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assez noble pour lui donner le courage de résister à ses volontés.

La scène entre Richard et Anne est une de celles qui présentaient le plus de difficultés : sa conception pourrait même être regardée comme une témérité. Il semble, en effet, assez improbable que Richard, difforme et d'un aspect repoussant, fasse une déclaration d'amour à la veuve d'un prince jeune, brave, plein d'aimables qualités, dont il a été l'assassin, et cela au moment même qu'elle accompagne le convoi funèbre de son époux et qu'elle exprime toute la violence de sa haine contre l'auteur de ses malheurs.

Pour bien comprendre cette scène, il ne faut pas perdre de vue le caractère de lady Anne. Shakspeare nous la représente comme une femme légère, irréfléchie, incapable d'un sentiment profond et durable, sans principes de vertu, gouvernée par la vanité, sa passion dominante, accessible à toutes les impressions, et s'y abandonnant sans réflexion. Richard connaît parfaitement le caractère faible de lady Anne, et la conduite qu'il tient envers elle décèle une grande habitude du cœur humain. Il sait que ses passions sont violentes, mais qu'elles n'ont que peu de durée. Il commence donc par exciter sa colère au plus haut degré, en interrompant brusquement la marche du cortége funèbre : sa froide impassibilité, le calme qu'il affecte, ne font qu'irriter davantage lady Anne, qui exhale sa haine dans les termes les plus violents.

Ce premier mouvement passé, elle devient plus calme, et Richard saisit ce moment pour se justifier. Il s'y prend avec un art infini s'il convient de ses crimes, c'est uniquement pour la convaincre de sa franchise et de sa sincérité. Puis, il a recours à la flatterie, et le langage qu'il tient est celui qu'il sait devoir produire le plus d'effet sur le cœur d'une femme vaine et coquette. S'il a tué son époux, ce n'est ni par haine, ni par aucun motif personnel de vengeance; c'est l'amour, l'amour seul qui l'a rendu coupable. - «Votre beauté en fut la cause, etc. >>

Quant à Marguerite, M. Guizot a dépeint avec tant de supériorité son caractère, que nous ne croyons pouvoir mieux faire que de lui emprunter le passage suivant :

« Une idée domine toute la pièce, c'est celle de la juste punition des crimes qui ont ensanglanté les querelles de York et

de Lancastre. Exemple et organe à la fois de la colère céleste, Marguerite, par les cris de sa douleur, appelle sans cesse la vengeance sur ceux qui ont commis tant de forfaits, sur ceux même qui en ont profité; c'est elle qui leur apparaît quand cette vengeance les atteint; son nom se mêle à l'effroi de leurs derniers moments; c'est sous sa malédiction qu'ils croient succomber, autant que sous les coups de Richard, sacrificateur du temple sanglant dont Marguerite est la sibylle, et qui lui-même tombera dernière victime de l'holocauste, emportant avec lui tous les crimes qu'il a vengés, et tous ceux qu'il a commis. >>

Le grand poète dramatique anglais a tracé deux caractères très - frappants, celui de Macbeth et celui de Richard III. Les qualités qui constituent ces deux personnages, dans le drame consacré à chacun d'eux, ont une coïncidence remarquable. Tous deux, à l'ouverture de la scène, sont animés de la même ambition coupable; tous deux, dans le cours du drame, sont meurtriers de leur souverain légitime, et tous deux, à la fin, sont défaits et tués dans une bataille. Cependant, ces deux personnages, si ressemblants dans certaines circonstances, sont aussi fortement distingués par l'art du poète, dans toutes les scènes de leur vie dramatique, que deux hommes l'ont jamais été par la main de la nature.

