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fois, qu'il ne prétend pas caractériser l'orateur tel qu'il existe, mais tel qu'il le conçoit possible. Or, il soutient, avec quelque fondement, que pour avoir une idée parfaite d'un art, il faut le considérer dans toute la perfection dont il est susceptible. Scævola, après l'avoir combattu, revient à son opinion, avec la restriction que Crassus lui-même y a mise. Pour Antoine, après avoir rendu compte de quelques disputes sur le même sujet, dont il avait été témoin lorsqu'il visitait les philosophes et les rhéteurs d'Athenes, il avoue qu'il serait à souhaiter que l'instruction la plus étendue vînt toujours au secours de l'éloquence. C'est même en conséquence de ce principe, qui étend si loin les devoirs et les facultés de l'orateur, qu'Antoine avance que, dans un petit traité composé à son retour de Grece, il avait dit ces propres mots : J'ai bien connu des hommes diserts, mais pas un homme vraiment éloquent. Il entend par homme éloquent, celui qui est en état d'embellir et d'agrandir tout par la parole, et qui possede dans son imagination et dans sa mémoire une source inépuisable d'élocution, prête à se répandre sur tous les objets. Ce qu'il ajoute est remarquable : « Cela nous est » difficile, sans doute, à nous, que l'ambition de paraître entraîne dans le tourbillon du forum

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» avant que nous soyons suffisamment instruits; » mais cela n'est pas moins dans l'ordre des choses » naturelles et possibles; et si, pour l'avenir, je

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puis régler mes conjectures sur la mesure de génie que montrent mes contemporains, je ne désespere pas qu'un jour, avec plus de vivacité » dans l'étude que nous n'en mettons et que nous n'y en avons mis, avec plus de loisir, avec une » facilité d'apprendre plus grande er plus mûrie, » avec plus d'émulation et d'activité, il n'existe » enfin cet orateur que nous cherchons; et s'il faut » dire ce que je pense, ou cet orateur est Crassus,

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ou ce sera un homme qui, né avec un génie » égal, aura lu, entendu et composé davantage, et » qui pourra ajouter quelque chose à ce qu'est » aujourd'hui Crassus, »

tise ici

Ne pourrait-on pas croire que Cicéron prophépar la bouche d'Antoine, et prophétise sur lui-même ? Ce qui est certain, c'est que tous les traits qu'il a rassemblés jusqu'ici, paraissent lui convenir et ne convenir qu'à lui seul. Il était nonseulement le plus éloquent, mais le plus savant des Romains, et il a fait dire à Antoine, il n'y a qu'un moment, que rien n'est plus propre à nourrir et à fortifier le talent de l'orateur, que la multitude des connaissances. Quoiqu'alors celles.

que l'on

pouvait acquérir fussent plus bornées qu'aujour d'hui, cependant il n'a pas voulu dire, et lui-même en convient, que l'orateur devait tout savoir; mais il a soutenu qu'il était de l'essence du talent oratoire de pouvoir orner tous les sujets, autant qu'ils en sont susceptibles, et c'est précisément ce qu'il avait fait; car il avait écrit, et toujours avec agrément et abondance, sur toutes les matieres générales de philosophie, de politique et de littérature. Il n'était nullement étranger à l'histoire, puisqu'il avait fait celle de son consulat; ni à la poésie,. puisqu'il avait composé un poëme à l'honneur de Marius. Ainsi, graces à l'amour du travail, qui était en lui au même degré que le talent, il était précisément l'homme qu'il demande, celui qui ne se contente pas d'être exercé aux luttes du barreau et aux délibérations publiques, mais qui peut écrire éloquemment sur tous les objets qu'il voudra traiter.

Antoine exige de l'orateur la sagacité du dialecticien, la pensée du philosophe, presque l'expression du poëte, la mémoire du jurisconsulte, la voix et le geste d'un grand acteur; mais il ne va pas encore si loin que Crassus, qui, pour former cet homme accompli, veut, indépendamment des dons naturels tant de l'esprit que du corps, un exercice continuel, l'habitude d'écrire, et d'écrire avec soin,

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l'attention à fortifier sa mémoire, à observer au théâtre tous les vices de prononciation, tous les mouvemens désagréables qu'il faut éviter; qui recommande, comme une chose très - utile, de traduire les orateurs grecs, et comme une chose nécessaire, d'étudier l'histoire; qui conseille la lecture des poëtes, et surtout qu'en lisant les philoso phes et les historiens, on s'accoutume à les commenter, à les réfuter, à examiner dans chaque question qui se présente chez eux ce qu'il y a de plus probable, et à discuter pour et contre; enfin, qui veut une connaissance profonde des lois de l'antiquité, des coutumes, de la constitution de la république, des droits des alliés, de la discipline du sénat, et qui ajoute à cet ensemble déjà si vaste, cette tournure d'esprit délicate et enjouée qui apprend à faire usage à propos de la bonne plaisanterie, comme d'un assaisonnement nécessaire au discours. Antoine, qui faisait profession de n'avoir jamais étudié la jurisprudence, et qui ne faisait pas un très-grand cas de la philosophie grecque, mais dont le talent consistait principalement dans une grande adresse à manier l'arme de la dialectique, et qui surtout passait pour être formidable dans la réfutation, soutient ici son caractere. II resserre beaucoup la carriere que Crassus ouvre à

l'éloquence, et qui pourtant, au gré même d'An→ toine, demeure assez étendue, puisqu'elle renferme dans son domaine les tribunaux, le sénat et les assemblées du peuple. Il est bien sûr que c'est là proprement l'empire de l'orateur; mais quoique Antoine observe avec raison qu'il y a fort loin de ce genre de talent à celui d'écrire éloquemment sur des matieres de philosophie, de politique et de goût, il n'est pas moins vrai que tous ces objets sont du ressort de l'éloquence, qui doit se plier à tous les tons, et il ne faut pas reprocher à Crassus de voir l'art dans toutes ses dépendances. Aussi les raisonnemens d'Antoine, dans cette partie, sont-ils plus spécieux que solides, surtout lorsqu'il prétend qu'il n'est pas nécessaire à un avocat d'être jurisconsulte, et qu'il lui suffit, pour chaque cause, d'être instruit des lois relatives au cas qui est mis en question. On sent que cette ressource passagere, qui peut quelquefois suffire au grand talent, ne peut pas se comparer, dans l'usage journalier, à des connaissances méditées et approfondies. Crassus ne répond à la réfutation d'Antoine que par quelques mots de politesse et de plaisanterie, et saisit agréablement l'occasion de se joindre à Sulpitius et à Cotta, pour obtenir de lui qu'il expose à ces deux jeunes éleves ce qu'a pu lui apprendre une longue

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