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exercent le même ministere. « Quand quelqu'un » vient m'exposer sa cause, j'ai coutume de faire » pour un moment le rôle de sa partie adverse, » et je plaide contre lui, afin de le mettre à portée de me développer toutes ses raisons. Quand il est parti, je me charge tour-à-tour de trois person»nages que je soutiens avec une égale équité, celui de mon client, celui de mon adversaire, celui du juge. Je les différents points de la cause; » ceux qui m'offrent plus d'avantage que de difficulté, je me propose de les traiter; ceux qui sont tels que, de quelque façon qu'on les prenne, »ils me sont plus défavorables qu'avantageux, je » les mets entiérement à l'écart. Je m'assure donc » bien positivement de mes moyens, et je sépare " avec soin deux choses que bien des gens confon»dent par trop de confiance, le temps de méditer » une cause et le tems de la plaider.

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Ensuite il s'étend sur la nature des différentes causes et sur la maniere de les considérer, sur l'art de s'insinuer dans l'esprit des juges, sur la meilleure méthode à employer dans la disposition des preuves, sur l'espece d'autorité que donne à l'orateur la considération personnelle attachée aux mœurs et à la probité. Quant au secret d'émouvoir les passions, il donne pour l'éloquence le même précepte qu'Horace pour la poésie.

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faut (dit-il) éprouver vous-même les affec» tions que vous voulez communiquer. Je ne sais » ce qui arrive aux autres, mais pour moi jamais

je n'ai cherché à exciter dans le cœur des juges » la douleur, la pitié, l'indignation, que je ne » fusse pénétré moi-même des sentimens que je » voulais faire passer dans leur ame. Il faut, s'il » est permis de s'exprimer ainsi, que l'orateur » soit en feu s'il veut allumer un incendie. »

Tout cet article, qui regarde les diverses passions qu'il s'agit d'inspirer aux juges, est traité avec une sagacité et développé avec une facilité et une abondance d'élocution dignes d'un si grand maître. Antoine en vient à ce qui regarde la plaisanterie; mais alors il laisse la parole à César,. renommé pour cette espece de talent; et la longueur de la dissertation qu'il entreprend sur cet objet, prouve combien cette partie occupait de place dans l'art oratoire. C'est qu'indépendamment des plaidoyers proprement dits, où la plaisanterie pouvait être plus ou moins employée, il y avait encore deux parties essentielles de la plaidoierie, l'interrogation des témoins, qui appartenait à l'avocat, et l'altercation. On appelait de ce nom la discussion dialoguée et contradictoire des faits, des témoignages, des moyens, qui succédait aux discours suivis et préparés, et qui demandait beau

coup de présence d'esprit et une grande habitude de parler.

Il est à remarquer que Scævola, l'un des interlocuteurs du premier dialogue, n'est point présent à celui-ci, et il paraît que Cicéron l'a écarté à dessein, parce qu'il ne convenait pas qu'on fît un traité sur la plaisanterie, en présence d'un homme aussi grave qu'un grand pontife. Ces sortes de bienséances sont soigneusement observées par les Anciens, et Cicéron surtout, qui ne recommande rien tant à l'orateur que l'exacte observation des convenances de toute espece, avait trop de délicatesse et de goût pour y manquer.

Comme ce sont souvent des circonstances subites et imprévues qui donnent lieu aux traits les plus plaisans, il importe de savoir saisir l'à-propos, et cette heureuse promptitude d'esprit rappelle à César un trait de Crassus dans un genre tout opposé à la plaisanterie, mais très-remarquable par l'habileté de l'orateur à profiter d'un accident inattendu, et par le grand effet qu'il produisit. Crassus plaidait contre Brutus, jeune homme qui déshonorait son nom, qui avait dissipé son patrimoine et vendu toutes les terres de sa famille, qui n'avait aucun talent qui rachetât la dépravation de ses mœurs, et qui de plus, comme pour se venger de la mauvaise réputation qu'il avait, intentait des accusa

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tions injustes et calomnieuses contre les meilleurs citoyens. C'était Crassus dans ce moment qu'il atta quait; et pendant que celui-ci parlait, le hasard fit que le convoi de Junia, femme respectable et aïeule de Brutus, morte peu auparavant, vint à passer devant le forum, et à la suite de son convoi paraissaient les images de ses ancêtres, que l'on avait coutume de porter dans ces lugubres cérémonies; car les Romains, ainsi que tous les peuples policés et même sauvages, ont honoré les morts par respect pour les vivans: ils ont honoré la nature humaine dans sa dépouille mortelle. On a consacré, d'un bout du Monde à l'autre, ces asyles souterrains où la plus excellente des créatures attend dans le silence des tombeaux le réveil de l'éternité: on a consacré l'appareil funéraire qui nous avertit que l'homme ne meurt pas tout entier; on a consacré la pierre qui couvre des cendres chéries, afin que la douleur pût venir y répandre des larmes sur les restes d'un pere, d'une mere, d'une épouse. Ce n'est qu'en France, au dix-huitieme siecle, que des hommes qui apparemment se rendaient justice en ne se distinguant pas des bêtes brutes et féroces, n'ont mis aucune différence entre le cadavre d'un homme et celui d'un chien. Opprobre et exécration! (et puisse ma voix retentir, pour

nous justifier, jusqu'aux extrémités du Monde et jusqu'aux dernieres générations)! Opprobre er exécration sur les monstres qui, en violant les tombeaux des morts qu'ils dépouillaient, en refusaient aux victimes qu'ils égorgeaient ! Je sais que ceci est une digression; mais rien n'est déplacé, rien n'est perdu toutes les fois qu'il s'agit d'élever un cri de vengeance contre ceux qui, pendant si longtems ont élevé impunément un cri de guerre contre l'espece humaine toute entiere.

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Crassus s'interrompt; et s'adressant à Brutus : «Eh bien! lui dit-il, que veux-tu que cette femme » révérée dise à ton pere du fils qu'il nous a laissé ? Que veux-tu qu'elle dise à tous ces grands-hom» mes tes aïeux dont nous voyons les images, à »ce Brutus à qui nous devons notre liberté ? S'il » demande ce que tu fais, quel est l'état, quel » est le genre de gloire et de vertu dont tu t'oc» cupes, que lui dira-ton? Est-ce d'augmenter » ton patrimoine? Ce n'est pas ce qu'il y aurait » de plus digne de ton nom; mais cela même. » ne t'est plus possible: il ne t'en reste rien: »tes débauches ont tout dévoré. Est-ce de l'étude » du droit civil? Ton pere s'y est distingué; il » nous en a laissé des monumens; mais pour toi, » on lui dira qu'en vendant tout ce que tu en

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