Duncan, roi d'Écosse a deux fils; Edouard IV d'Angleterre en a deux aussi; mais, ces deux rois et leurs héritiers respectifs n'ont pas pour les usurpateurs, Macbeth et Richard, le même degré d'affection; car le dernier est prince du sang royal, frère du roi et le plus près du trône, après la mort de son frère aîné, le duc de Clarence; Macbeth, au contraire, n'est point dans la ligne de succession, et n'a aucune perspective de devenir roi. Ses vues étaient donc plus éloignées et hors de toute espérance. Il faut un plus grand concours de circonstances pour le tenter et pour l'encourager à une entreprise si fort au-dessus de la perspective de ses espérances. L'art du poète lui fait imaginer ces circonstances; les moyens qu'il emploie pour les faire naître sont ceux d'un génie surnaturel et prodigieux.

Richard a commis plusieurs meurtres; les uns pour arriver au pouvoir, les autres après qu'il a été assis sur le tròne. La férocité et l'hypocrisie sont les traits dominants de son caractère; comme il n'a à combattre ni principes d'honneur ni principes

d'humanité, le poète n'a pas la ressource de développer ccs secrets ressorts de la conscience, qu'il a si naturellement fait agir dans le caractère de Macbeth.

Ce dernier paraît d'un effet plus dramatique que Richard qui, dès les premières scènes, se montre sous les traits de la perfidie, par l'heureuse hypocrisie qu'il emploie envers Anne, et qui met ensuite à découvert une cruauté sans remords et sans réserve. C'est un ami dangereux, un ennemi déterminé qui ne souffre ni retard, ni interruption. La cruauté de son cœur ne laisse point de place au remords et n'a pas besoin d'être sollicitée au crime. Ici, il n'y a point de dignus vindice nodus; en effet, il n'y a aucun nœud; car Richard est déjà familiarisé avec le meurtre. L'ambition est sa passion dominante; une couronne, voilà ce qu'il a en vue; et, dès son entrée en scène, il dit : « Je suis déterminé à être un scélérat. »

On voit donc aussitôt un personnage formé et complètement préparé pour l'exécution sauvage de tous les moyens du drame:

Impiger, iracundus, inexorabilis, acer.

Les obstacles que pourrait lui opposer la conscience sont renversés; l'âme, fortifiée contre la honte, avoue sa propre perversité. «< Intrigues, machinations dangereuses, j'ai mis tout en usage, dit-il, pour exciter entre mon frère Clarence et le roi une haine implacable et mortelle. »

Il ne met point de gradation dans le crime; il ne fait paraître aucune hésitation; il n'a recours à aucun raffinement; il se plonge dans le sang avec toute la facilité d'une longue habitude et il donne ordre à ses assassins de tuer son frère Clarence avec toute la froide tranquillité d'un Néron ou d'un Caligula. Richard, n'ayant aucun scrupule qui le retienne, est exactement le type que le poète dramatique Diphilus a représenté avec cette admirable simplicité d'expression :

« Le misérable qui connaît ses viles actions, et qui, cepen>> dant, n'a pas peur de lui-même, comment craindrait-il un >> autre qui ne les connaît pas? >>

La peinture de ce caractère a du fournir à Milton quelquesuns des traits les plus saillants du portrait de Satan. On retrouve dans ces deux personnages la même dépravation, alliée à cette même puissance intellectuelle, qui, seule, peut diminuer à nos yeux l'horreur qu'ils nous inspirent.

L'intrigue de cette pièce est presque nulle; Richard seul y joue un rôle important. Le poète nous le représente comme réunissant en sa personne toutes les difformités du corps, et tous les vices qui peuvent dégrader la nature humaine. Ses vices ne sont déguisés ni palliés par aucune vertu : ils se montrent dans leur hideuse nudité. Sa méthode ordinaire est de payer des scélérats pour exécuter ses ordres sanguinaires; il n'y a rien qui distingue particulièrement les scènes où il leur communique ses desseins et leur donne ses instructions. Il ne recourt même pas à de grands ménagements avec Tirrel, qui n'est pas un assassin de profession,, et qui passe pour être un gentilhomme dont l'humble situation n'égale pas ses hautes prétentions. Dans une pareille position, il n'était pas besoin que Richard employât beaucoup de circonlocutions et qu'il parût craindre de l'hésitation, encore moins un refus ou une indiscrétion.

