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plus, Harpagon est riche et connu pour tel; ce qui rend son avarice plus odieuse et moins excusable. Euclion est pauvre, et est à peu près dans le cas du savetier de Lafontaine, à qui ses cent écus tournent la tête. Euclion, depuis qu'il a trouvé un trésor, n'est occupé qu'à le garder. Il est dans des transes continuelles, et se refuse tout, de peur qu'on ne se doute de sa bonne fortune. Ce tableau est vrai, et tous les traits en sont frappans. Euclion ouvre la scene comme dans Molière, en querellant sa servante, parce qu'il imagine qu'elle se doute du trésor, et qu'elle cherche à le voler. Il répete sans cesse qu'il est pauvre, ce qui est fort bien; mais Harpagon dit la même chose, ce qui est encore mieux, parce qu'on sait le contraire. Euclion met sa servante dehors pendant qu'il va dans l'intérieur de sa maison faire la visite de son trésor. Il est obligé de sortir, quoiqu'à regret, et il en a une bonne raison, c'est qu'il va à une assemblée du peuple où l'on distribue de l'argent. Il ne faut rien moins pour faire sortir un avare. Obligé de laisser sa servante pour garder la maison, il lui défend d'ouvrir à personne, pas même à la fortune si elle se présentait. J'en serais bien étonnée dit la servante. Elle ne nous a jamais rendu visite. Euclion. Fais bonne garde. La Serv. Et que voulez

Vous

vous que je garde? Il n'y a chez vous que des toiles d'araignées. Euclion. Je veux qu'il y en ait. Je te défends de les balayer. Je reviens dans le moment: ferme ta porte aux verroux, et n'ouvre à qui que ce soit. Eteins le feu, de peur qu'on ne t'en demande. Tu es morte si je ne trouve pas le feu éteint. Si l'on vient te demander du feu, dis que nous n'en avons pas. Si l'on vient te demander un couteau, un mortier, un couperet, quelqu'un des ustensiles que les voisins ont coutume d'emprunter, dis que voleurs ont tout emporté.

les

Tous ces traits ont de la vérité; mais en voici qui sont outrés et hors de nature. On dit d'Euclion, qu'il se plaint qu'on le pille quand la fumée de ses tisons sort de chez lui; qu'en dormant il se met un soufflet dans la bouche pour ne pas perdre sa respiration; qu'il ramasse les rognures de ses ongles, etc. C'est passer le but. De même, lorsqu'après avoir examiné les deux mains d'un esclave, il dit: voyons la troisieme, il blesse la vraisemblance. Euclion qui n'est pas fou, sait bien qu'on n'a que deux mains. Moliere a pourtant profité de ce trait; mais comment? Harpagon, après avoir vu une main, dit : l'autre ; et après avoir vu la seconde il dit encore: l'autre. Il n'y a rien de trop, parce que la passion peut lui faire oublier qu'il en a vu Cours de littér. Tome II.

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deux; mais elle ne peut pas lui persuader qu'on en a trois. Le mot de Plaute est d'un farceur, celui de Moliere est d'un comique.

Un voisin riche vient demander la fille d'Euclion en mariage. Il croit d'abord qu'on a flairé le trésor, mais on offre de la prendre sans dot, et cela le rassure. On sait quel parti Moliere a tiré de ce mot sans dor, qui lui a fourni une des meilleures scenes de sa piece. Le gendre d'Euclion envoie des cuisiniers chez lui, en son absence, pour préparer le repas de nôces, et fait porter toutes les provisions et tous les instrumens de cuisine. Euclion de retour jette des cris horribles, bat les cuisiniers, les met dehors, et garde tout ce qu'on a apporté. Fort bien; mais j'aime encore mieux l'idée du poëte français, qui, faisant son avare amoureux, a mis aux prises les deux passions qui vont le plus mal ensemble. La perfection du comique, c'est de mettre le caractere en contraste avec la situation. Rien n'est si divertissant que les angoisses d'un avare qui se croit obligé de donner à dîner à sa prétendue, et qui voudrait bien ne pas dépenser beaucoup d'argent. Ce sont là de ces momens où le poëte peut prendre la naturé sur le fait; et quel auteur y a réussi comme Moliere?

Enfin, le trésor d'Euclion est découvert et volé

par un esclave, et il se trouve en même tems que sa fille a été violée par celui qui veut l'épouser. Euclion ignore ce dernier incident, et n'est occupé que de son trésor lorsque l'amant de sa fille vient lui demander pardon de son attentat; en sorte que tout ce que l'un dit de la fille violée, est appliqué par l'autre au trésor emporté, méprise plaisante et théâtrale, dont Moliere a bien connu la valeur; mais substituant un moyen plus honnête, il a supposé que le jeune homme qui aime la fille d'Harpagon, est dans la maison, déguisé en valet. Cela produit la même scene, les mêmes aveux, le même dialogue à double entente, et enfin certe exclamation qui a fait proverbe : Les beaux yeux de ma cassette! mot qui n'est point une charge, parce qu'il est impossible qu'Harpagon ne le dise pas. Il voit un coupable qui avoue on dui apable de trésor; il ne songe qu'au sien, à sa cassette ; enfin, on lui parle de beaux yeux. Les beaux yeux de ma cassette! ce mot doit lui échapper. Il est excessi vement gai; mais ce n'est pas la faute du poète: il n'a voulu dire que le mot de la nature.

Lyconide, celui qui aime la fille d'Euclion, lui fait rendre son cher pot de terre avec tout l'or qui est dedans. Le bonhomme transporté de joie, baise son trésor, le caresse, Rien de mieux; mais ce

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qu'on est loin d'attendre et de prévoir, c'est que dans l'instant même il s'écrie: « A qui rendrai-je

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graces? aux dieux qui ont pitié des honnêtes

» gens, ou à mes amis qui en agissent si bien avec » moi? à tous les deux. » Et aussitôt il met le trésor entre les mains de son gendre, et consent que tous les deux s'établissent dans sa maison. Un esclave s'adresse aux spectateurs, et dit : « Messieurs, » l'avare Euclion a changé tout à coup de caractere: » il est devenu libéral. Si vous voulez aussi user » de libéralité envers nous, applaudissez. ›

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Non, vraiment, je n'applaudirai point ce dénoûment: il contredit trop la nature et l'un des préceptes de l'art qu'elle a le mieux fondé, celui de conserver jusqu'au bout l'unité de caractere. Un avare ne se transforme pas ainsi tout à coup, surtout dans un moment où son trésor, qu'il vient de retrouver, doit lui être plus cher que jamais. J'applaudirai le talent qui se montre dans le reste du rôle; mais ce dénoûment et les autres défauts de la pièce me font voir que Plaute n'était pas très-avancé dans l'art dramatique.

On connaît le fond des Ménechmes : tout l'effet tient à ces méprises qui sont une des sources de comique les plus faciles et les plus sûres. La ressemblance des deux freres est le ressort principal

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