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renverse, et ce n'est pas un de ces hommes qui laissent à l'adversaire terrassé le moyen de nier sa chute. Son style est austere et robuste, tel qu'il convient à une ame franche et impétueuse. Il s'occupe rarement à parer sa pensée; ce soin semble au dessous de lui; il ne songe qu'à la porter toute entiere au fond de votre cœur. Nul n'a moins employé les figures de diction, nul n'a plus négligé les ornemens; mais dans sa marche rapide il entraîne l'auditeur où il veut, et ce qui le distingue de tous les orateurs, c'est que l'espece de suffrage qu'il arrache, est toujours pour l'objet dont il s'agit et non pas pour lui. On dirait d'un autre Il parle bien; on dit de Démosthene : Il

a raison.

SECTION II.

Des diverses parties de l'Invention oratoire, et en particulier de la maniere de raisonner oratoirement, telle que l'a employée Démosthene dans la harangue pour la Couronne.

L'invention oratoire consiste dans la connaissance et dans le choix des moyens de persuasion. Ils sont tirés généralement des choses ou des personnes; mais la maniere de les considérer n'est pas la même, à plusieurs égards, dans les délibérations politiques que dans les questions judiciaires. Dans celles-ci, de quoi s'agit-il d'ordinaire? tel fait est-il constant ? est-il un délit ? quelle loi y estelle applicable? L'âge, la profession, les mœurs, le caractere, les intérêts, la situation de l'accusé, rendent-ils le fait probable ou improbable ? Voilà le fond du genre judiciaire. Dans le délibératif, il s'agit, suivant les anciens rhéteurs, de ce qui est honnête, utile ou nécessaire. Mais Quintilien rejette ce dernier cas, et prenant le mot dans son acception rigoureuse, c'est-à-dire, pour ce que l'on est contraint de faire par une nécessité insurmontable, il prétend que cette contrainte ne peut exister dès qu'on préfere la liberté de mourir.

Il cite en exemple une garnison à qui l'on dirait : Il est nécessaire de vous rendre, car si vous ne vous rendez pas, vous serez passés au fil de l'épée ; et il ajoute qu'il n'y a point là de nécessité, puisque les soldats peuvent répondre : Nous aimons mieux mourir que de nous rendre. Ni le raisonnement ni l'exemple ne me paraissent concluans. Sans doute il n'y a pas de nécessité absolue de se rendre quand on aime mieux mourir. Mais l'art oratoire, comme la morale et la politique, admet une nécessité relative, et la question peut être considérée sous un autre point de vue. On peut demander si la place est assez importante pour sacrifier à sa conservation la vie d'un grand nombre de braves gens qui peuvent servir encore long-tems la patrie, et alors un orateur pourrait fort bien établir comme une nécessité, l'obligation de conserver à l'État des défenseurs dont il a besoin. Cette espece de nécessité morale peut avoir lieu dans une foule d'autres cas semblables; ce n'est autre chose qu'une utilité plus impérieuse, et c'est même, à vrai dire, la seule nécessité qui puisse être mise en délibération; car la contrainte, qui naît d'une force physique, n'est pas susceptible de discussion.

On ne répond pas à tout en disant je mourrai comme on ne satisfait pas à tout en sachant mourir. C'est toujours une sorte de courage, il est vrai,

mais ce n'est ni le plus rare, ni le plus difficile, ni le plus utile de tous. Beaucoup de gens acceptent la mort quand elle est sûre, avec une résignation qu'on peut appeler fermeté et non pas énergie. L'énergie consiste à braver le danger de la mort quand elle est encore douteuse, à risquer tout pour la détourner, et à ne la vouloir que comme la derniere extrémité. Nous serons à jamais un exemple de la réalité de cette distinction ce n'est pas le premier qu'offre l'histoire, mais c'est le plus frappant de tous. Si tant de citoyens traînés aux cachots ou aux supplices sous le regne des tyrans ; si tous ces hommes, qui ont montré tant de patience dans les fers et tant de sérénité sur l'écha

faud, avaient eu le véritable courage, le courage de tête, ils auraient compris que les victimes étant en bien plus grand nombre que les bourreaux, ceux-ci, les plus lâches des hommes, n'osaient tout que parce que les autres souffraient tout. Ils auraient senti que dès qu'il n'y a plus d'autre loi que la force, il vaut cent fois mieux périr les armes à la main, s'il le faut, que d'être trainés à la boucherie et il aurait suffi même d'en

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montrer la résolution pour en imposer à des misérables qui n'ont jamais su qu'égorger des hommes sans défense. Le mot de ralliement de tout citoyen, c'est la loi; et dès qu'on invoque contre lui une

autre espece de force, il doit, pour toute réponse, mettre la main sur le glaive'; c'est pour cela qu'il lui a été donné; et comme a dit un ancien poëte:

Ignorantne datos, ne quisquam serviat, enses?

Si la leçon que nous avons reçue à cet égard a été nécessaire, elle a été assez forte pour qu'on puisse espérer qu'elle ne sera pas perdue.

Ne prenons donc point les mots usuels dans la rigueur du langage métaphysique, qui a quelquefois égaré les Anciens ; et dans celui de l'art oratoire, appelons nécessaire ce qu'on peut appelet ainsi en morale, c'est-à-dire, tout ce qui est indispensablement commandé par l'intérêt de la chose publique ; et sous ce rapport, rien ne rentre plus naturellement dans l'ordre des délibérations.

Les Anciens faisaient une autre espece de division générale. Le judiciaire, dit Cicéron, roule sur l'équité, le délibératif sur l'honnêteté, ou en d'autres termes ; l'un sur ce qui est équitable, l'autre sur ce qui est honnête. Ici se fait encore aperce voir la différence du génie des langues, et la diversité d'acception dans les termes correspondans d'une langue à l'autre ; car on demandera d'abord si tout ce qui est honnête n'est pas équitable, et si tout

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