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» se montrant dans nos revers communs, si diffé»rent de ce que vous êtes. »

Eschine n'avait cessé d'avertir les Athéniens de se défier de la pernicieuse éloquence de Démosthene il lui avait donné sur son talent ces éloges perfides et meurtriers auxquels la haine se condamne quelquefois elle-même, sincere sur un point pour se rendre plus croyable sur un autre, et faisant servir la vérité à donner du poids à la calomnie: c'est ainsi que les passions souillent tout ce qu'elles touchent, et tournent la louange même en poison. Démosthene, qui ne laisse aucun article sans réponse, ne manque pas de relever Eschine sur celui-ci : il démontre par les faits, que le talent de la parole n'a jamais été en lui qu'un moyen de servir la république. Mais il commence par s'expri

mer sur ce même talent avec une réserve et une

modestie qui devait flatter l'amour - propre des Athéniens. Il n'y a pas jusqu'à son génie qu'il ne fasse dépendre d'eux.

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« Pour ce qui est de mon éloquence (puis

qu'enfin Eschine s'est servi de ce mot), j'ai toujours vu que cette puissance de la parole dépendait en grande partie des dispositions de » ceux qui écoutent, et que l'orateur paraît habile » en proportion de la bienveillance que vous lui

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témoignez. Du moins cette éloquence qu'il m'at

» tribue, a été utile à tous dans tous les tems, et jamais nuisible à personne. Mais la tienne, de

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quoi sert-elle à la patrie? Tu viens aujourd'hui » nous parler du passé. Que dirait-on d'un médecin qui, appelé près d'un malade, n'aurait pu trouver » un remede à son mal, n'aurait pu le garantir de » la mort, et ensuite viendrait troubler ses funé» railles, et crier près de sa tombe qu'il vivrait » si l'on avait suivi d'autres conseils ?>>

Il fonde l'intérêt de sa péroraison sur l'honneur qu'on lui a fait de lui confier l'éle funebre des citoyens tués à Chéronée. Eschine s'était efforcé d'en faire contre lui un sujet de reproche, et d'autant plus qu'il avait lui-même inutilement sollicité cette fonction. Démosthene en tire un nouveau triomphe pour lui, et une nouvelle humiliapour son accusateur.

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« La république, Eschine, a entrepris et exé» cuté de grandes choses par mon ministere; mais » elle n'a pas été ingrate. Quand il a fallu choisir, » au moment de notre disgrace, l'orateur qui de» vait rendre les derniers honneurs aux victimes » de la patrie, ce n'est pas toi qu'on a choisi, malgré ta voix sonore et malgré tes brigues; ce » n'est pas Démade, qui venait de nous obtenir » la paix, ni Hégémon, ni enfin aucun de ceux

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» de ton parti : c'est moi. On vous vit alors, Pyto» clés et toi, vomir contre moi, avec autant de fu» reur que d'impudence, les mêmes invectives que » tu viens de répéter, et ce fut une raison de plus » pour les Athéniens de persister dans leur choix. »Tu en sais la raison 'aussi bien que moi-même;

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je veux pourtant te la dire : c'est qu'ils connais»saient également et tout mon amour pour la

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trie, et tous les crimes que vous avez commis » envers elle. Ils savaient que vous ne deviez votre impunité qu'à ses malheurs; que si vos sentimens » contre elles ont éclaté que dans le tems de sa disgrace, c'etait un aveu que dans tous les tems » vous aviez été ses ennemis secrets. Il convenait » sans doute que celui qui devait célébrer la vertu » de ses concitoyens, n'eût pas été le commensal » de leurs ennemis, n'eût pas fait avec eux les » mêmes sacrifices et les mêmes libations. On ne pouvait pas déférer une fonction si honorable à

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» ceux qu'on avait vus mêlés avec les vainqueurs,

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» partager la joie insultante de leurs festins et triompher de nos calamités. Enfin, ce n'était » pas avec une voix mensongere qu'il fallait déplorer la destinée de ces illustres morts. Ces justes regrets ne pouvaient être que dans la bouche de celui qui avait aussi la douleur dans » l'ame; et cette douleur, on savait qu'elle était dans

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» mon cœur et non pas dans le tien. Voilà ce qui a déterminé le suffrage du peuple; et quand les » parens des morts, chargés du triste soin de leur sépulture, ont donné le festin des funérailles, » c'est encore chez moi qu'ils l'ont donné, chez » moi qu'ils regardaient comme tenant de plus près » que personne à ceux dont nous pleurions la perte. »Ils leur étaient liés de plus près par le sang, mais » personne ne l'était davantage par les sentimens de citoyen; personne, dans la perte commune, » n'avait eu à pleurer plus que moi. »

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Rollin observe avec raison, que la seule chose qui puisse nous blesser dans cette immortelle harangue, ainsi que dans celle d'Eschine, c'est la profusion d'injures personnelles que dans plus d'un endroit se permettent les deux concurrens. Mais il est juste d'observer aussi qu'elles étaient autorisées par les mœurs républicaines, moins délicates sur ce point que les nôtres, et que par conséquent ni l'un ni l'autre n'a manqué au préde l'art, qui défend de violer les convenances reçues. Deux citoyens ennemis, deux orateurs rivaux s'attaquaient l'un l'autre sur tous les points, sur la naissance, sur l'éducation, sur la fortune, sur les mœurs, et cette recherche entraînait des détails qui ne sont pas toujours bien nobles pour nous, vu la différence des tems et du langage, Cours de littér, Tome II. ᏞᎥ

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mais qui alors avaient leur effet. On les retrouve aussi dans Cicéron, quand il parle contre Antoine, contre Pison, contre Vatinius, qui de leur côté ne l'épargnaient pas davantage. Quand ces injures n'étaient que des mensonges, elles ne compromettaient que celui qui les avait proférées; et quand elles étaient fondées, on pensait qu'un homme libre avait droit de tout dire. Il faut bien pardonner aux citoyens de Rome et d'Athenes, d'avoir cru qu'un honnête homme pouvait sans honte entendre les invectives d'un calomniateur. D'ailleurs, ce n'était pas tout-à-fait sans risque qu'il était permis d'accuser et d'invectiver : dans Athenes, l'ac⚫cusateur devait avoir au moins la cinquieme partie

des suffrages, sinon il était condamné au bannissement. C'est ce qui arriva à Eschine : il se retira dans l'île de Rhodes, où il ouvrit une école de rhétorique. Sa premiere leçon fut la lecture des deux harangues qui avaient causé sa condamnation. Je ne conçois pas, je l'avoue, comment il eut le courage de lire à ses disciples celle de Démosthene. On peut sans crime être moins éloquent qu'un autre; mais comment avouer, sans rougir, qu'on a été si évidemment convaincu d'être un calomniateur et un mauvais citoyen?

Pour Démosthene, un historien dont l'autorité à cet égard a été justement contestée, d'après le

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