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de laisser quelquefois en doute quel est l'avis de l'auteur lui-même. On a fait ce reproche à Platon plus qu'à Cicéron, et je ne crois pas qu'au fond l'un le mérite plus que l'autre. Il est assez facile, par le plan même du dialogue, de voir dans la bouche de qui doit se trouver la doctrine que l'auteur croit la meilleure. On peut croire, par exemple, toutes les fois que Platon met Socrate en scene, que c'est par sa voix qu'il va s'expliquer, parce qu'il est assez vraisemblable que Platon, ayant été disciple de Socrate, ce qu'il fait dire à son maître est précisément ce qu'il pense luimême. Quand Cicéron fait parler Antoine et Crassus, l'un sur les moyens que peut employer l'orateur dans les questions judiciaires, l'autre sur l'élocution qui lui convient, il est bien évident que leurs principes sont ceux de Cicéron, qui les nomme, en vingt endroits de ses ouvrages, les deux hommes les plus éloquens dont Rome puisse se glorifier. Mais quelle distance d'un traité de rhétorique, rédigé dans la forme usuelle et méthodique, et tel qu'un maître le dicte à des écoliers, à cette conversation si noble et si imposante établie par Cicéron! Quelle maniere plus heureuse de donner une grande idée de son art, que de représenter les premiers hommes de la République, des

personnages consulaires, tels qu'Antoine et Crassus, et son gendre Scævola, grand pontife, et la lumiere du barreau romain pour la jurisprudence, employant le loisir et le repos de la campagne, pendant le peu de jours de liberté que leur laisse la solennité des jeux publics, à s'entretenir sur l'éloquence, en présence de deux jeunes gens de la plus grande espérance, Lucius Cotta et Servius Sulpitius, qui pressent ces grands-hommes de leur révéler leurs idées et leurs observations sur cet art dont ils ont été depuis long-tems les modeles? Tel est l'entretien que Cicéron suppose avoir eu lieu, lorsqu'il était à peine sorti de l'enfance, environ cinquante ans avant le tems où il écrit, et lui avoir été rapporté par Cotta. C'est un effort de mémoire qu'il prétend faire en faveur de son frere Quintus, qui lui avait demandé ses idées sur l'éloquence. Il est probable qu'en effet cette conversation n'était pas tout-à-fait une supposition; que Cotta en avait parlé à Cicéron, et lui en avait rapporté les principaux résultats; que celui-ci dans la suite saisit l'occasion de travailler sur un fonds qui lui avait paru intéressant et riche, et que prince des orateurs romains, quelque droit que lui donnât la vieillesse et la gloire (il avait alors soixante-un ans) de dicter les leçons de

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son expérience et les lois de son génie, aima mieux se dérober au danger de s'ériger en législateur, et préféra de se mettre à couvert sous la vieille autorité de deux maîtres fameux, qui avaient été avant lui les premiers organes de l'éloquence

romaine.

Le lieu de la scene est à Tusculum, l'un des plus agréables cantons de l'Italie, où Crassus avait une maison de plaisance, et où Cicéron en eut une aussi. Le lendemain d'une conversation sérieuse et même triste sur la situation des affaires publiques, Crassus, comme pour se distraire lui et ses amis de leurs réflexions chagrines, se mit à parler des avantages attachés à l'étude de l'éloquence, non pas, disait-il, pour y exhorter Sulpitius et Cotta, mais pour les féciliter de ce qu'à leur âge ils étaient déjà assez avancés, non-seulement pour être au dessus de tous les autres jeunes gens, mais même pour mériter d'être comparés à ceux qui avaient plus d'années et d'expérience, « J'avoue, poursuitil, que je ne connais rien de plus beau que de pouvoir, par le talent de la parole, fixer l'atten »tion des hommes rassemblés, charmer les esprits, » gouverner les volontés, les pousser ou les retenir son gré. Ce talent a toujours fleuri, a toujours

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༈,

» dominé chez les peuples libres, et surtout dans

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» que

» les états paisibles. Qu'y a-t-il de plus admirable de voir un seul homme, ou du moins quel»ques hommes, se faire une puissance particuliere » d'une faculté naturelle à tous? Quoi de plus

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agréable à l'esprit et à l'oreille, qu'un discours poli, orné, rempli de pensées sages et d'expres»sions nobles? Quel magnifique pouvoir, que ce» lui qui soumet à la voix d'un seul homme les » mouvemens de tout un peuple, la religion des juges et la dignité du sénat? Qu'y a-t-il de plus généreux, de plus royal que de secourir les supplians, de relever ceux qui sont abattus, d'écarter les périls, d'assurer aux hommes leur vie, leur liberté, leur patrie? Enfin, quel précieux avan»tage que d'avoir toujours à la main des armes qui peuvent servir à votre défense ou à celle des » autres, à défier les méchans ou à repousser leurs » attaques? »

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Crassus ne s'en tient pas à ces traits généraux qui caractérisent l'éloquence, et qui tous sont avoués et incontestables. Cette espece d'introduc tion le conduit au principe favori de Cicéron, déjà établi dans l'avant - propos du dialogue, et que Crassus énonce enfin en ces termes : « Si l'on veut » embrasser dans une définition complete toutes » les facultés propres à l'orateur, à mon gré celui

» là

» là mérite un titre d'un si grand poids, qui, sur

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quelque sujet qui se présente à développer dans »le discours, peut parler de mémoire avec sagesse,' » avec ordre, avec les mouvemens du style et la » dignité de l'action, »

On doit s'attendre que cette définition, aussi étendue qu'imposante, peut être attaquée. Crassus s'y attend bien lui-même ; car il ajoute tout de suite, comme pour expliquer sa pensée et prévenir les objections : « Si l'on trouve que j'ai été trop » loin dans ces mots, sur quelque sujet qui se pré» sente, chacun peut en retrancher ce qu'il voudra; » mais je tiens pour constant que, quand même

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l'orateur, étranger aux autres connaissances, ne » saurait que ce qui concerne les délibérations et » les jugemens, s'il se trouve dans le cas de parler » de ces autres choses qu'il n'a pas étudiées, dès qu'il les aura apprises de ceux qui font profession » de les savoir, il en parlera mieux qu'eux-mêmes » ne pourraient en parler. »

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Et voilà le sens réel et précis de l'assertion de Crassus et de Cicéron : voilà le seul résultat admissible des différentes discussions qui remplissent ce premier livre, sur la nature et l'étendue de la science de l'orateur. Il faut dire aussi, pour la justification de Crassus, ce qu'il répete plusieurs Cours de littér. Tome II.

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