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étant des actes religieux, des fêtes solennelles en l'honneur des dieux de la Grece, le poëte ne pouvait rien faire de plus agréable pour ces peuples, que de mêler ensemble les noms des dieux qui avaient fondé ces jeux et ceux des athletes qui venaient d'y triompher. Il consacrait ainsi la louange des vainqueurs en la joignant à celle des immortels, et il s'emparait avidement de ces fables si propres à exciter l'enthousiasme lyrique et à déployer les richesses de la poésie. On ne peut nier, en lisant Pindare dans le grec, qu'il ne soir prodigue de cette espece de trésors qui semblent naître en foule sous sa plume. Il n'y a point de diction plus audacieusement figurée. Il franchit toutes les idées intermédiaires, et ses phrases sont une suite de tableaux dont il faut souvent suppléer la liaison. Toutes les formules ordinaires qui joignent ensemble les parties d'un discours, ne se trouvent jamais dans ses chants: d'où l'on peut conclure que les Grecs, qui avaient une si grande admiration pour ce poëte, étaient bien éloignés d'exiger de lui cette marche méthodique que nous voulons trouver plus ou moins ressentie dans toute espece d'ouvrages; ce tissu plus ou moins caché qui ne doit jamais nous échapper, et que notre prétendu désordre lyrique n'a jamais rompu, Les Grecs, beaucoup plus sensibles que nous à la

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poésie de style, parce que leur langue était élémentairement plus poétique, demandaient surtout au poëte des sons et des images, et Pindare leur prodiguait l'un et l'autre. Quoique les graces particulieres de la prononciation grecque soient en partie perdues pour nous, il est impossible de n'être pas frappé de cet assemblage de syllabes toujours sonores, de cette harmonie toujours imitative, de ce rythme imposant et majestueux qui semble fait pour retentir dans l'Olympe. Quelque difficulté qu'il y ait à conserver dans notre versification une partie de ces avantages, le desir que j'ai de donner au moins quelque idée de la marche de Pindare, m'a engagé à essayer de traduire le commencement de la premiere Pythique. Cette ode fut composée en l'honneur d'Hiéron, roi de Syracuse, vainqueur à la course des chars dans les jeux pythiens, c'est-à-dire, dont le cocher avait remporté la victoire. Mais les Grecs étaient si passionnés pour ces sortes de spectacle, qu'on ne pouvait trop célébrer à leur gré celui qui avait su se procurer le cocher le plus habile et les chevaux les plus légers. Voici le début de Pindare.

Doux trésor des neuf Sœurs, instrument du génie,
Lyre d'or qu'Apollon anime sous ses doigts,
Mere des plaisirs purs, mere de l'harmonie,
Lyre, soutiens ma voix.

Tu présides au chant, tu gouvernes la danse.
Tout le chœur attentif et docile à res sons,
Soumet aux mouvemens marqués par ta cadence,
Ses pas et ses chansons.

L'Olympe en est ému: Jupiter est sensible;
Il éteint les carreaux qu'alluma son courroux.
Il sourit aux mortels, et son aigle terrible
S'endort à ses genoux.

Il dort, il est vaincu : ses paupieres pressées
D'une humide vapeur se couvrent mollement.
Il dort, et sur son dos ses ailes abaissées,
Tombent languissamment.

Tu fléchis des combats l'arbitre sanguinaire ;
Ses traits ensanglantés échappent de ses mains.
Il dépose le glaive et promet à la Terre
Des jours purs et sereins.

O lyre d'Apollon, puissance enchanteresse !
Tu soumets tour-à-tour et la Terre et les cieux.
Qui n'aime point les arts, les Muses, la sagesse,
Est ennemi des dieux.

Tel est ce fier géant, dont la rage étouffée,
D'un rugissement sourd épouvante l'enfer,
Ce superbe titan, ce monstrueux Typhée,
Qu'a puni Jupiter.

Le tonnerre frappa ses cent têtes difformes.
Sous l'Etna qui l'accable il veut briser ses fers:
L'Etna s'ébranle, s'ouvre, et des rochers énormes
Vont rouler dans les mers.

Ce reptile effroyable enchaîné dans le gouffre,
Et portant dans son sein une source de feux,
Vomit des tourbillons et de flamme et de soufre
Qui montent dans les cieux.

Qui

Qui pourra s'approcher de ces rives brûlantes?
Qui ne frémira pas de ces grands châtimens,
Des tourmens de Typhée et des roches

Qui déchirent ses flancs?

perçantes

J'adore, ô Jupiter, ta puissance et ta gloire!

Tu regnes sur l'Etna, sur ces fameux remparts
Elevés par ce roi qu'a nommé la Victoire

Dans la lice des chars.

Hiéron est vainqueur, son nom s'est fait entendre, etc.

Telle est la marche de Pindare. D'une invocation aux Muses, d'un éloge de leurs attributs, ouverture très-naturelle dans le sujet qu'il traitait, il passe tout d'un coup à la peinture de Typhée écrasé sous l'Etna, sous prétexte que Typhée est ennemi des Dieux et des Muses. C'est s'accrocher à un mot, et une pareille digression ne nous paraîtrait qu'un écart mal déguisé. Peut-être les Grecs n'avaient-ils pas tort d'en juger autrement. C'est d'Hiéron qu'il s'agissait : Hiéron régnait sur Syracuse et sur l'Etna. Il avait bâti une ville de ce nom près de cette montagne; il fallait bien en parler; et comment nommer l'Etna sans parler de Typhée ? C'eût été une mal-adresse dans un poëte lyrique, de refuser une description aux Grecs, qui aimaient prodigieusement la poésie descriptive, Ils étaient, à cet égard, à peu près dans la même disposition que nous portons à l'opéra, où les Cours de littér. Tome II. G

ballets nous paraissent toujours assez bien amenés quand les danses sont bonnes. Nous ne sommes pas à beaucoup près si indulgens pour les vers. Les vers parmi nous sont jugés surtout par l'esprit, par la raison'; chez les Grecs, ils étaient jugés davantage par les sens, par l'imagination, et l'on sait combien l'esprit est un juge inflexible, et combien les sens sont des juges favorables.

La poésie eut le sort de Pandore.
Quand le génie au ciel la fit éclore,
Chacun des arts l'enrichit d'un présent.
Elle reçut des mains de la Peinture,
Le coloris, prestige séduisant,

Et l'heureux don d'imiter la nature.

De l'Éloquence elle eut ces traits vainqueurs,
Ces traits brûlans qui pénetrent les cœurs.
A l'Harmonie elle dut la mesure,
Le mouvement, le tour mélodieux,
Et ces accens qui ravissent les dieux.
La Raison même à la jeune immortelle
Voulut servir de compagne fidelle ;
Mais quelquefois, invisible témoin,
El'e la suit et l'observe de loin.

C'est ainsi que s'exprime M. Marmontel dans son Epitre aux Poëtes. On ne peut employer mieux l'imagination pour donner un précepte de goût. Mais parmi nous, il faut le plus souvent que la

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