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que Regnard doit à Plaute; il lui a pris aussi quelques situations; mais les siennes sont en général plus fortes, plus piquantes et plus variées. Dans Plaute, l'un des deux Ménechmes, qui a été enlevé à ses parens dans son enfance, vient dans Athenes, où son frere a une maîtresse, c'est-à-dire, une courtisane: il n'y en a point d'autres sur les théâtres anciens. Il arrive au moment où Ménechme le citadin vient de donner à sa maîtresse une belle robe qu'il a prise à sa femme, et lui a promis, en la quittant, de revenir dîner chez elle. Un moment après, cette femme croit l'apercevoir sur la place, et vient demander à Ménechme l'étranger pourquoi il se fait attendre et n'entre pas, puisqu'il n'a rien à faire. C'est précisément la scene de Regnard, lorsqu'Araminte et sa suivante attaquent Ménechme le provincial. Mais quelle différence d'exécution! Celui de Plaute, après s'être défendu quelque tems, finit par se prêter à la méprise, attendu, dit-il, qu'il n'a rien de mieux à faire que d'accepter un bon dîner qui ne lui coûtera rien. Il feint d'avoir voulu plaisanter, et la cour tisane, qui commençait à s'impatienter, lui remet alors cette même robe qu'elle croit avoir reçue de lui, et le prie de la porter chez le tailleur pour y faire mettre quelques agrémens. Remarquons en

passant, que la nomenclature des ajustemens de femmes paraît avoir été alors tout aussi savante et tout aussi étendue qu'aujourd'hui. Voici quelquesuns des noms que les Athéniennes donnaient à leurs habillemens: la transparente, l'épi de blé, le petit linge blanc, l'intérieure, la diamantée, la jaune de souci, la basilique, l'étrangere, la vermillone, la meline, la cérine, la plumatile, etc. Il est clair les marchandes de modes d'Athenes avaient l'esprit aussi inventif que celles de Paris : cet article méritait bien une petite digression.

que

Ménechme l'étranger prend la robe, mange le dîner, et emporte encore des bijoux qu'on le charge de porter chez le jouaillier pour les raccommoder. Il dit à son valer, qu'il a trouvé une bonne dupe. Toute cette conduite n'est pas fort délicate dans un homme qu'on ne donne pas pour un escroc; et de plus, elle est fort peu comique. C'est dans Regnard qu'il faut voir la fureur également risible de Ménechme le campagnard, qui croit que deux friponnes veulent le duper, et d'Araminte et de sa suivante qui se voient insultées et méprisées. C'est là que la gaieré est portée à son comble quand Araminte a recours aux larmes pour attendrir celui qu'elle prend pour un infidele, et que le campagnard, poussé hors de toute mesure et

ne sachant plus de quoi s'aviser pour se délivrer d'un pareil fléau, la conjure et l'exorcise, comme on exorcise les démons et les possédés,

Esprit, démon, lutin, ombre, femme ou furie,
Qui que tu sois enfin, laisse-moi, je te prie.

C'est là ce qui s'appelle approfondir une situation :
Plaute n'a fait que l'indiquer et l'effleurer.

Il n'a marqué aucune nuance dans le caractere de ses deux Ménechmes: Regnard au contraire s'est avisé très-ingénieusement de faire de l'un des deux. un homme grossier et brusque, moyen sûr de rendre bien plus vives les scenes de méprises. En joignant ce qu'il a d'humeur avec ce qu'on lui en donne d'ailleurs, il y a de quoi le rendre fou. Aussi ne dit-il pas un mot qui ne soit caractérisé. Dans Plaute, quand Ménechme l'étranger parle du vaisseau sur lequel il est venu à Athenes : «Eh » bons dieux! dit la courtisane, de quel vaisseau » me voulez-vous parler? Mén. Un vaisseau de » bois, qui depuis long-tems met à la voile, » vogue, jette l'anere, se radoube et reçoit bien » des coups de marteau. C'est comme la boutique d'un pelletier; une piece y joint l'autre, » Ce n'est là de la bouffonnerie. Regnard a pourtant imité cet endroit, mais en le corrigeant. Ménechme

que

le campagnard parle aussi du coche qui l'a amené

à Paris.

Mais de quel coche ici me voulez-vous parler? -
Du coche le plus rude où mortel puisse aller ;
Et je ne pense pas que de Paris à Rome,

Un coche, quel qu'il soit, cahote mieux son homme.

Voilà le ton de l'humeur, et cette réponse est de caractere.

On ne finirait point si l'on voulait épuiser ces sortes de paralleles, dont il suffit de présenter l'idée pour marquer la différente maniere des deux auteurs. Le goût dans les choses d'esprit est une espece de sens tout aussi délicat que les autres it suffit de l'avertir, et il faut craindre de le rassasier.

Ceux qui cherchent des sujets d'opéras comiques, pourraient en trouver un dans la piece intitulée Casine, l'une des plus gaies de Plaute. C'est un vieillard amoureux d'une jeune orpheline élevée chez lui, qu'il veut faire épouser à un de ses esclaves, à condition qu'en bon valet il en fera les honneurs à son maître. C'est précisément le marché que le comte Almaviva propose à Susanne dans les Noces de Figaro, si ce n'est que l'esclave est plus accommodant que la camariste. La femme du vieillard, instruite de toute cette menée,

protége un autre esclave, à qui elle veut aussi faire épouser la jeune personne. Après bien des débats entre le mari et la femme, on convient de s'en rapporter au sort. Le confident du vieillard gagne; mais on se réunit pour duper le vieux débauché, et au lieu de la jeune épousée, il trouve un esclave robuste qui le traite fort rudement. Ce dénoûment est du genre de la farce; mais nous en avons plus d'un exemple, même au théâtre français, qui, comme on sait, se permet quelquefois de déroger.

Térence n'a pas un seul des défauts de Plaute, si ce n'est cette teinte d'uniformité dans les sujets, qu'il n'a pu faire disparaître entiérement, mais qu'il a du moins effacée, autant qu'il était possible, sur un théâtre où il ne lui était pas permis d'établir une intrigue avec une femme libre. Il ne pouvait, comme Plaute, donner à ses jeunes gens que des courtisanes pour maîtresses. Qu'a-t-il fait ? Il a trouvé le moyen d'annoblir cette espece de personnages, de maniere à y répandre une sorte d'intérêt. Il suppose ordinairement que ce sont des enfans enlevés à leurs parens, et vendus par fraude ou par accident. Leur naissance est reconnue à la fin de la piece, dénoûment qui ne contredit rien de ce qui précede, parce que l'auteur ne leur donne que des mœurs honnêtes et une passion

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