« Richard.

Tirrel.

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Richard.

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Tirrel.
Richard.

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Jacques Tirrel, votre très-obéissant serviteur. - L'es-tu en effet?

Mettez-moi à l'épreuve, mon gracieux lord.

Oserais-tu te résoudre à tuer un de mes amis? Tirrel. Si vous le vouliez, je tuerais plutôt deux ennemis. Richard. - Eh bien oui, deux ennemis profonds; deux ennemis qui troublent mon repos et la douceur de mon sommeil. Je voudrais les voir tomber sous tes coups. Tirrel, ce sont les deux batards qui sont à la Tour.»

Shakspeare regardait comme une chose trop importante l'obligation de soutenir les caractères, pour la sacrifier jamais à la vanité de l'écrivain; avec quelle circonspection et par quels degrés le roi Jean s'ouvre à Hubert, dans une situation semblable à celle de Richard; la scène où il représente Jean, prince timide et scrupuleux, aurait été mal assortie au caractère de Richard. La stricte observation de la nature est la première qualité du poète dramatique, et celle que nous nous plaisons le plus à admirer dans Shakspeare.

Combien d'incidents le poète n'a-t-il pas réunis dans la scène qui se passe dans la tente de Richard, pour faire ressortir l'esprit militaire de son personnage principal sous un brillant point de vue. Une suite d'espions et de messagers lui viennent apporter une infinité d'avis qui, presque tous, sont de la nature la plus alarmante, mais qu'il reçoit avec sa bravoure natu

relle, quelquefois même avec des plaisanteries et une certaine finesse de reparties qui se font remarquer dans tout le drame.

Ce n'est pas seulement une tâche intéressante, c'est aussi une tâche très-agréable que d'examiner avec quelle touche subtile et presque imperceptible, Shakspeare sait donner à ses caractères la plus vive ressemblance qu'on puisse imaginer. En cela, il a atteint une perfection à laquelle les autres poètes ne sont jamais parvenus. Tout poète peut décrire les grandes passions qui se distinguent l'une de l'autre; mais Shakspeare nous montre les hommes avec leurs moindres faiblesses, et ces petits mouvements, et ces caprices qu'une longue familiarité peut seule mettre au jour. Les autres auteurs tracent des caractères en historiens; lui, peint ses personnages comme le ferait un ami intime. Les extraits suivants fourniront un exemple de ce que nous venons de dire. Ratcliff informe Richard qu'on a aperçu sur la côte occidentale une flotte qu'on croit être du parti de Richemond.

« Richard.-Qu'on dépêche au plus vite quelque courrier zélé et diligent vers le duc de Norfolk. Toi-même, Ratcliff, ou Catesby; où est-il ?

Catesby. Me voilà, monseigneur.

Richard.

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Catesby, vole vers le duc.

Catesby. J'y vais, seigneur, avec toute la diligence qui convient.

Richard. à Catesby.)

Ratcliff, viens ici. Va à Salisbury. ( S'adressant Tu es encore ici, homme stupide, sans mémoire, scélérat, tu n'es pas encore allé vers le duc ? Catesby. Mon souverain, que dirai-je au duc de la part de votre majesté?

Richard. Ah! c'est vrai, bon Catesby. >>

Il est inutile de faire remarquer la finesse ou la beauté de cette expression: bon Catesby. Peut-on être surpris qu'un pareil poète nous fasse aimer même ses personnages scélérats? « Ratcliff. Que voulez-vous, seigneur, que j'aille faire à Salisbury?

Richard. - Et qu'y ferais-tu avant que j'y sois arrivé?

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Ces touches fines ne peuvent échapper à l'homme qui épie

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