raison et de philosophie, la considère non comme présageant, mais comme excitant sa cruelle ambition; il explique sa méchanceté et son violent désir de domination, par l'irritation et le dépit de ne pouvoir goûter tous les mêmes plaisirs que les autres hommes.

Monarque politique, esprit fort, guerrier, amant, pécheur et dévot, Richard varie son langage selon ses divers caractères. Le style de cette tragédie est, du reste, assez simple, et offre peu de ces subtilités qui défigurent quelquefois les plus belles scènes de Shakspeare.

La pièce que l'on représente au théâtre diffère essentielle. ment de la pièce écrite. Le goût sévère de notre siècle ne souf

frirait pas le bavardage des enfants de Clarence, les longueurs fatigantes de quelques scènes entre les femmes, ni plusieurs autres défauts presque inséparables de ce genre de composition. Mais, on voit en même temps, avec peine, les plus beaux morceaux de Shakspeare mutilés, et quelques-unes de ses plus admirables scènes, telles que celle du rêve de Clarence, disparaître entièrement. D'un autre côté, Colley Cibber a inséré dans sa nouvelle pièce, plusieurs passages de la troisième partie de Henri VI, qui servent si bien à faire connaître l'esprit infernal de Richard III, comme on peut en juger par la scène suivante où ce dernier assassine Henri VI dans la Tour.

« Le roi Henri. Ah! tue-moi de ton épée et non de tes paroles! La pointe de ton poignard sera moins douloureuse pour mon sein, que ce tragique récit n'est pénible à mes oreilles ! Mais, quel est ton dessein? viens-tu pour m'ôter la vie? Me prends-tu pour un bourreau?

Glocester.

Le roi Henri.

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Je te connais pour un barbare: mettre à mort des innocents est l'office d'un bourreau; tu en es un. Glocester. J'ai tué ton fils pour le punir de son audace. Le roi Henri. Si l'on t'avait tué quand tu te rendis coupable d'une première insolence, tu n'aurais pas vécu pour être son assassin. Oui, je te le prédis, l'heure fatale où tu vins au monde, sera maudite par des milliers de malheureux, qui ne soupçonnent pas, dans ce moment, la moindre partie de mes craintes; par plus d'un vieillard affligé, d'une veuve en deuil, d'un orphelin dans les larmes, tous condamnés à pleurer la mort prématurée, les pères celle de leurs enfants, les femmes celle de leurs époux, les orphelins celle de leurs parents. Quand tu vis le jour, le hibou fit entendre son cri de funeste présage; le corbeau croassa, signe évident d'un avenir désastreux; les chiens hurlèrent; une tempête épouvantable déracina les arbres; la corneille se percha sur le haut de la cheminée, et les pies babillardes effrayèrent les cœurs de leurs cris discordants. Ta naissance causa à ta mère des douleurs plus cruelles que les douleurs ordinaires de l'enfantement; et bien loin de répondre à ses espérances, tu ne lui offris qu'une masse informe, qu'un fruit monstrueux, indigne d'une tige aussi belle. Tu naquis, la bouche déjà armée de dents, comme pour annoncer au monde que tu venais le déchirer; et, si tout ce qu'on m'a dit est vrai, tu vins.....

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