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sont fragiles et précaires, et sujets à des retours
terribles. Cette vérité, pour être sentie, n'a pas
même besoin des exemples sans nombre qui ont
frappé vos yeux ne l'oubliez jamais, et redites-
vous sans cesse à vous-mêmes, que celui qui trompe
le peuple, n'entend pas mieux ses intérêts que
ceux de la chose publique, et ne se déshonore
que pour se perdre. Je ne connais rien de si abject
et de si odieux qu'un flatteur du peuple : il l'est
cent fois plus qu'un flatteur des rois; car natu-
rellement le trône appelle la flatterie et répousse
la vérité; le peuple, au contraire, se laisse trom-
per, il est vrai; mais il ne demande pas qu'on le
il n'en a pas
trompe,
le besoin, et il sent celui
d'être instruit. Il aime et accueille la vérité quand
on ose la lui dire; et quand il la rejette, c'est par
défaut de lumieres, plus que par orgueil et par cor-
ruption. Dès qu'il la conçoit, il l'applaudit d'autant
plus, qu'on exerce envers lui un droit qui est celui
de tous. C'est aussi ce qui rend cette vérité si
haïssable et si terrible aux yeux de ceux qui ont
tant d'intérêt à ce qu'elle ne parvienne jamais jus-
qu'à ce peuple, parce qu'ils en ont tant à l'aveu-
gler; et cette politique ordinaire aux tyrans a dû
être surtout celle des nôtres, qui étaient sans talent
comme sans courage. Elle a consisté uniquement
à donner tout pouvoir de mal faire à cette classe
d'hommes

d'hommes qui partout est la lie des nations, à ceux qui n'ont rien, ne savent rien et ne font rien; et de cet assemblage de dénuement, de fainéantise et d'ignorance, se compose ce qu'il y a de pis dans l'espece humaine on en peut juger par ce qu'ils ont fait une fois, lorsqu'une fois ils ont régné. Mais observez en même tems que cette politique, dont le succès en a imposé un moment à ceux que tout succès éblouit, n'était pas moins inepte qu'atroce. Les tyrans qui ont eu du génie, n'ont jamais employé que des instrumens dont ils pouvaient toujours être les maîtres : la tyrannie qui n'a que des agens dont elle est l'esclave, est insensée; car elle en est toujours la victime. Et qu'y a-t-il de plus fou que d'envahir tout sans pouvoir rien garder, et de dresser des échafauds pour finir par y monter..... Mais ceci appartient à notre histoire, et je reviens à celle de l'éloquence et des triomphes de Démosthene (1).

(1) On croit devoir encore rappeler ici pour la derniere fois, que toutes les réflexions semées dans cet ouvrage, relatives à la révolution, sont de l'année 1794, et ont été prononcées aux Écoles Normales et au Lycée.

Cours de littér. Tome II.

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Exemples des plus grands moyens de l'art oratoire, dans les deux harangues pour la Couronne, l'une d'Eschine, l'autre de Démosthen.

Quelques notions préliminaires sont indispensables ici, pour faire connaître l'importance de ce fameux procès, et le rôle considérable que Démosthene soutint si long-tems dans Athenes, où la profession d'orateur était une espece de magistrature, et fut particuliérement pour Démosthene une puissance si réelle, que Philippe, au rapport des historiens, disait que de tous les Grecs il ne craignait

que Démosthene. Après la perte de la bataille de Chéronée, les Athéniens, craignant d'être assiégés, firent réparer leurs murailles. Ce fut Démosthene qui donna ce conseil; et ce fut lui qu'on chargea de l'exécution. Il s'en acquitta si noblement, qu'il fournit de son bien une somme considérable dont il fit présent à la république. Ctésiphon son ami proposa de l'honorer d'une couronne d'or, pour récompense de sa générosité. Le décret passa, et portait que la proclamation du couronnement se

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ferait au théâtre, pendant les fêtes de Bacchus, tems où tous les Grecs se rassemblaient dans Athenes pour assister à ses spectacles. Eschine était depuis long-tems le rival et l'ennemi de Démosthene. Il avait un grand talent et un très-bel organe, qu'il eut occasion d'exercer, ayant commencé par être comédien. Mais il avait aussi une ame vénale, et il était presque publiquement au nombre des orateurs à gages que Philippe soudoyait dans toutes les républiques de la Grece. Démosthene seul, aussi integre qu'éloquént, était demeuré incorruptible, et les Athéniens ne l'ignoraient pas. Aussi n'étaitce pas la premiere fois qu'il avait reçu le même honneur que lui décernait Ctésiphon; mais ici la haine crut avoir trouvé une occasion favorable. La funeste bataille de Chéronée avait abattu la puissance d'Athenes et rendu Philippe l'arbitre de la Grece c'était Démosthene qui avait fait entreprendre cette guerre, dont l'événement avait été si funeste. Eschine se flatta de pouvoir le rendre odieux sous ce point de vue, et de lui arracher la couronne qu'on lui offrait. Il attaqua le décret de Ctésiphon, comme contraire aux lois. Son accusation roule sur trois chefs; 1o. une loi d'Athenes défend de couronner aucun citoyen chargé d'une administration quelconque, avant qu'il ait rendu

:

ses comptes, et Démosthene, chargé de la réparation des murs et de la dépense des spectacles, est encore comptable: premiere infraction; 2°. une autre loi défend qu'un décret de couronnement porté par le sénat, soit proclamé ailleurs que dans le sénat même; et celui de Ctésiphon, quoique rendu par le sénat, devait être, selon sa teneur, proclamé au théâtre seconde infraction. Enfin (et c'est ici le fond de la cause), le décret porte que la couronne est décernée à Démosthene pour les services qu'il a rendus et qu'il ne cesse de rendre à la république, et Démosthene au contraire n'a fait que du mal à la république. Ce dernier chef devait amener la censure de toute la conduite de Démosthene, depuis qu'il s'était mêlé des affaires de l'État, et c'était là le principal but de son ennemi, qui cherchait à lui ravir également, et les honneurs qu'on lui accordait, et la gloire de les avoir mérités. La querelie commença deux ans avant la mort de Philippe; mais les troubles politiques de la Grece, l'embarras des affaires et le danger des conjonctures retarderent la poursuite du procès, qui ne fut plaidé et jugé que six ans après, et lorsqu'Alexandre était déjà maître de l'Asie.

On est tenté de déplorer tout le malheureux talent qu'Eschine déploya dans une mauvaise cause.

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